Skip to main content

Dr Dre “The Chronic 2001”

(1999)

EN QUELQUES MOTS

Dans cet épisode on va pour parler de Andre Young, alias Dr Dre. C’est le grand manitou du rap west coast. C’est un rappeur et surtout un producteur de génie.
En 1999, il donne enfin au monde la suite d’un premier album solo : “The Chronic” paru sept ans plus tôt.

Sur ce nouvel album, étonnamment baptisé “2001”, Dr Dre embarque ses vieux copains Snoop et Nate Dogg, et des nouvelles têtes comme Hitman et Eminem. Dès sa sortie l’album est une bombe ! Il contient une liste incroyable de tubes hardcore au groove imparable, “Still D.R.E”, “Forgot about Dre” et “The next episode”.

“2001” est un classique, et peut-être même un des albums les plus influents de l’histoire du rap. On refait son histoire avec mes homies du Radio K7 crew !

Souvenirs. Manu a entendu “Still D.R.E” pour la première fois dans les vestiaires d’un stade versaillais, Grégoire lors d’une soirée de nouvel an. Fanny connaissait les paroles par coeur mais Olivia, elle, avait du mal à s’identifier à cette musique de bonhommes.

Écouter · Écouter · Écouter · 

Écouter · Écouter · Écouter · 

Écouter · Écouter · Écouter · 

Disponible sur :

Retour en 1999

Voilà pour les 22 titres de “2001” connnu également sous le nom de “Chronic 2001”. On va vous expliquer pourquoi dans cette épisode. C’est le 2ème album studio de Dr Dre, qui comme son nom de l’indique pas, sort le 16 novembre 1999, en double vinyle, cassette et Compact Disc. C’est un mega carton aux US dès la première semaine.

Mais pas en France. Pendant ce temps-là nous on écoute plutôt Larousso “Tu ‘moublieras” “Tomber la chemise” de Zebda qui dominent les stars internationales comme Britney Spears et Manu Chao. Cette année là marque aussi le début de la grande série des comédie musicales : Notre Dame de Paris, on va en prendre pour quelques années. C’est ça l’exception culturelle !

Côté rap, on décide enfin de créer une catégorie Rap/groove aux Victoire de la Musique.

“Les nominés sont :” NTM, Ärsenik et MC Solaar. Alors devinez qui a gagné : ?

1999 c’est aussi les débuts de Napster, il y a déjà 150.000 utilisateurs en octobre aux US. Mais en France, tout le monde s’en fout, on se dit que de toute façon le risque est bien trop faible. Je rappelle qu’à l’époque il te faut au moins 10 minutes pour télécharger un MP3 — on est sur un modem 56k, hein — Alors Napster n’est pas une menace, mais par contre il faut foutre en prison les gamins qui s’échangent des CD gravés en cour de récré !

La story de Dr Dre

Manu : Revenons un peu sur l’histoire de cet album, Olivia. “2001” sort donc en 1999. C’est bien ça ?

Tout à fait, mon cher Manu. « 2001 » sort en 1999, et devient très rapidement une vraie machine à tubes. C’est vraiment un album de référence, une réinvention du son du gangsta rap californien.

Pour t’expliquer un peu l’impact de l’album, sache que si ton jeune cousin Etienne, 12 ans, ponctue ses phrases de “nigga”, de “mothafucka” ou de “bitch” alors qu’il se tape un vieux 6 de moyenne en anglais; qu’il s’imagine que la vraie vie c’est des grosses cylindrées remplie de zouz en monokini; et qu’il hurle : “I gave her some Hennesy / she gave me some head” (je ne traduis pas mais il semblerait que la jeune dame fasse quelque chose avec sa tête en échange d’un peu de vin qui pique)
Et bien c’est en grande partie à cause de ce cher Dr. Dre !

2001 est considéré comme un des albums référence de l’histoire du rap. Il y a clairement un avant et un après. Le disque s’est écoulé à plus de 7,5 millions d’exemplaires aux États-Unis et plus de 10 millions dans le monde. L’album a directement démarré à la 2e place du Billboard 200 avec 550 000 unités vendues en une semaine.

Pour se mettre un peu dans l’ambiance, je vous ai retrouvé une petite pub qui tournait à l’époque sur Skyrock.

Vous allez voir, pour qu’on comprenne bien que c’est pas de la musique de fillette, les mecs font des voix super graves :

INSERT — pub skyrock

Manu : Mais revenons à l’origine de cet album mythique. Comment tout ça a commencé ?

En 1996, Dr. Dre prend l’une des décisions les plus importantes de sa vie et quitte le label Death Row avec lequel il a notamment produit The Chronic, en 1992, et Doggystyle de Snoop Doggy Dogg en 1993. Death Row est devenu incontournable dans le rap game et se place dans tous les classements de ventes d’albums.

Mais depuis quelques années, la rivalité entre Los Angeles et New York est devenue de plus en plus forte et Dre refuse de prendre part à cette escalade de la violence. Il faut bien garder en tête que la violence est partout : dans la rue, à la maison, à l’école…

Quelques mois plus tard, en 1992, des émeutes éclatent à Los Angeles. On assiste à des scènes super violentes, les magasins sont pillés régulièrement. Les flics tirent à balles réelles sur la foule.

C’est cette violence policières qui va venir alimenter le flow des rappeurs.
Ces mêmes rappeurs qui eux-mêmes ne sont pas en reste non plus niveau violence. Beaucoup de règlement de compte, de conflits… évidemment, tout ca fait partie de la mythologie. East coast VS West coast.
Et le point de non retour ce sera évidemment la mort de Tupac.

Bref, Dre est fatigué et affecté par tout ça, par les excès de Death Row aussi et les escroqueries de son boss Suge Knight. Mais attention, on décrit souvent Dre comme l’homme sage de la bande. Celui qui a pris du recul par rapport à tout ça.

Manu : Ouais, enfin c’est pas non plus un enfant de chœur, il me semble !

Ah mais loin de là : En 1991, à Hollywood, Dr Dre. qui officie donc encore au sein du groupe NWA frappe violemment Dee Barnes, une journaliste. A l’époque, elle présente la toute première émission de rap à la télé américaine : Pump it up.

Dre se serait énervé à cause d’une interview avec Ice Cube – avec qui il est en froid. Dre sera condamnée mais Dee Barnes va être blacklistée et ne pourra jamais re-bossé dans le milieu. Dre mettra tout de même plus de 16 ans à s’excuser publiquement. C’est une séquence que l’on peut d’ailleurs voir dans le docu “The Defiant Ones”, sur Netflix. Dee Barnes, elle même, parle de ce contexte ultra violent – qui bien sûr n’excuse rien.

Bref, Dre finit donc par claquer la porte du label début 1996.

Son ami et mentor Jimmy Iovine lui propose d’ouvrir son propre label, ce sera Aftermath, “la conséquence” en français dans le texte.
Dre a une idée en tête : lancer de nouveaux talents et devenir un son de référence. Les débuts sont un peu compliqué. Dre expliquera plus tard que ce fut pour lui une période de doutes. Il était un peu largué. Il se sent seul.

Dans les Inrocks il raconte :

« Cette période de ma vie, musicalement parlant, était complètement détraquée. Je n’étais pas dans le coup et j’essayais de trouver ma voie. C’est quelque chose qui arrive chez les artistes. Ce fut l’un de mes plus grands moments de doute, alors qu’en façade on faisait tous comme si tout allait. / Tout ne va pas toujours comme on le voudrait, mais j’essayais de trouver ma voie et heureusement, Eminem est arrivé à point nommé.»

Eminem, c’est le déclic. Comme l’avait été Snoop quelques années auparavant. Il va réveiller la créativité de Dre, qui s’autorise à aller plus loin dans l’irrévérence.

“2001”, c’est donc l’album du comeback. Dre a une énorme pression. Comment faire mieux que “The Chronic” son 1e album sorti en 93, devenu un classique absolu du gangsta rap. Et comment surprendre après l’accueil plutôt mitigé de son nouveau label Aftermath deux ans plus tôt ?

Pour la jeune génération, il faut déjà partie des anciens. Et dans le rap, tu deviens très vite un vieux. Il y a une urgence du moment qui balaie les groupes et les artistes très rapidement.

Dre doit donc montrer qu’il est encore complètement en phase avec son public et ses préoccupations. Il doit prouver qu’il n’a rien perdu de son mordant et de sa crédibilité.

Il faut dire aussi qu’en 1999 tout le monde pensait que Dre, après avoir lancé Eminem et Snoop Dogg, était définitivement passé derrière les consoles, qu’il était un grand producteur mais qu’il ne reprendrait plus le micro.

Dès “Still Dre”, premier morceau de l’album Dre rappelle ses faits d’arme et tape du poing sur la table :

INSERT — Still Dre

I’m representing for them gangstas all across the world
Still hitting them corners in them lo-lo’s, girl
(Still taking my time to perfect the beat
And I still got love for the streets, it’s the D-R-E)

Manu : Mais alors pourquoi ce titre “2001” ?

L’album devait d’abord s’appeler The Chronic 2000, histoire de créer une filiation avec son premier album (sorti en 1993).

Mais il va devoir abandonner le nom à cause de Suge Knight et de Death Row, qui est bien décidé à emmerder leur ancien producteur.
ils refusent de céder le nom “The Chronic” à Dre. Et pour pousser le vice un peu plus loin, ils sortent de leur côté une compilation du nom de “The Chronic 2000”, en mai 1999.

“ Cette compile de Suge puait la merde ! C’était une tentative pour me griller car j’avais dit que ce serait le titre de mon prochain album. Mes anciens associés de Death Row détiennent les droits du nom “Chronic” et comme on était dans un contexte assez hostile, j’ai préféré ne pas utiliser ce mot. Mais en fait on s’en fout, de ce qu’il y a sur la pochette : ce qui compte c’est ce qui sort des haut-parleurs !”

Si Dre ne peut pas garder le nom, il laissera en revanche le logo en forme de feuille de marijuana utilisé sur le précédent Chronic. Les fans sauront s’y retrouver !

Et décide donc de l’appeler 2001, comme pour annoncer son arrivée dans le troisième millénaire. Et évidemment avec une belle longueur d’avance sur tous les autres !

Pour l’enregistrement de ce nouvel album, Dre s’entoure d’auteurs de talent notamment Eminem, évidemment, mais aussi Jay-Z sur et The D.O.C. Et bien sûr Snoop et Mary J. Blige !
En gros, la L.A Dream Team !

Tous les textes s’affranchissent complètement d’une quelconque bienséance avec des morceaux assez crus et parfois franchement misogynes (Fuck You, Let’s Get High, Housewife).

Au départ, il voulait se donner une image respectable après son départ de Death Row. Dre raconte au New York Times que c’est sa femme qui lui a dit de revenir vers quelque chose de moins poli.

Manu anecdote.

Plus que tout, 2001 célèbre Los Angeles, la west coast et le lifestyle à la californienne. C’est le manifeste du rap West Coast des années 2000.
Dre s’impose comme un génie. Son message est clair : on ne va plus pouvoir faire sans lui. Il est là et ne bougera plus !

En studio, il achève tout le monde. Xzibit raconte dans une interview :

« Dre est difficile à suivre en studio. Il a 20 idées à la minute mais comme il n’est pas dilettante, il les met toutes en œuvre. Et tant que ce que tu fais ne rentre pas dans sa case, tu recommences, tu réécris ou tu rejoues tes parties. Ça peut durer des jours. »

Son but : produire “du bon son pour vous faire kiffer”, comme il explique dans “Still D.R.E”. Il dira d’ailleurs au New York Times, en 1999 :

“Je ne fais pas des morceaux pour les clubs ou la radio. Je fais du son pour que les gens roulent avec dans leur caisse. Je suis sûr que c’est là que la plupart des gens écoutent ma musique : dans leur voiture”.

Sextuple disque de platine aux Etats-Unis, quintuple au Canada, quadruple au Royaume-Uni, des disques d’or par poignée partout ailleurs, dont en France : 2001 de Dr. Dre est un carton dans les mois qui suivent sa sortie. Il sera sacré artiste de l’année aux Grammys.

Et évidemment la presse s’enflamme. Les critiques sont dithyrambiques : “The Source”, par exemple, qui est LE magazine rap aux US, lui attribue 4 micros ¾ (qui n’est donné qu’aux albums supérieurs). Pour Franck Williams, le journaliste qui signe la critique de l’album dans le numéro de janvier 2000 : Dre est de retour et au cas où on aurait oublié, il reste le roi absolu !

Donc énorme succès qui va donner naissance à une tournée aux États-Unis et au Canada pendant l’été 2000 : Le Up in Smoke Tour.

Je rappelle donc que sur scène il y a : Dr .Dre, Snoop, Ice Cube et Eminem. C’est énorme ! Et évidemment des invités différents tous les soirs, notamment Proof, Nate Dogg, The D.O.C., et Xzibit.

Au total, 44 concerts avec une setlist tirée des albums The Marshall Mathers LP d’Eminem, 2001 de Dr. Dre, The Last Meal de Snoop Dogg et War & Peace, Vol. 2 de Ice Cube.

BOUM ! Rien que ça !

Autant vous dire que c’est la grosse éclate : ça fume toute sorte de choses, ça boit du champagne au goulot, des énormes saladiers remplis d’ecstasy les attendent en backstage. Les filles sont à poil, des poupées gonflables circulent dans la fosse. Tout ça pendant plus de 2 mois ! Ce “Up In Smoke Tour” restera dans la postérité grâce à une version DVD qui aura, elle aussi, un beau succès commercial et deviendra iconique.

Au-delà de ce véritable succès populaire, “2001” est devenu la référence absolue du rap sud-californien. Les teintes musicales déclinées par Dre sur son deuxième album vont durablement marquer le rap sur toute la décennie qui va suivre.

La carrière de Dre en tant que rappeur est alors à son apogée pourtant il mettra 16 ans à sortir son 3ème album solo, Compton. Entre temps, il aura produit tous les principaux rappeurs de la génération 2000/2010 : Eminem, Snoop Dogg, Jay-Z, Nas, 50 Cent, Mary J Blige, Alicia Keys, Busta Rhymes…
Et tous vont rendre hommage à ce qui fait l’essence de 2001: une recherche de perfection sonore !

Manu : L’histoire de Dr Dre c’est vraiment le genre de mythe que l’Amérique adore, Le mec qui était au top, qui sombre dans l’oubli et qui finalement renaît de ses cendres. Tu vois comme (Mikey Rourke, Schwarzy ou Keanu Reeves…) 

Le making-of de "The Chronic 2001"

Manu : Moi je l’aime bien André. Déjà 1/ parce qu’il a le même prénom que mon père, et 2/ parce que j’ai l’impression que c’est un gars profondément gentil obligé de jouer les thugs pour être crédible. Mais c’est un gros nounours en fait.

Et puis 3/ Parce que son album “2001” c’est la super production du rap West Coast des nineties !

Greg : C’est le blockbuster du rap US en effet, l’album qui sera le mètre étalon du hip hop des années 2000, un projet énorme aussi difficile à résumer que la saga des Avengers tant les personnages qui ont participé à l’aventure sont nombreux.

Le premier d’entre eux c’est évidemment Dr Dre lui-même, il a co-produit 21 des 22 titres de l’album en a co-écrit 15 tout en parvenant à faire travailler autour de lui près de 50 personnes. Un véritable tour de force. Avant d’être un album de rap, 2001 c’est un album de producteur dont Dre est le chef d’orchestre. Andre Young explique d’ailleurs en interview que si cela n’avait tenu qu’à lui, il aurait aimé disparaître complètement derrière la musique et laisser les copains faire le boulot.

Et les copains parlons-en. Il y a les anciens, comme Snoop Dogg présent sur The Chronic en 1992 et les petits nouveaux qui cartonnent Exebit et surtout Eminem, le prodige de Détroit qui sort en cette même année 1999 le fameux Slim Shady. Citons également Mary J. Blige parmi ces voix qui vont compter dans la décennie à venir ou encore Jay Z, ghostwriter sur 2001, c’est lui qui a co écrit Still Dre notamment.

Ceci dit, 2001 n’a pas porté chance à tout le monde. Le cas le plus emblématique est celui de Hiitman, le rappeur le plus crédité sur l’album, sauf que ce protégé de Dr Dre, censé devenir le nouveau Eminem à l’époque, va complètement disparaître des écrans radar.

Manu : Okay et de quoi on parle sur 2001 Grégoire ?

Dans 2001, on parle beaucoup de « Bitches », un peu de Nigga’, dans Murder Ink, le titre plus violent, on parle de tueur à gages au service des gangs, et surtout on nique tous les mecs qui ont cru Dr. Dre enterré après le lancement raté de son label et l’échec de son super groupe baptisé The Firm. Un petit exemple avec les paroles Still Dre dans lequel le docteur règle ses comptes, Et c’est Manu qui va nous rapper un petit extrait.

INSERT — Still Dre

It ain’t nothing but more hot shit…
Ce n’est rien qu’un truc puissant de plus
Un autre CD, un classique avec lequel vous allez vibrer :
que vous soyez à glander au coin d’une rue avec votre tass,
ou à vous la couler pénard chez vous, mettez ce morceau !

Je suis là pour representer tous les gangsters à travers le monde,
Toujours à m’arrêter au coin des rues pour le meufs
Je te casserai le cou, merde, met ta tête entre tes genoux
Ces renois croient être les rois, mais l’as est de retour

On est dans le manifeste gangsta pur et dur, c’est violent, c’est misogyne,

Il y a un morceau quand même plus personnel, moins cliché, c’est le dernier de l’album qui s’intitule The Message, en hommage à son frère décédé 10 ans plus tôt dans une bagarre qui a mal tourné.

INSERT — The Message

MANU/ Côté prod. Greg on est en plein dans le son G Funk mais le son G funk du futur.

Ce n’est pas pour rien que cet album s’appelle 2001, l’ambition de Dre c’est de créer le son du futur, une ambition énorme symbolisée par l’utilisation en ouverture de la Deep Note de THX la société fondée par Georges Lucas

INSERT — Deep Note THX

Manu : Mais oui c’est le sound design que t’as en ouverture de Star Wars !!! Alors c’est comment de bosser en studio avec le docteur ?

Le docteur, c’est pas compliqué tant qu’il n’a pas obtenu ce qu’il veut, personne ne sort du studio. C’est un obsessionnel au dernier degré, vous pouvez aller jeter un œil au documentaire The Defiant Ones sur Netflix consacré à Dr. Dre, où tous les gens qui ont bossé avec lui raconte son perfectionnisme légendaire. Mais celui qui parle le mieux c’est sans doute Doc Gyneco chez nos confrères de Booska-p. Ce dernier a enregistré un morceau avec lui dans son studio de Los Angeles. Quand le doc rencontre le doc, ça donne ça :

INSERT — Doc Gyneco

Manu : du coup on pense aussi à notre copain Denniz Pop, qui a produit le premier album de Ace of Base en 94,qui lui aussi faisait le test de la bagnole. Le mec était suedois et il envoyait ses tracks à LA pour qu’on les test pour lui à LA, en condition réelle. J’adore.

L’une de ses forces aussi en studio c’est qu’il peut endosser tous les rôles : ingénieur du son, musicien, mixeur, producteur, auteur compositeur, bref il peut avoir une vision sur toute la chaîne de création.

Ce qui ne l’empêche pas de faire appel là encore à toute une bande de gens talentueux pour forger le son de 2001. Citons Mel Man alias Melvin Breeden, un ancien du label aftermath. C’est l’un des personnages clés de 2001, co producteur avec Dre de la quasi-totalité de l’album, un beatmaker essentiel dans l’histoire du rap west coast mais qui originaire de Norflolk en Virginie donc sur la côte est. Et de fait il apporte un son à l’esthétique plutôt new yorkaise sur les percussions de 2001. Un grain un peu sale différent du son plus lisse que l’on peut entendre sur les productions west coast des années 90.

L’une des particularités de 2001 par rapport à d’autres albums de rap de l’époque, c’est la participation de nombreux musiciens de studio. Aux côtés de fidèles comme le claviériste Camara Kambon, de nouvelles têtes rejoignent Dr Dre : le bassiste Mike Elizondo, déjà présent sur l’album d’Eminem ; le guitariste Sean Cruise, et surtout Scott Storch, un pianiste formé aux côtés du groupe acoustique The Roots. C’est lui qui joue les cordes hypnotiques sur The Watcher, ou la reprise du thème d’Halloween de John Carpenter sur Murder Ink mais son principal fait d’arme c’est évidemment d’avoir composé le piano entêtant et sautillant de Still Dre, peut être encore aujourd’hui le morceau le plus emblématique du rap west coast. Ces musiciens composent des titres originaux mais aussi réinterprètent des titres de funk des années 70 ou encore des B.O de film, exemple avec X-plosive qui reprend un thème du film Shaft, Bumpy’s Lament…

INSERT — Shaft Explosive

Au final, Dre n’utilise qu’un sample au naturel sur Whats the difference, un échantillon de celui qui restera sans doute le meilleur compositeur de Gangsta Rap, Charles Aznavour, le morceau de 1966 s’appelle « parce que tu crois »

INSERT — Aznavour

Olivia : Si 2001 sera unanimement salué à sa sortie, Dre va tout de même devoir affronter plusieurs procès à la sortie de l’album :

D’abord George Lucas qui porte plainte le 14 avril 2000 pour l’utilisation de Deep Note la signature sonore du système THX conçue par Andy Moorer pour George Lucas sur le premier morceau de l’album.

Et puis « Let’s Get High” aussi pour la ligne de basse de cinq notes du
« Backstrokin’» de Fatback (1980) utilisée dans le morceau. 5 notes et en plus, vous allez voir, ça saute pas aux yeux non plus.

INSERT — Backstrokin’ https://www.youtube.com/watch?v=dIOTV_ZtIwg

Dre consulte un musicologue qui lui assure que la séquence est assez banale, et n’a sûrement même pas été créée par le groupe. Mais le procès va en décider autrement et l’avis du musicologue coûte à Dre la somme de 1,5 millions de dollars. Ce qui est plutôt ironique quand on sait qu’à cette époque, Dre est en guerre contre le site pirate Napster, car il n’aime pas qu’on lui vole sa musique

Manu : Ce qui est fou c’est que c’est un album qui fait encore référence aujourd’hui…

Grégoire : Cela reste un classique pour plusieurs raisons ; d’abord c’est une somme de talents ahurissants, et il y a beaucoup de rappeurs présents sur l’album dont on parle encore aujourd’hui.

Ensuite il y a ces compositions intemporelles : c’est minimaliste, direct, sans fioritures et forcément ce genre de production résiste mieux à l’épreuve du temps.

Cela s’explique aussi par le son de l’album : des enregistrements de très grande qualité et un mix destiné pour les clubs. Derrière le mixage, on retrouve l’un des grands artisans du son gangsta rap, Richard Huredia. C’est ample, précis, percutant, du bon gros son qui donne envie encore aujourd’hui de prendre le volant d’une chevrolet à suspension hydraulique

Manu : Mais oui ! pour le mix Dr Dre est un taré : il teste tous ses tracks sur 8 enceintes différentes ! C’est pour vérifier que ton son va sonner dans toutes les bagnoles, sur ta chaîne hifi ou ton radio cassette. Personne ne fait ça à l’époque. C’est pour ça qu’il sonne aussi bien. 

L'univers visuel de Dr Dre

Manu : Bref on va parler maintenant avec Fanny de la pochette et des clips. On commence par quoi ?

Fanny : La pochette de l’album 2001 est archi iconique dans le milieu de la musique, bien qu’elle soit on ne peut plus minimaliste. Fond monochrome noir, en haut à gauche on a le nom de Dr Dre écrit en majuscules vertes sans serif, probablement avec la police Russell Square designée par John Russell en 1973, petite cace-dédi pour les aficionados de graphisme.

En bas à droite de la pochette on voit un logo représentant une feuille de cannabis dessinée sur ordi avec des facettes en relief, rétroéclairée par un petit effet lueur verte qui fleure bon photoshop et à côté le titre de l’album « 2001 » dans la même typo.

Sans oublier en bas à gauche la présence bien visible d’un sticker « Parental Advisory Explicit Content» qui me donnait quand j’étais ado l’impression d’être au top de la rébellion parce que j’écoutais un truc interdit. D’ailleurs, plus j’écoutais de disques portant ce sticker, plus j’avais l’impression de m’acheter une crédibilité cool au sein de ma classe et parmi mes potes. Ouais on est un peu teubé à cet âge là.

Manu : Mais dis donc ce label « Parental Advisory » il sort d’où ?

Il est apparu en 1985 suite à un accord entre l’Association interprofessionnelle de l’Industrie du Disque aux Etats-Unis, la RIAA (Recording Industry Association of America) et deux associations conservatrices de parents préoccupés par les contenus explicites dans la musique, c’est à dire des morceaux dont les paroles parlent de sexe ou de violence, d’alcool, de drogue, d’occultisme, etc. Le premier album à en être affublé, c’est Jazz from Hell, un disque -je précise- instrumental de Franck Zappa qui date de 1986. Zappa était un des grands opposants au projet, c’est pour ça qu’il en a fait les frais. En France, il n’y a aucune obligation de mettre ce genre d’avertissement sur les pochettes d’albums mais y’a des rappeurs comme Booba ou Kaaris qui l’ont fait parce que c’est trop stylé tavu.

Pour revenir à la pochette de l’album 2001, citons les personnes qui ont travaillé dessus : le designer graphique Jason Clark, et les deux photographes Donn Thompson et Stan Musilik qui ont réalisé les photos qui se trouvent à l’intérieur du livret, genre la photo de Dre penché sur sa table de mixage avec le nez plongé dans un sachet d’1 kg de weed. Ouais ouais. A part asseoir l’image de gangster de Dre et sa bande, c’est pas très intéressant, ce qui m’a le plus frappé et que j’ai envie de souligner c’est la filiation évidente entre cette pochette et les codes esthétiques du film Matrix, sorti tout juste 8 mois avant l’album. Je me rappelle parfaitement en 1999 le choc visuel et culturel que ce film a été pour tout le monde, l’avancée technique de ouf que ça représentait en terme d’effets spéciaux et puis le scénario lié au virtuel, au numérique, à l’informatique, qui était hyper actuel dans cette époque où internet n’était pas encore devenu roi. Pour moi, perso, Matrix a été un grand tournant, c’est peut-être LE film qui a le plus marqué mon adolescence et ça ne m’étonne finalement pas du tout que ce truc hyper reconnaissable de la typo digitale verte sur fond noir qu’on voit dans le film se soit retrouvé sur la pochette de Dr Dre, dont le but était de lui-même créer un album qui annonce l’entrée dans une nouvelle ère musicale, avec le passage au nouveau millénaire.

On pourrait penser qu’une fois parti sur cette bonne lancée, le disque ait été accompagné de clips innovants, eh bien pas vraiment. On en dénombre 3 sortis dans le cadre de la promo : Still D.R.E sorti en octobre 99, Forgot about Dre en janvier 2000 et The Next Episode en juillet 2000. Sur les 3, il y en a 2 qui sont vraiment lourdissimes dans le style gansgta rap. Dans Still DRE par exemple, réalisé par Hype Williams, on voit Dr Dre et ses potos Snoop Dogg, Xzibit, Shaquille O’Neal, Warren G, Eminem, The DOC, rouler en lowrider à travers Los Angeles, y’a plein d’autres voitures qui rebondissent remplies de thugs et de meufs à moitié à poil qui twerkent au rythme des basses. A un moment toutes les voitures se retrouvent sur un parking au bord de la plage et ça tourne en mega block-party avec des centaines de gens qui dansent et mattent toutes les poufs environnantes.

Avec le clip de The Next Episode, réalisé par Paul Hunter, on va un cran au dessus dans la beaufitude

INSERT — The next episode

ça se passe dans une boite de nuit avec des gogo danseuses qui font du pole dance pendant que des mecs leur balancent du cash à la gueule, picolent et fument des spliff en crachant la fumée dans l’objectif de la caméra.

Y’a pas de scénario et pas d’autre intention dans ces deux vidéos que de faire l’apologie du combo habituel : sexe, drogue, fête et alcool. Quand on regarde ça au premier degré, c’est vraiment exaspérant de nullité mais si on veut creuser un peu pour comprendre le pourquoi du comment, on peut prendre ça comme des illustrations quasi-sociologiques de ce que sont le gangsta rap et le rap West Coast, c’est à dire des courant musicaux issus de la pègre dont les premiers MC étaient eux-même des vrais dealers et des membres de gangs, comme Ice T ou Eazy-E de N.W.A par exemple.

Il y a des thèmes récurrents comme la misogynie, la violence, le racisme, la drogue ou le proxénétisme qui soit faisaient réellement partie de la réalité de tous ces rappeurs, ou soit leur donnaient l’opportunité de simplement se faire une place dans le milieu très concurrentiel du hip-hop en allant encore plus loin dans la vulgarité et dans la frime.

Concernant Dr Dre, on peut se demander à quelle point cette image de voyou est exagérée , Genre dans ‘The Defiant Ones’, sa propre mère se demande pourquoi il y a autant d’insultes dans ses chansons alors qu’il n’en prononce jamais dans la vie… Et concernant l’album 2001, on a justement vu tout à l’heure que c’est sa femme qui lui a conseillé de revenir aux sources avec des morceaux sans concessions.

Sur ce plan là d’ailleurs, il va être bien épaulé par son nouveau poulain, l’enfant terrible de Detroit, aka Eminem, qui est réputé pour ne respecter rien ni personne dans ses morceaux. C’est lui, Eminem, qui écrit intégralement les excellentes paroles de Forgot About Dre dans lequel on l’entend rapper sur le refrain. Et cette collab’ de haut vol va donner lieu selon moi au meilleur des 3 clips de l’album, réalisé par Philip G. Atwell et qui a d’ailleurs remporté un prix au MTV Awards en 2000.

INSERT — forgot about dre

La vidéo s’ouvre avec Dr Dre en train de chanter de nuit devant un marchand de journaux. On le voit aussi dans un couloir aux murs remplis de disques d’or et de platine en référence à sa florissante carrière de producteur. Eminem chante en parallèle dans une allée sombre. On enchaîne avec une autre séquence dans laquelle les deux arrivent bourrés devant une maison de banlieue, ils sortent de voiture pour pisser et vomir sur la clôture d’une vieille qui leur hurle de dégager sinon elle appelle la police. Quelques instants plus tard Eminem est interviewé par une journaliste qui couvre en direct l’incendie de cette même maison et on devine évidemment qu’il est sans doute à l’origine de l’accident… C’est gonflé, cynique et drôle à la fois. Pour moi là on est en plein dans ce que Dr Dre a voulu créer avec son album, comme il le déclare en 99 dans une interview au New York Times :

« Je n’essaye pas d’envoyer des messages ou quoi que ce soit avec cet album. Je fais simplement du hip-hop hardcore et essaye d’y ajouter une touche de comédie dark ici ou là. Très souvent les médias prennent ça et essayent d’en faire autre chose alors que c’est juste du divertissement à la base. Vous ne devriez pas le prendre au pied de la lettre. (…) C’est album est comme un film, avec des situations variées. Vous avez des montées en puissance, des moments touchants, des moments agressifs. Vous avez même une « Pause for Porno ». Il y a tout ce qu’il faut mettre dans un film. »

Voilà, puisqu’on parle de film je voudrais conclure en invitant tout le monde à regarder les séries documentaire The Defiant Ones et Hip Hop Evolution sur netflix, et le film Straight Outta Compton qui racontent le parcours de ce rappeur, producteur et entrepreneur de génie. Il y a quelque chose de complètement fascinant pour moi d’un point de vue social et historique dans tous ces récits sur la naissance du hip hop, et le parcours de Dre en particulier. Vraiment foncez, vous m’en direz des nouvelles 🙂 

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “