Will Smith “Big Willie Style”
(1997)
EN QUELQUES MOTS
Aujourd’hui, on va vous parler de Willard Carroll Smith Jr plus connu sous le nom de Will Smith. En 1997, Will Smith est partout. Après avoir conquis le petit écran avec Le Prince de Bel-Air et explosé au cinéma avec Independence Day et Men in Black, Will Smith décide de revenir à son premier amour : la musique. Mais cette fois en solo.
Big Willie Style, est un album grand public à dominante funk et disco, à contre courant du gangsta rap qui domine les charts. Grâce à un flow décontracté et des refrains accrocheurs, Will Smith enchaîne les hits : Men in Black, Just the two of us, Just Cruisin, Miami et bien sûr Gettin’ Jiggy wit It qui tournent tous en boucle sur MTV.
Un grammy en poche et quelques 12 millions d’albums vendus plus tard, Will Smith prouve qu’on peut être rappeur, acteur et superstar mondiale sans jamais sacrifier le fun. Mais comment Big Willie Style a-t-il réussi à marquer les esprits en pleine ère du rap hardcore ? C’est ce qu’on va vous raconter dans cet épisode !
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Retour en 1997
Voilà pour les 16 titres originaux de “Big Willie Style” ! Il y en a même 17 sur la version européenne : c’est Just Cruisin déjà présent sur la BO de Men in Black qu’on retrouve en bonus à la fin de la tracklist. L’album sort le 25 Novembre 1997 en CD, Cassette, Vinyle et MiniDisc chez Columbia, Columbia un label de Sony Music.
1997 c’est une année charnière pour le hip hop. Le 9 mars 1997, The Notorious B.I.G. est assassiné à Los Angeles, six mois après 2Pac. Ce double drame marque la fin rivalité East Coast versus West Coast qui avait domine le hip-hop depuis le début des 90s. Et ça change tout : on assiste à une bascule du gangsta rap vers un rap plus mainstream et festif.
1997 est donc l’année où le rap devient un phénomène pop mondial. Cette année-là on retrouve dans les bacs à côté du Big Willie Style, “No Way Out” de Puff Daddy et son tube I’ll Be Missing You. On est en pleine montée du rap commercial. Même le vétérant LL Cool J s’essaie au rap à l’eau avec “Phenomenon”.
En France, on apprend par cœur les paroles de “L’école du Micro d’argent” de IAM, on écoute NTM en live au parc des Princes “Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu”, “Quelques gouttes suffisent d’Arsenik” de Arsenik et bien sûr la “Première consultation” de Doc Gynéco” !
La story de Will Smith
Manu : Allez, on va revenir maintenant sur la success story de “Big Willie Style” avec toi Olivia. C’est une bouffée d’air frais dans le rap game : ça groove, c’est funky, et surtout… c’est inoffensif. Complètement à contre-courant et pourtant Will Smith va réussir va en vendre 12 millions d’albums. C’est complètement fou.
Olivia : Faut replacer l’album dans son contexte : nous sommes donc en 1997, le hip-hop est dominé par le gangsta rap et les tensions entre la côte Est et la côte Ouest. Tupac et Biggie viennent d’être assassinés, et l’ambiance est plutôt… intense.
À côté de ça, on a Will Smith qui débarque avec son flow léger, ses instrus joyeuses et ses punchlines bon enfant… et bizarrement, ça va cartonner !
Ce rap parental advisory-friendly puise ses racines dans la personnalité et le parcours de Will Smith. Revenons un peu en arrière !
Willard Carroll Smith, Jr. naît à Philadelphie en 1968. Sa mère Caroline travaille dans une école et son père Willard Carroll Smith Sr. est un vétéran reconverti en réparateur de réfrigérateurs. Il est élevé dans la foi chrétienne baptiste. Dès son enfance, Will Smith se révèle être très malin et surtout très charismatique. Il est capable de charmer par ses bagout et ainsi d’éviter pas mal d’ennuis. Si bien que ses professeurs du lycée le surnomment « Prince Charming »
Manu : En 1982, Will Smith a 14 ans. Son héros, c’est Eddie Murphy qui d’ailleurs vient de sortir un album de comedy rap. On s’écoute un extrait de “Boogie in your butt” / littéralement “le boogie dans tes fesses”, vous allez voir c’est… étonnant :
INSERT — Eddie Murphy https://www.youtube.com/watch?v=-peWHO6pRnQ&ab_channel=EddieMurphy-Topic
À seize ans, il fait la rencontre qui va tout changer : Un soir, alors qu’il est tranquillement posé chez lui, Will entend la musique d’une fête qui se déroule à quelques blocs. Il se pointe et rencontre Jeffrey Townes aux platines ce soir-là. Mais problème : son MC est en retard et la soirée risque d’être gâchée. Ni une ni deux, Will s’empare du micro et fait le show. L’alchimie est immédiate ! Ils deviennent très potes et se lancent ensemble : Jeff devient DJ Jazzy Jeff et Will Smith, The Fresh Prince.
En 1987 bingo ! le groupe sort son premier album « Rock the House » contenant le hit Girls Ain’t Nothing But Trouble.
INSERT — DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince
https://www.youtube.com/watch?v=IOaFh-yJk_k
Jazzy Jeff and The Fresh Prince continuent sur leur lancée en sortant He’s the DJ, I’m the Rapper en 1988. C’est un double album, format couramment utilisé en rock, mais innovant dans le monde du rap de l’époque. Le single Parents Just Don’t Understand est un énorme carton et leur vaudra un Grammy Award dans la catégorie Meilleure Performance Rap.
La raison de ce succès est assez simple : des instrus funky, un flow léger et des punchlines rigolotes, on ne parle pas politique, on ne fait pas de polémique. Tout le monde peut s’y identifier. C’est le bonheur des radios et de tous les parents américains !
Et selon Will, cette recette, il la doit à sa grand-mère :
INSERT — ITW Will 99
https://www.youtube.com/watch?v=sw4DoLJh3II
“Quand j’ai commencé à écrire des rimes en 19…Ouais, c’est probablement en 1980 que j’ai vraiment commencé à m’asseoir et à écrire des rimes. Et j’écrivais des raps dans mon cahier, et j’utilisais des mots de quatre lettres là-dedans.
Ma grand-mère a trouvé mon carnet de rap, et elle a écrit un mot à la fin :
Elle a dit : « Cher Willard » (c’est ainsi que ma grand-mère m’appelait, Willard) Elle a dit : « Cher Willard, les gens vraiment intelligents n’ont pas besoin d’utiliser des mots comme ceux-ci pour s’exprimer. Montre au monde que tu es aussi intelligent que nous le pensons.
Alors, je me suis dit : « Ok, d’accord. Très bien, grand-mère, tu as raison, tu as raison.
Manu : En 1991, DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince met l’Amérique aux couleurs du « Summertime », un rap fun, frais, drôle et un peu frimeur. Le tube se place à la 4e place du Billboard Hot 100 et leur rapporte un deuxième Grammy”
INSERT — Summertime
https://www.youtube.com/watch?v=Kr0tTbTbmVA
Mais depuis quelques mois déjà, la carrière de Will Smith est en train de prendre un nouveau tournant. Il est contacté par Quincy Jones qui produit une sitcom basée sur la vie de son auteur Benny Medina : l’histoire d’un ado des quartiers pauvres de Philadelphie, qui déménage chez son oncle et sa tante à Bel-Air, le quartier le plus chic de la ville. Vous vous en souvenez forcément :
INSERT — Générique Le Prince de Bel-Air
https://www.youtube.com/watch?v=OPVqumgVSlY&t=17s
Manu : Rahhh boum ! Les souvenirs qui remontent à la gorge direct, là !
L’histoire de ce générique d’ailleurs est complètement folle. En fait en 1989 Will Smith est le roi du monde, il crame toute sa tune dans des bagnoles, chez Gucci etc. Mais pas de bol un jour le FISC lui réclame 3 millions de dollars d’arriérés d’impôts. C’est la douche froide ! Les huissiers saisissent sa maison, le mec se retrouve à poils. En gros il a pas le choix il est obligé d’accepter de jouer dans une sitcom : c’est ringard aujourd’hui et ça l’était déjà à l’époque. Je vous renvoie à un des premier épisodes bonus de Radio K7, je vous raconte toute l’histoire. Mais revenons à nos moutons Olivia.
Le Prince de Bel-Air débarque sur NBC en 1990 avec Will Smith dans le rôle principal. Le succès est immédiat à tel point que lorsque la chaîne annonce arrêter le programme au bout de trois saisons, les fans se mobilisent et envoient des milliers de lettres. Finalement la série sera reconduite pour trois saisons supplémentaires jusqu’en 1996.
Mais avec Le Prince de Bel-Air, c’est surtout la notoriété de Will Smith qui explose. Le public, essentiellement familial, grandit en regardant Will Smith grandir. On s’attache à ce Will fictionnel qui porte le même nom que son acteur. Les deux ne sont plus qu’un, les frontières entre réalité et fiction s’estompent : il y a notamment cet épisode où le père de Will (le personnage de la série donc) réapparait. Will pense que son père est de retour pour de bon et décide de lui redonner sa chance… jusqu’à ce que ce père finisse par le décevoir une nouvelle fois.
Beaucoup de spectateurs, en larmes, ont pensé que cette histoire était basée sur les propres expériences de vie de l’acteur. Alors que rien n’a voir… le père du vrai Will Smith a toujours été très présent dans sa vie. L’épisode va durablement rester dans les mémoires et imposer Will Smith comme un véritable acteur à l’avenir prometteur.
Et c’est cette proximité avec son public, ce côté mec sympa et proche des gens qui va installer la marque Will Smith, comme on le verra aussi avec Fanny tout à l’heure.
Manu : D’autant que sa carrière de rappeur avec, DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince, commence à s’essouffler. La dernière tentative du Fresh Prince et Jazzy Jeff, No Code, sorti en 1993 fait un énorme bide.
Will Smith décide alors de mettre sa carrière de rappeur de côté pour se consacrer au cinéma. Après « Le Prince de Bel Air », il joue ses premiers grands rôles dans « Six degrés de séparation » en 1993 et « Bad Boys » en 1995. Il faut garder en tête que dans les années 90, il y avait une sorte de fossé entre la télévision et le cinéma. C’était donc considéré comme un miracle qu’un artiste puisse passer de la musique à la télévision puis au cinéma.
En 1996, Will Smith casse la baraque dans Independence Day. Le film est un énorme succès, rapporte 800 millions de dollars et devient, à l’époque, le deuxième film le plus rentable de l’histoire du cinéma, juste derrière Jurassic Park. Will Smith s’installe sur la liste A des acteurs du box-office et devient une valeur sûre à Hollywood.
INSERT — Men in Black
https://www.youtube.com/watch?v=fiBLgEx6svA
Manu : Du coup c’est le super bingo, Will Smith revient l’été suivant au cinéma dans “Men in Black” ! Il réussit un autre petit miracle, Olivia, celui de sauver le monde d’une menace extra-terrestre, deux étés de suite. C’est génial, non ? Nouveau record : plus de 600 millions de dollars. Et un succès n’arrivant jamais seul, le single qui fait office de générique pour le film se place en tête des charts.
C’est ce tube qui va relancer la carrière musicale de Will Smith, en solo cette fois.
Il débarque le 25 novembre 1997 avec « Big Willie Style » et ne change pas la recette de la win : c’est feel-good à fond !
INSERT — PUB BIG WILLIE STYLE Just Cruisin / Getting Jiggy… https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/publicite/pub745704108/will-smith-album-version-35-secondes?utm_source=pocket_shared
L’album se classe 8e au Billboard 200. Il s’écoule à plus de 9 millions d’exemplaires aux États-Unis et à plus de 12 millions dans le monde, devenant au passage l’un des albums rap les plus vendus de tous les temps.
Notamment grâce à « Gettin’ Jiggy Wit It » c’est LE morceau qui fait trembler les dancefloors. C’est un peu le « Danse le mia » de Will Smith !
Trois semaines en tête du Billboard, un Grammy Award dans la catégorie « meilleure performance rap solo », et surtout… il a fait entrer l’expression « Gettin’ Jiggy » dans le langage courant. Aujourd’hui, plus personne ne dit ça, mais à l’époque, t’étais pas cool si tu ne « Gettin’ Jiggy » pas avec la vie. Les commentateurs sportifs commencent à utiliser l’expression, jusque dans la série Seinfeld qui se l’approprie aussi.
Manu : Mais alors ça veut dire quoi « Gettin’ Jiggy Wit It » ?
Très bonne question ! Il semblerait que cela veuille dire plein de choses mais toujours pour évoquer quelques chose de funky, cool et sexy. Sa signification va finir par glisser et l’expression sera aussi utilisée dans le sens de « avoir des relations sexuelles avec ».
Will Smith a déclaré dans une interview que son inspiration venait du terme jigaboo, utilisé de manière péjorative au sujet des Afro-Américains. Dans son sens littéral, cela voudrait dire « devenir Afro-Américain avec ça » en référence au mythe populaire d’un sens inné du rythme chez les Noirs. Will Smith récupère l’expression autrefois offensante, la détourne et fait en sorte de la rendre cool !
Manu : « Big Willie Style », c’est donc l’avènement du rap populaire, sans prise de tête et accessible à tout le monde. T’es ado en 1997 ? Tu kiffes. T’es un daron ? Tu kiffes aussi. Même ta mamie peut kiffer !
C’est d’ailleurs ce qui va désarçonner la presse musicale de l’époque. Beaucoup considèrent qu’il ne s’agit pas de « vrai » rap, que c’est trop commercial… Le magazine « Rolling Stone » écrit que c’est « un bon album pour les fêtes de famille, mais pas vraiment du hip-hop ».
The Source lui reconnaît un certain talent pour le divertissement, mais le trouve trop léger pour être pris au sérieux ; alors que Billboard le considère comme « un vent de fraîcheur dans une industrie de plus en plus violente ».
Mais finalement peut-être que le très lisse Will Smith n’a jamais cherché autre chose : juste s’amuser et faire danser les gens. Et franchement c’est déjà pas mal !
Allez on se quitte avec une rare version live de Gettin’ Jiggy Wit It, enregistrée en 2005.
INSERT — Gettin Jiggy with it (live 2005)
https://www.youtube.com/watch?v=mm6y_mLiQGg
Manu : Merci Oli pour cette story Will Smith. Grosse carrière. Si voulez en savoir plus, je vous recommande la lecture de livre tout simplement intitulé “Will” sorti en 2021 dans lequel Will Smith se raconte – et se la raconte aussi un peu. Parce que derrière la méga star, Will cachait beaucoup de douleur. C’est ce qui l’a poussé à vouloir toujours plaire aux autres et créer ce personnage amusant et joyeux que l’on connaît. Je cite “Aimer et être aimé est la plus grande récompense que l’on puisse tirer”. Voilà un peu de sagesse dans ce monde de paillettes.
Si vous voulez avoir des anecdotes sur le making of Big Willie Style par contre, vous n’en trouverez pas. Mais heureusement, Grégoire à mené l’enquête pour vous, c’est l’heure de rejoindre Greg en studio.
Le making-of de "Big Willie Style"
Manu : Big Willie sort donc en novembre 1997, seulement 4 mois après le carton au cinéma de MEN IN BLACK et du single qui l’accompagne, on peut dire que l’ami Will a appliqué le bon vieil adage : battre le fer quand il est chaud !
Grégoire : Oui effectivement c’est le timing parfait, après avoir écrasé la concurrence dans les salles obscures pendant l’été, Will Smith surfe sur son succès pour dégainer un projet XXL, tournant majeur dans sa carrière musicale après la période DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince. L’album a été enregistré très rapidement en une poignée de semaines, on a pas les dates exactes mais comme Men In Black est sorti en août, on imagine que le disque a été finalisé quelque part entre septembre et début novembre.
L’enregistrement a eu lieu principalement à New York aux Right Track Studios et à The Hit Factory, studio historique fondé par Troy Germano et qui ont vu passer les plus grands, de Stevie Wonder à Paul Simon en passant par Bruce Springsteen ou encore les Talking Heads. Trois titres ont toutefois été enregistrés à Philadelphie dans le studio de son ami Jazzy Jeff et « Just the Two of Us », la reprise du standard de Bill Withers a elle été immortalisée au Pacific Recording Studios à Los Angeles. C’est également dans la cité des Anges qui les interludes humoristiques avec l’acteur Jamie Foxx ont été enregistrés.
Manu : Après le blockbuster au cinéma, Will Smith veut en fait signer son premier blockbuster musical
Oui c’est exactement comme ça qu’il faut l’envisager, le projet c’est de toucher le plus grand nombre en proposant un hip hop mainstream et festif qui tend vers la pop. Le style de Big WIllie, c’est d’être le plus lisse possible en proposant de bons gros samples disco et RNB des années 80, ultra produits et rappés sans vulgarité, ni menace. Une exception dans le rap game qui vaudra à Will Smith des quolibets fréquents de la part de ses confrères, notamment d’Eminem qui tacle dans “The Real Slim Shady » cette image de rappeur clean et inoffensif.
“Will Smith don’t gotta cuss in his raps to sell records Well, I do, so fuck him and fuck you too” // “Will Smith n’a pas besoin de jurer dans ses raps pour vendre des disques. Eh bien, moi je le fais, alors je l’emmerde et je t’emmerde aussi !”
En tout cas, pour cartonner Will Smith ne laisse rien au hasard. Il s’entoure de poids lourds de la production comme L.E.S, surtout connu pour ses collaborations avec Nas et d’autres figures majeures du rap des années 90 et 2000. Les autres grands artisans du succès de l’album, ce sont évidemment les Trackmasters, duo de producteur connu sous le nom de « Poke and Tone » et que l’on a déjà croisé dans Radio K7 dans notre épisode sur NOTORIOUS BIG.
INSERT — Juicy
Le duo fait la connaissance de Will Smith sur la BO de MEN IN BLACK, un projet qu’il commence par refuser car le dernier hit du rappeur remonte à Summertime en 1991, une éternité, mais le salaire qu’on leur propose finit par leur faire changer d’avis, et puis sans doute aussi la sincérité de Will Smith. Dans une interview, Poke explique que l’acteur est venu vers eux en leur disant « écoutez je sais que je suis un ringard mais quoique vous me proposiez pour être cool, je serai partant ».
Dont acte. MEN IN BLACK est un carton et le duo s’entend finalement super bien avec Will Smith, si bien que dans la foulée du succès du film, ils décident de se lancer avec lui dans Big Willie Style. En studio, ils décrivent un Will Smith très décontracté qui adorait bien bouffer et refusait de faire des heures supp, se limitant à des horaires de travail de 13 heures à 19 heures, pas une minute de plus.
Autre petite anecdote racontée par le duo : Miami, l’un des derniers titres enregistrés pour l’album, est née d’une idée bien précise. Les producteurs voulaient qu’une fille dise en Espagne « Bienvenido a Miami ». Pour cela, ils sont descendus dans la rue devant la Hit Factory et on demandé à des filles d’origine hispanique de venir enregistrer la phrase digne d’un spot publicitaire pour l’office de tourisme de Floride. Beaucoup ont pensé qu’ils étaient dingues, en revanche, super souvenir pour celle qui s’est retrouvée en studio avec Will Smith.
INSERT — Miami
Manu : Et il y en a un pour qui ça devait pas être évident de voir l’arrivée ce duo de producteurs dans la vie de Will Smith, c’est Jazzy Jeff qui est un peu mis de côté sur cet album…
Jazzy Jeff c’est le pote d’enfance, c’est son producteur, son alter ego musical, et pour la première fois il doit s’effacer pour laisser son vieux pote Will prendre une nouvelle dimension. Une période un peu délicate comme l’explique Will Smith dans Broken Record Podcast dans un épisode qui vient de sortir en février 2025
“Poke and Tone était signé sur Columbia. Je me souviens plus exactement de notre première rencontre mais ils incarnaient vraiment le top du top, ils produisaient tout le monde comme NAS ou Mary J Blige, ils faisaient des tubes, c’était les gars du moment. Et c’était un peu dur car Jeff jusqu’à présent avait tout produit pour moi. On n’avait jamais bossé avec d’autres personnes et là c’est moi qui suis allé les chercher. Après Jeff, c’est vraiment quelqu’un de facile à vivre mais c’est vrai que ça été un peu difficile pour lui car de mon côté, j’essayais de faire quelque chose de nouveau, de trouver une nouvelle direction. Cela devrait être l’un des principales qualité d’un homme, être capable de changer et de se transformer”
Malgré tout Jazzy Jeff, qui à l’époque, développait son propre label de nu soul, A Touch of Jazz n’est pas non plus écarté du processus créatif, il donne aussi son avis et même s’il n’est pas officiellement crédité, il participe à la direction artistique de l’album. Et puis bien évidemment, on retrouve Jazzy Jeff au scratch, technique qu’il peaufine depuis les années 80.
INSERT — The Magnificent Jazzy Jeff
En fait, Will Smith raconte dans le podcast dont on vient d’écouter un extrait que Jazzy Jeff a eu un cancer quand il était adolescent et quand il le rencontre il est en rémission mais doit rester chez lui, on imagine qu’il est immuno déprimé et doit éviter les contacts avec le monde extérieur. Il passe donc ces journées derrière des platines entouré de 10 000 vinyles. Il finira par battre la maladie et devenir le roi du « transform scratch ». C’est donc tout naturellement que l’on retrouve son coup de patte sur de nombreux titres de « Big Willie style » qui vont créer des virgules sonores pour dynamiser encore un peu plus l’album, petit exemple avec « Its all good » qui sample sans vergogne deux méga tubes : Good Times de Chic et la fameuse ligne de basse de Rapper’s Delight de Sugar Hill Gang
INSERT — It’s All good
Manu : On a vu côté prod, c’est du lourd voire du très lourd, du côté de l’ingé son c’est pas mal non plus…
Là encore, il prend pas les moins bons, Will Smith s’attache les services de Ken « Duro » Ifill, maître du mixage qui a travaillé avec des pointures comme Nas, The Notorious B.I.G., ou encore Jay-Z. Son rôle sur Big Willie Style ? c’est d’assurer un son net et brillant, parfaitement calibré pour les radios et les clubs. On imagine que beaucoup de matos haut de gamme pour l’époque ont été utilisés : des Akai MPC3000 pour les beats, des samplers Emu SP-1200. On sait cependant que Duro aimait aussi jouer sur les réverbs Lexicon pour donner plus d’ampleur au son de cet album qui vient piocher un peu partout les bonnes idées pour créer cet équilibre hip-hop classique et pop festive.
Manu : Piocher les bonnes idées et les bons samples, tu as parlé de Chic et Sugar Hill Gang, on peut aussi citer Bill Withers ou encore Stevie Wonder, l’album entier s’appuie sur des boucles de morceaux souls et disco des années 80…
Oui effectivement, il y en a tellement qu’on ne peut pas tous les faire mais on va décortiquer au moins les singles. On commence avec Men In Black, sa basse chaude, ses claps entraînants, totalement pompée sur Forget Me Nots, single de 1982 de la chanteuse Patrice Rushen
INSERT — Patrice Rushen
On continue avec Miami et son synthé ensoleillé qui s’appuie sur les premières mesures de « and The beat Goes » on du groupe The Whispers
INSERT — The Whispers
Allez on finit en beauté avec « Gettin’ Jiggy wit It » et son sample du titre disco « He’s the Greatest Dancer » de Sister Sledge et celui de The Bar Kays pour le chœur du refrain.
INSERT — The Bar Kays
Voilà pour les coulisses de ce Big Willie Style qui sans réinventer la poudre à canon se montre diablement efficace avec son mélange de hip hop grand public et de pop ensoleillé, son son ultra produit destiné à faire danser dans les clubs, bref un album plein de good vibes pensé et taillé pour devenir un hit mondial.
Manu : C’est génial le mec, il a trouvé la combine. Il veut sonner comme les mecs de la street, il se rêve en Notorious BIG, ils bossent avec toutes ses prods et celle de Nas aussi. C’est incroyable. Et greg tu l’as pas dit, mais Nas aurait lui-même participé à Big Willie Style ! Je cite : “Will et moi on traînait ensemble en studio. Je lui ai filé deux, trois lignes. Rien de sérieux, c’est vraiment lui qui a écrit le truc. C’est un vrai MC”.
Incroyable, mais vrai : Nas n’a jamais remporté de Grammy pour son propre travail, mais il en a obtenu un pour avoir coécrit « Gettin’ Jiggy Wit It » de Will Smith.
L'univers visuel de Will Smith
Manu : Merci Greg ! Après ce tour d’horizon du son de Will Smith, partons se plonger dans son univers visuel avec toi Fanny, c’est tout aussi groovy mais avec une touche de bling-bling !
Fanny : Exactement Manu ! Aujourd’hui, on dégaine nos plus beaux survets flashy, on se met un petit coup de déo Obao, et on retourne en l’an de grâce 1997 décrypter le staïle de ce « big willie style ». Un album qui transpire la bonne humeur, le hip-hop familial et le branding malin. On va commencer par décrypter ensemble la pochette puis s’attarder sur un clip mais je vous en dit pas plus pour le moment !
Manu : Oh là là, je sens déjà les Jiggy vibes monter en moi ! Commençons par la pochette alors !
Fanny : Alors la pochette, c’est franchement une belle réussite. Le photographe américain qui est derrière s’appelle Michael Lavine, et au départ il est surtout connu pour ses clichés de la scène musicale alternative. C’est le parfait exemple du mec qui était là au bon endroit au bon moment, puisqu’il a été un témoin privilégié de l’émergence du mouvement grunge à Seattle. Résultat ? Il a signé la pochette d’un album un petit peu connu dont on a déjà parlé dans Radio K7… Vous voyez celle avec le bébé sous l’eau nageant vers un billet de 1 dollar ? Voilà, Lavine c’est ce genre de mec, qui a signé ce genre de pochette. Pas trop dégueu comme palmarès.
Outre « Nevermind » de Nirvana, il a également photographié Soundgarden, Pearl Jam, Hole pour « Celebrity Skin », etc etc. La liste est longue !
Manu : Mais Michael Lavine n’a pas seulement excellé dans le rock alternatif je crois…
Non, en effet ! Son objectif a aussi capturé l’effervescence de la scène rap, un autre pilier culturel des années 90. Il a réalisé notamment la pochette de « Life After Death » de The Notorious B.I.G., avec l’image prémonitoire montrant Biggie devant un corbillard, pour cet album sorti 15 jours avant sa mort. Evidemment cette pochette va devenir légendaire… Dans une interview sur le site de Clique, Lavine déclare la chose suivante :
« J’ai travaillé avec Nirvana, Sonic Youth et les Beastie Boys », dit-il. « Et les puis artistes Hip Hop ont commencé à m’engager – ils me voulaient parce que je les faisais ressembler à des rock stars ».
Est-ce que c’est pour ça que Will Smith l’a choisi ? On ne saura pas, mais toujours est-il que pour la pochette de « Big Willie Style », Lavine nous sort ici une image différente de son registre habituel. Exit les ambiances sombres de Seattle, exit le cimetière lugubre de Biggie, bonjour le grand ciel bleu ! On voit Will Smith debout sur un rocher, habillé décontracté en t-shirt blanc et baggy bleu, la chemise ouverte flottant dans le vent. Il lève un bras vers le ciel, l’index pointé vers le haut, dans une pose triomphante qui le fait ressembler à une version masculine de la Statue de la Liberté. L’arrière-plan est un dégradé de ciel bleu, avec un halo de lumière qui émane de Will, créant un effet presque divin.
Manu : Amen !
Le titre de l’album et le nom de Will Smith sont affichés en grosses lettres blanches avec un contour jaune, dans une typographie simple mais percutante. L’ensemble dégage une impression de grandeur, de réussite et d’optimisme, parfaitement en phase avec l’image positive et accessible de Will Smith à cette époque. Tout est fait pour envoyer un message de coolitude ultime. C’est simple, cette pochette, c’est une pub ambulante pour la confiance en soi, elle te dit : « Regarde, c’est moi le GOAT ! Je suis au top du rap game et de ma carrière dans le ciné, personne d’autre n’est plus cool que moi »
Manu : Et là où il est fort, c’est que cette image de mec cool lui a permis de vendre du rap à des millions de foyers américains comme Olivia nous le disait. C’est l’un des premiers rappeurs mainstream en gros…
Fanny : Exactement ! C’est un peu l’équivalent US du rap à l’eau qu’on avait en France avec Doc Gynéco. Un parti pris qui va lui valoir quelques clashs avec d’autres rappeurs hardcore genre Eminem. Mais ce qui est ultra bien trouvé dans son branding et sa stratégie marketing, c’est effectivement de réussir à vendre du rap à toutes les tranches d’âges, jeunes y compris. Moi à 11 ans Will Smith c’est mon héros et le single de Men In Black c’est ma chanson préférée. En y repensant je me dis que c’est peut-être ça qui m’a fait mettre un pied dans le rap…
Manu : J’adore ! Et est-ce que cette image positive se prolonge dans les clips aussi ?
Eh bien pour le comprendre, on va se plonger tout de suite dans le clip de « Gettin’ Jiggy wit It » !
INSERT — Gettin’ Jiggy Wit It
Le réalisateur déjà, c’est Hype Williams, alias le roi du clip rap à l’époque. Il a signé des vidéos iconiques pour Tupac, The Notorious B.I.G., Jay-Z, Kanye West, Beyoncé ou encore TLC, façonnant l’identité visuelle du hip-hop à cette époque où MTV dictait les codes de la pop culture. Le clip de Still Dre évoqué dans notre épisode sur Dr Dre, par exemple, c’était Hype Williams !
Son truc à lui, c’est le fisheye, cet objectif qui déforme les perspectives et crée un effet immersif assez marrant. Cette technique, qu’il a aussi utilisée dans des clips genre de « Gimme Some More » de Busta Rhymes ou « The Rain (Supa Dupa Fly) » de Missy Elliott, amplifie l’énergie exubérante des artistes tout en offrant une distorsion visuelle très pop et cartoon.
D’ailleurs Hype Williams a expliqué en quelques mots sa démarche dans Interview Magazine :
“Je suis probablement l’un des derniers Mohicans qui se concentre d’abord sur le son, puis sur l’image en deuxième. Je me concentre essentiellement sur la chanson, sur ce qu’elle signifie pour les gens, et j’essaie de créer quelque chose qui fonctionne visuellement ou qui aide à comprendre la musique.”
Dans « Gettin’ Jiggy wit It », il utilise ça à fond : Will Smith est au centre de l’attention, toujours souriant et dansant avec aisance, au milieu de plans larges qui font exploser l’écran de couleurs. On a aussi des lumières éclatantes et un montage dynamique : bref un vrai concentré d’énergie positive et de glamour, qui correspond parfaitement au message de fête et de joie véhiculé par la chanson.
Manu : Niveau décors c’est un peu n’importe quoi non ? On dirait qu’Hype Williams a voulu faire le tour du monde en trois minutes, mais version Hollywood.
C’est totalement ça ! On commence en studio sur une piste de danse couverte de miroir avec des dizaines de boules à facettes qui se reflètent, puis on passe dans une salle capitonnée bleue avec un podium où Will et ses danseuses performent une chorégraphie bien stylée, tous lookés en survet Adidas bleu. Et puis là, sans crier gare, on switche en mode pharaon dans l’Égypte antique avec des dizaines de figurants déguisés en égyptiens. Et quelques minutes plus tard, on part pour Hawaï avec une cohorte de vahinés et de danseurs maoris pendant que Will danse dans son plus beau costard à fleurs.
Toutes ces séquences en carton pâte ont été tournées dans divers hôtels de Las Vegas : le Luxor pour l’Egypte, le Mirage et son volcan pour Hawaï, plus une scène devant l’hôtel New York-New York où on aperçoit une fausse statue de la liberté en arrière plan.
C’est l’époque où les clips de rap sont de vraies superproductions. La séquence égyptienne, pour moi, c’est un hommage au clip de Remember the Time de Michael Jackson… C’est gratuit, niveau histoire y’a même pas besoin de justifier ces choix scénaristiques. Et puis on est en pleine « Shiny Suit Era », où tout doit briller, où chaque clip est une petite aventure cinématographique. Donc c’est avant tout la dimension bling bling qui compte, le reste… balec.
Manu : Je crois que Hype Williams c’est vraiment le réalisateur phare de cette mouvance “Shiny suit” en plus…
Fanny : Ouais en 97, le premier clip qui va lancer le mouvement c’est “Mo Money, Mo problems” de Notorious Big, avec Puff Daddy et Mase. On a des danseuses qui se trémoussent, de la pyrotechnie et du fisheye à gogo. La même année, il fait un autre clip à Vegas qui reprend encore ces codes visuels : ultra coloré, ultra brillant avec des néons partout, c’est “Feel so Good” de Mase. Quand on le regarde après le clip de Will Smith, on comprend que Williams tient là une recette imparable pour faire des clips bling bling. Will Smith était l’un des artisans du Shiny Suit era, mais celui qui a le plus surfé dessus à mon avis, c’est Puff Daddy. Mais on gardera ça pour un prochain épisode peut-être, je vais m’arrêter là !
Manu : Eh bien merci Fanny pour cette analyse ! Je crois que je vais mettre ma casquette à l’envers et me refaire la choré ce soir !
Fanny : Comme tu veux Manu, mais fais gaffe passé 40 ans, l’abus de « wesh yo ! » peut nuire à ta santé !
À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST
Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.
Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !
« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »
Manu, Fanny, Olivia et Grégoire
“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “