Portishead « Dummy »
(1994)
EN QUELQUES MOTS
A la fin de l’été 94, surgit de nulle part une petite merveille baptisée « Dummy ». Une sorte de mariage de la soul la plus noire, du jazz le plus mélancolique et des musiques de films les plus romantiques. Avec Portishead, la musique indépendante change de décor.
Porté par les titres “Numb”, “Sour Times”, “Roads” et bien sûr “Glory Box”, le petit groupe de Bristol va rapidement se retrouver sur le devant d’une nouvelle scène fraîchement baptisée le “trip hop” et devenir un véritable phénomène.
Couronné d’un incroyable succès, le disque va non seulement contribuer à l’éclosion d’un nouveau style musical mais va aussi ouvrir la brèche à d’autres labels et d’autres groupes de Morcheeba à James Blake, en passant par Jay-Jay Johanson ou encore Goldfrapp.
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Retour en 1990
Voilà pour les 11 titres de Goooooo ! C’est le 6ème album de Sonic Youth. Il sort le 26 Juin 1990 en Cassette, CD et vinyle sur DGC, le tout nouveau label de David Geffen chez Universal, on va en reparler.
1990 c’est la fin de la guerre froide, l’Irak envahit le Koweit. Au cinéma on va voir Maman, j’ai raté l’avion de Chris Columbus et Cyrano de Bergerac. Jean-Michel Jarre rassemble 2,5 millions de personnes à la Défense, et La musique dans la peau de Zouk Machine squatte le top 50 pendant 9 semaines.
En 1990, on n’entend pas beaucoup de rock indé sur les radios. A la place c’est plutôt Depeche Mode, Bon Jovi et Phil Collins. Chez nos amis les disquaires aux côtés de Sonic Youth on découvre la même année le “Facelift” d’Alice in Chains, “Reapeter” de Fugazi, “Bossanova” des Pixies ou encore “Screaming Life” de Soundgarden. Que du lourd.
La story de Sonic Youth
Manu : Alors maintenant on va vous raconter comment Sonic Youth est devenu l’emblème de tout un mouvement. Et pour bien en comprendre tous les ressorts, on va revenir avec toi Olivia au début des années 80 à New York dans le quartier bohème du Lower East Side.
Vous savez que j’adore revenir sur les débuts, comment les groupes se sont rencontrés. Ici, et comme souvent pour les histoires d’amour (parce que c’est aussi une histoire d’amour), la rencontre se fait par l’intermédiaire d’une amie commune : Thurston Moore jouait du punk dans un groupe appelé The Coachmen. Kim Gordon dans un groupe nommé CKM avec deux amies. Et c’est l’une de ces amies, Miranda, qui présente Kim à Thurston.
Je vous raconte vite fait le coup de foudre, Thurston Moore s’en rappelle dans les moindre détails :
Greg : “Kim portait des lunettes avec des lunettes de soleil rabattables et avait un chien de berger australien nommé Egan. Elle avait une queue de cheval décentrée et portait une chemise et un pantalon à rayures bleues et blanches. Elle avait de beaux yeux et le plus beau sourire et était très intelligente et semblait avoir un intellect sensible/spirituel”
Ils traînent plusieurs soirs ensemble. Lui est clairement sous le charme mais ne sait pas si c’est réciproque. Il ne se passe rien. Et puis, un soir, au moment de reprendre le métro, elle finit par lui effleurer le bras et lui lance un “See you later” qui fait comprendre à Thurston que y’a moyen. Elle l’invite chez elle quelques jours plus tard pour venir jouer de la guitare (ouais, on la connaît cette technique !) et c’est là qu’ils s’embrassent pour la première fois. Ils se marient en 1984 et ont ensemble une fille Coco Gordon Moore qui naît en 1994. Une histoire d’amour assez classique. Sauf que les deux sont animés par une envie et une fureur de faire de la musique très loin de ce qui se fait alors.
Mais revenons en à la musique : durant l’année 1980, ils forment un premier groupe appelé Arcadians (du nom d’une tribu grecque de l’Antiquité qui utilisait la musique pour communiquer).Quelques mois plus tard, Thurston Moore et Kim Gordon recrutent le guitariste Lee Ranaldo après l’avoir vu joué au festival no wave Noise Fest de New York au sein de l’orchestre de guitares électriques de Glenn Branca.
https://www.youtube.com/watch?v=VBZgx0wKDww — 17’00
Le trio se produit quelques jours plus tard lors du même festival. Et pour la petite anecdote, il n’avait pas de batteur. Donc chacun jouait de la batterie à tour de rôle. Ils resteront sur cette configuration jusqu’au recrutement du batteur Richard Edson.
Thurston Moore expliquera plus tard que leurs concerts à l’époque, c’était surtout beaucoup de fracas sonore, fait à partir de baguettes de batteries, de tiges de fer et de perceuses.
Mais leur premier vrai concert aura lieu en septembre 1981 au New Pilgrim Theatre. On y découvre notamment une version plus ou moins avancée de “Burning Spear” qu’on va écouter tout de suite
https://youtu.be/iBtS_fBmR5w?t=655 — 10’55
Le hasard veut que Glenn Branca soit dans le public cette soirée-là. Après le live, il décide de fonder son label, Neutral, afin de publier un disque avec eux.
Un premier EP, tout simplement intitulé “Sonic Youth” sort donc en 82 sur le label Neutral et le groupe se prépare à enregistrer son premier véritable album.
L’enregistrement de Confusion Is Sex est une catastrophe : le batteur les lâche en plein enregistrement et les meilleures pistes seront effacées par erreur notamment à cause d’une canette de coca renversée sur les bandes. Il en résulte un album assez difficile d’accès.
C’est ainsi que très rapidement, Sonic Youth devient le fleuron de l’avant-garde artistique et bruitiste new-yorkaise, dans une lignée qui doit beaucoup au Velvet Underground, aux Stooges et à Glenn Branca, on l’a dit.
En 85, ils sortent Bad Moon Rising. Sur cet album majeur, on retrouve beaucoup de guitares saturées, ce qui devient leur marque de fabrique, leur signature. Chaque guitare est accordée à des intervalles incompatibles avec des accords conventionnels ou des cadences harmoniques. Cette approche ouvre des possibilités mélodiques et harmoniques inouïes : distordus, maltraités avec un tournevis, les instruments sonnent de façon totalement inédite. Moore compare d’ailleurs ses bruits à « des signaux de détresse ».
En 1986, c’est le déclic : ils comprennent que leurs techniques avant-gardistes peuvent s’approcher de structures plus conventionnelles et ne pas être seulement synonyme de déconstruction. Sister, en 1987, puis le monumental double album Daydream Nation en 1988, avec son hymne Teenage Riot :
https://www.youtube.com/watch?v=xvDuATZCY8I
Pour l’anecdote et surtout pour en écouter un extrait, Sonic Youth monte en parallèle un autre projet qu’ils appellent Ciccone Youth en référence à Madonna. Le groupe sort sous ce nom l’album The Whitey Album, qui contient notamment deux reprises de Madonna :
https://www.youtube.com/watch?v=RYpfEWpGIto
On est en 1990, Sonic Youth existe depuis 10 ans “et enfin ils signent sur une major” pour reprendre les mots de Kim Gordon. Ils sont bien conscients qu’ils ne vendront jamais des caisses mais ils ont très envie de voir comment leur son fonctionnerait avec un plus gros budget de production. Ils sont courtisés par toutes les majors Ils signent alors chez Geffen un gros label commercial. Pas parce David Geffen leur propose le plus de thunes mais parce qu’il leur offre une liberté artistique totale. Et le 26 juin 1990, Goo débarque chez les disquaires….
…Et Goo va devenir I’un des disques majeurs de la nouvelle décennie, véritable appel aux armes contre Ie son et les modes dominantes du rock. A sa sortie, l’album reçoit les éloges de la critique : Dans un article d’août 1990, le magazine Rolling Stone considère le disque comme l’œuvre la plus accessible de Sonic Youth. Goo est (je cite) un « essai brillant et prolongé dans un primitivisme raffiné qui réconcilie habilement les conventions structurelles du rock avec les passions jumelles du groupe pour l’élasticité tonale violente et l’holocauste garage-punk ». Le Los Angeles Times parle de Sonic Youth comme des “Rolling Stones de la noise music » et trouve que les guitares déformées, les rythmes dansants et les refrains entraînants du groupe sont tout à fait adaptés à la diffusion radio.
Le fait de passer sur une grosse maison de disques n’a absolument pas dilué leur fureur et leur inspiration. Bien au contraire ! Goo n’a rien d’un disque de vendus, ni d’une œuvre facile : il est simplement l’album à partir duquel Sonic Youth a pu accéder à des moyens de production plus importants. Leur musique se fait plus mélodique et touche enfin un plus large public.
L’album intègre pour la première fois les charts : Sonic Youth se place en 96e position au Billboard 200 et offre au groupe une reconnaissance à l’international. C’est à cette époque que Neil Young les convie à faire la première partie de sa tournée Ragged Glory. Ils partent aussi en tournée avec Public Enemy ; on retrouve d’ailleurs Chuck D., leur leader, sur le morceau Kool Thing. Ce morceau a été inspiré par la rencontre entre Kim Gordon et le rappeur LL Cool J organisée par le magazine américain Spin. Grande fan du rappeur, Kim a été choquée par sa misogynie. Elle est repartie furieuse !
https://www.youtube.com/watch?v=SDTSUwIZdMk
Je vous traduis rapidement un extrait :
Hé, Kool Thing, viens ici, assieds-toi à côté de moi/ Il y a quelque chose que je vais te demander/ Je veux juste savoir, qu’est-ce que tu vas faire pour moi ? / Je veux dire, est-ce que tu vas libérer les femmes/ De l’oppression des entreprises blanches masculines ?/ Dis-le moi !/ Hein?/ Oui!/ Ne sois pas timide / Plus fort !/ Est-ce que tu n’aurais pas peur d’une planète féminine ?/ Je veux juste que tu saches que nous pouvons toujours être amis
Sonic Youth se rapproche aussi d’un autre groupe pas encore très connu à l’époque mais dont vous avez peut être entendu parlé, surtout toi Fanny : Nirvana ! Ils partent même en tournée durant l’année 1991.
Et d’ailleurs : deux ans plus tard, Dirty sera écrasé par l’énergie et le succès fracassant de leurs amis Nirvana, avec l’album Nevermind. Ironie du sort, c’est Sonic Youth qui les avait recommandés à Geffen.
Avec Goo, Sonic Youth acte l’enracinement de l’identité underground dans la culture pop. Aujourd’hui, avec le recul, le groupe semble être un des rares à avoir su conserver une sincérité et une forme de subversivité intacte.
Dernière anecdote : Sonic Youth fera une apparition dans l’épisode Homerpalooza des Simpsons diffusé en 1996. Le groupe vole de la nourriture dans le frigo du chanteur Peter Frampton. Sonic Youth a également enregistré une version du générique de fin
https://www.youtube.com/watch?v=gHot53OrsBQ
Il y a un super docu d’ailleurs qui s’appelle the Year Punk Broke sur la tournée européenne de Sonic Youth et Nirvana essentiellement. Il y a une scène assez remarquable notamment dans laquelle Thurston Moore explique à un journaliste avec un brin d’ironie : “1991 c’est l’année où le punk a finalement réussi à percer, à toucher la conscience collective de la société tout entière. Le “punk modern” comme on dit dans Elle Magazine.”
Si on lit entre les lignes à ce moment-là c’est le début de la fin quelque part : le mouvement punk des débuts (1977?) n’a plus grand chose avec le punk moderne qu’on voit dans Elle, qu’on a appelé aussi le grunge ou le rock alternatif sur MTV…
Le making-of de "Goo"
Aller on va maintenant filer avec toi Greg en studio avec les Sonic Youth, on imagine qu’avec leur signature sur un gros label, ils ont pu enfin mettre les petits plats dans les grands?
Fin des années 80 dans le milieu du rock indépendant, l’argent ne court pas les rues, le groupe rappelle qu’à l’époque il a dû mal à se faire payer pour sa musique. En signant avec Geffen, une major certes mais sans être non plus un mastodonte, le groupe passe en effet dans une nouvelle dimension. Là où leur précédent album, Daydream Nation, avait coûté 30 000 dollars, la facture pour Goo s’élève au final à 150 000 dollars, c’est cinq fois plus! Dans une interview, Kim Gordon parle d’une idée « un peu perverse » : celle de faire un disque de rock indépendant mais un budget de groupe mainstream destiné à être diffusé à la radio.
Pour l’enregistrement de Goo qui se déroule dans les premiers mois de l’année 1990 mais Kim, Thurston, Lee et Steve ont déjà commencé à travailler à partir de démos enregistrés sous la supervision de Don Flemming et Jay Mascis de Dinosaur Junior. Des démos enregistrés en 1989 dans un petit studio, c’est la première fois que le groupe enregistre des démos aussi abouties pour un album. Comme à leur habitude, les Sonic font évoluer leurs morceaux grâce à de genereuses impovisations où chacun apporte sa pierre à l’édifice, vous noterez chez Sonic Youth, chaque membre est crédité à part égal sur chaque titre. On y retrouve déjà Tunic, dédié au destin tragique de Karen Carpenter des Carpenters, ou encore l”hymne féministe Kool Thing, merci Kim Gordon qui avait un sacré temps d’avance.
Puis c’est le producteur Nick Sansano, déjà à la baguette sur Daydream Nation qui assure l’enregistrement au Sorcerer Sound Studio. Nick Sansano, c’est un producteur de hip hop notamment connu pour son travail avec Public Enemy, Ice Cube et compagnie, un peu plus tard
Manu : il va produire aussi des albums à succès en France pour Noir Désir, I AM et même Zebda, vous pouvez réécouter nos précédents EP.
Il faut bien comprendre que sur ce disque, Nick Sansano n’est pas un producteur qui va devoir forger le son de l’album, le son de Sonic Youth il est déjà parfaitement défini, son boulot cela va plutôt être de bien enregistrer sans altérer l’énergie punk du groupe. Nick Sansano va cependant expérimenter de nouvelles techniques pour enregistrer la batterie de Steve Shelley, qui a être isolé dans une cabine et enregistré avec des micros d’ambiance…
Comme on l’a dit c’est la première fois que Sonic Youth peut profiter d’un budget aussi conséquent. En studio, le groupe n’est pas forcément super à l’aise avec les contraintes d’un enregistrement aussi professionnel, c’est pas du tout des musiciens de studio. Kim Gordon raconte les heures de préparation pour poser des micros dans tous les sens, « on pouvait à peine bouger », explique la bassiste.
Et en même temps grâce au soutien financier de leur nouveau label le groupe peut aussi prendre le temps pour expérimenter et profiter des possibilités d’une console d’enregistrement de 24 pistes! C’est l’occasion de multiplier l’Overdubbing, c’est à dire d’enregistrer plusieurs couches de guitares pour élargir le spectre sonore au maximum comme sur cette improvisation bruitiste sur le titre Mote…
Vous entendez, les larsens passés à la moulinette de ribambelles de pédales d’effet, les micros de guitare maltraités par des baguette de batterie, les cordes lacérés par un archer. C’est ça le son de Sonic Youth, un goût pour l’expérimentation, la musique concrète associée une passion pour les guitares customisées, comme l’expliquent Thurston Moore et Lee Ranaldo dans ce documentaire diffusé sur la chaîne Arte pour les 20 ans du groupe.
MANU “Nous sommes connus pour utiliser du matériel de mauvaise qualité et peu orthodoxe que nous modifions pour nous l’approprier. ET si d’aventure nous perdions une guitare, nous pouvions perdre une chanson, car celle-ci était intimement liée au son d’une guitare déglinguée qui n’avait que 3 cordes” (thurston moore ?)
GREG “On adorait les guitares, et l’idée que chacune d’entre elle avait sa propre personnalité qu’il fallait savoir exploiter, il y en avait une à frapper, une autre à jouer avec un tournevis ou encore celle pour les jolis accords” (lee ranaldo ?)
“Le problème c’est qu’en concert, on ne pouvait passer cinq minutes à nous accorder entre chaque morceau, donc on a commencé à collectionner les guitares et donc il y avait toujours quelque chose d’un peu loufoque quand on devait partir en tournée avec pas moins de 16 guitares”
Anecdote matériel volé en 1999 à Orange County
Et si vous voulez en savoir plus sur le matériel utilisé par le groupe, je vous invite à aller voir une vidéo youtube d’une chaîne qui s’appelle Show me your Junk, dans cet épisode avec Lee Ranaldo, on visite le studio du groupe Echo Canyon West avec tout le matos utilisé par le groupe
Manu/ l’autre truc super important à savoir pour comprendre le son de Sonic Youth, c’est l’accordage de leurs guitares
Ça peut sembler un peu technique pour les novices mais c’est très important.
Explications accordage.
Influence de la musique concrète, des expérimentations du guitariste Glenn Branca ou encore du Velvet Underground..
insert H – open tuning
Manu / thursten moore :
“Au départ, je n’avais pas vraiment de connaissance sur l’histoire de l’accordage alternatif. Quand j’ai écouté pour la première fois le Velvet Underground, je n’y ai pas du tout pensé, je me suis dit juste dit que c’était de la super musique. C’est vrai qu’il y un aspect “drone” dans leur musique qui m’a ensuite amené à m’intéresser à cette approche également dans la musique traditionnelle notamment orientale, je me suis rendu compte alors à quel point c’était une musique sérieuse et importante avec une portée spirituelle.
C’est ce qui me plaît dans le rock n roll, trouver des liens avec d’autres musiques comme le Ryhtm n blues, le jazz… c’est vrai que le Velvet Underground a ouvert la voie, notamment grâce aux expérimentations de John Cale avec sa viole.
En ce qui me concerne, je partais d’une guitare avec un accordage standard, et puis petit à petit je commençais à tourner les chevilles pour changer la hauteur des cordes jusqu’à trouver un accord ouvert qui me semblait génial”, c’est de cette manière que beaucoup de morceaux de Sonic Youth ont vu le jour et puis Lee Ranaldo a également apporté ses propres accordages alternatifs”
MANU/ Le groupe finit donc d’enregistrer au Sorcerer sound studio et file ensuite au Greene Street Studios pour finaliser le disque///
Oui c’est lors de cette ultime session que des guitares vont être ajoutées, c’est également dans ce studio qu’est enregistré le featuring sur le titre Kool Thing avec le rappeur Chuck D de Public Enemy qui au même moment terminait l’album Fear of the Black planet, ça tombait bien puisque les SOnic Youth adore le hip hop, une autre forme d’underground qui explose à cette époque à New York
MANU / L’enregistrement s’est plutôt bien passé jusque là, mais les choses finissent tout de même par se corser…
Trop de matière, ils se prennent la tête, et puis le groupe et la maison de disque ont des doutes sur les capacités de Nick Sansano à finaliser un mix qui conviendrait à toutes les parties. Il est donc éjecté au dernier moment (ils ne se parleront plus pendant des années) au profit de Ron Saint Germain, une pointure connu pour son travail avec les Bad Brains.
Au final, l’Album sort en juin 1990 mais le mix final ne convient pas aux Sonic Youth, trop formaté pour la radio, ils finiront par sortir un an plus tard sur le label pirate du groupe, Sonic Death, les démos enregistrés avec Jay Macis. Comme on vient d’écouter Kool Thing, je vous propose d’écouter la version démo pour que vous voyiez bien la différence
insert K – Kool thing démo
Manu/ Et à sa sortie, le son FM de Sonic Youth sur Goo n’a pas été du goût de tous les fans dont une partie a crié à la trahison ?
Moi je dirai que ce n’est pas une trahison parce que le groupe reste fidèle à ces fondamentaux, en équilibre instable entre le bruit et la mélodie, le rock et l’avant-garde, équilibre qui selon moi trouvera sa quintessence sur Washing Machine, cinq ans plus tard, leur meilleur album mais Goo reste sans doute le plus iconique de leur discographie, et ça on le doit à la musique qui parvient faire coexister pour la première fois rock commercial et musique expérimentale.
L'univers graphique de Sonic Youth
Manu : … et iconique aussi ! Parce que la pochette est complètement culte. C’est d’ailleurs ce dont on va parler tout de suite avec toi Fanny. Et vu ce que tu nous as raconté tout à l’heure en intro Fanny, quelque chose me dit que c’était pas trop pénible pour toi de bosser sur cette pochette…
Non, tu as raison. C’était même tout l’inverse de pénible. J’ai jamais été autant dans mon élément. Avant d’entrer dans le détail de l’artwork de Goo, je pense qu’il est important de rappeler que la plupart des membres de Sonic Youth a un lien fort avec les arts plastiques. Lee Ranaldo était élève en école d’art à New York et Kim Gordon a carrément bossé en galerie, comme moi, quand elle était jeune.
Quand j’ai lu ça dans sa bio, j’ai eu une sorte d’épiphanie. Elle a bossé avec Larry Gagosian à ses débuts, le mec est aujourd’hui l’un des marchands d’art les plus célèbres au monde. C’est assez fou.
De mon côté, c’est par ces nombreux liens avec l’art contemporain que j’ai découvert le groupe. J’étudiais la manière dont les artistes américains issus de la contreculture, le punk notamment, ont réussi à se faire un nom dans le marché de l’art mainstream, dans les grandes galeries et musées.
J’ai travaillé sur des mecs comme Jim Shaw, Tony Oursler, Mike Kelley qui signe la pochette de l’album Dirty, et évidemment Raymond Pettibon, qui est LE dessinateur dont l’oeuvre figure sur la pochette de Goo.
Manu : Ahhh, un artiste cool ça, Raymond Pettibon. Est-ce que tu pourrais nous expliquer qui est Raymond ?
En 2 mots, Pettibon est vraiment une figure intéressante car il est à la fois une icône du milieu underground et un artiste mondialement reconnu dans le milieu de l’art. Son travail est entré dans des collections prestigieuses comme celle du MoMA à New York ou du Centre Pompidou à Paris. Il a un style très reconnaissable, qui mélange dessin à l’encre de chine et texte, avec beaucoup de références à la pop culture. Dans l’esthétique, ça ressemble un peu à de la bande dessinée.
Manu : Et le mec vient de la scène punk…
Oui, exact. Son grand frère, Greg Ginn, va fonder Black Flag en 1976 l’un des premiers groupes de punk hardcore et précurseur du post-hardcore.
C’est lui qui trouve ce nom de Black Flag pour le groupe et qui va dessiner le célèbre logo avec les 4 barres noires que je rêve de me faire tatouer depuis des années. Pettibon joue aussi accessoirement comme bassiste remplaçant dans le groupe.
Dès cette période, il se met à dessiner des flyers, des posters et des pochettes pour d’autres groupes comme les Ramones, Meat Puppets ou Dead Kennedys. Tout en commençant sa carrière dans l’art, avec le succès qu’on connait.
Manu : Donc quand il collabore en 1990 avec Sonic Youth pour la pochette de Goo, c’est déjà une star en fait !
Peut-être pas la star qu’il est aujourd’hui, mais déjà un nom incontournable aux Etats-Unis. Il faut dire que juste avant Goo, pour son album Daydream Nation, Sonic Youth s’est payé le luxe d’avoir un tableau de Gerhard Richter sur sa pochette. Richter c’est juste le peintre allemand le plus célèbre de ces 50 dernières années.
Bref, tout ça pour dire qu’ils sont super forts. Et ils vont encore une fois le prouver avec la pochette de Goo, qui est devenue pour la génération X un symbole aussi célèbre que la banane de Warhol et du Velvet dans les années 60.
Entrons dans le vif du sujet : sur cette pochette, on voit un dessin en noir et blanc qui représente un couple de mods, elle fume une cigarette, lui a le bras posé sur son épaule. Ils portent des lunettes noires. A droite du dessin, il y a un texte qui dit :
LU PAR OLIVIA « J’ai piqué le petit ami de ma sœur. Et tout devint tourbillon, chaleur, flash. En une semaine, nous avons tué mes parents et taillé la route… »
Ce couple n’est pas un couple de fiction. Pour le dessiner, Pettibon s’est basé sur une photo de presse prise dans les années 60, à l’occasion du procès des Moor Murders, les meurtres de la Lande, un fait divers sordide qui a ébranlé l’Angleterre. Sur la photo ce ne sont pas les coupables eux-mêmes mais la sœur de la tueuse et son mec, qui ont dénoncé et permis l’arrestation des serial-killers.
Manu : Alors moi j’ai lu dans l’autobiographie de Kim Gordon que ce dessin s’inspire aussi du film “La balade sauvage”…
Oui La balade sauvage, c’est le premier film de Terrence Malick qui est sorti en 1973 et qui raconte la folle cavale d’un couple de jeunes qui sème la mort sur son passage, on est en effet dans la même veine.
Pour clore sur la pochette, au dos on a un autre dessin de Pettibon avec la tracklist écrite à la main, dans une esthétique très Do It Yourself issue du punk. Et à l’intérieur du livret, on ne trouve pas les paroles des chansons, ça ça change, on trouve un grand dépliant recto/verso avec d’un côté une mosaïque en noir et blanc qui mélange photos, dessin, tracklist et crédits ; et de l’autre côté un grand poster avec une vingtaine de photos très colorées issues d’un shooting avec le photographe américain Michael Lavine et la styliste Suzanne Sasic.
La D.A. est assurée par Kevin Reagan, graphiste attitré de Geffen records à l’époque.
Mini-parenthèse sur Michael Lavine, parce que j’ai poussé des cris d’admiration en découvrant son travail photo. L’exemple parfait du mec qui était au bon endroit au bon moment puisqu’il était étudiant à Olympia dans les années 80 et a donc couvert la naissance de la scène grunge à Seattle. Kurt Cobain c’était son poto et il a pris certaines des photos les plus célèbres de Nirvana. Gros gros kiff.
Manu : Bon OK on a vu que Sonic Youth avait plein de connexions dans les arts visuels. Du coup j’imagine qu’il se sont fait plaisir aussi sur les clips ?
Créatifs, je sais pas, on va voir ça ensemble tout de suite, mais déjà le constat c’est qu’ils sont productifs puisque dans le cadre de l’album Goo, ils ont choisi de clipper TOUS les morceaux. En fait, ils ont carrément sorti une cassette VHS avec 11 vidéos dans l’ordre des 11 chansons de l’album. On peut dire que c’est une déclinaison vidéo de leur musique. Je ne sais pas s’il existe un précédent mais pour moi, c’est du jamais vu.
Au programme, 3 clips financés par Geffen records pour accompagner les singles « Dirty Boots », « Kool Thing » et « Disappearer », plus 8 clips financés par Sonic Youth qui ont invité des potes cinéastes avec qui ils avaient envie de travailler.
Et le saviez-vous ?! Les vidéos de « Dirty Boots » et « Kool Thing » ont été réalisées par Tamra Davis, dont Julie de 2 Heures de Perdues nous a parlé dans l’épisode sur Britney Spears car c’est elle qui a fait le film Crossroads !
Manu : Mais oui ! Comme quoi avant de suivre la voie du nanar, elle avait fait 2 ou 3 trucs bien
Haha grave ! Et le clip de « Disappear » lui a été fait par Todd Haynes, un super réalisateur à qui l’on doit les films Velvet Goldmine, I’m not there sur Bob Dylan et Carol avec Cate Blanchett et Rooney Mara. Encore une fois un très beau casting…
Pour les clips financés par Sonic Youth, forcément c’est un peu plus expérimental et cheap, on sent qu’il n’y a pas beaucoup de budget. Derrière la caméra on retrouve entre autres les artistes Tony Oursler et Richard Kern, le vidéaste underground David Markey mais aussi les membres de Sonic Youth eux-mêmes puisque Thurston Moore a dirigé « My friend goo » et Steve Shelley « Mary-Christ ».
Je ne vais pas pouvoir vous décrire tous ces clips, évidemment, ça mériterait presque une émission dédiée, mais tout de suite un petit mot sur « Dirty Boots ».
Le clip de Dirty boots montre deux jeunes, un garçon et une fille, qui se rencontrent à un concert de Sonic Youth. On voit le groupe sur scène, on voit la foule pogoter, et on les voit eux, en pleine séance de eye contact, mignons tout plein avec leurs cheveux longs et chemises à carreaux. La fille porte un t-shirt Nirvana, alors qu’on est 6 mois avant la sortie de Nevermind. C’est comme si Sonic Youth venait adouber ses petits protégés en leur donnant un peu d’exposition médiatique, qu’est-ce qu’ils sont sympas.
Et puis l’image est super belle, on a l’impression de regarder une série télé genre Hartley cœurs à vif, plutôt qu’un clip. Le point culminant de l’action c’est quand les 2 jeunes décident de monter sur scène pour se galocher derrière les musiciens. Ils vont rapidement se faire jeter dans la fosse en mode stage dive. Franchement si vous aimez le rock indé et si vous aimez l’esthétique grunge des 90s, il faut absolument regarder cette vidéo qui est un petit bijou du genre et qui vient faire souffler très fort un vent de nostalgie.
À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST
Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.
Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !
« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »
Manu, Fanny, Olivia et Grégoire
“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “