113 “Les Princes de la Ville”
(1999)
EN QUELQUES MOTS
Aujourd’hui, on va vous parler de AP, Mokobé et Rim-K les trois membres du 113 ! Fin octobre 1999, trois rappeurs de Vitry-sur-Seine et un producteur de génie (DJ Mehdi) prennent d’assaut les radios avec un premier album couronné de succès, et fondateur d’une certaine idée du rap français.
Sur Les Princes de la ville, il y a une digestion de la musique électronique et de la French Touch, mais aussi de toutes les musiques ethniques qui ont bercé le 113. Ces 3 rappeurs sortis de nulle part sont capables de rapper sur tout, de 90 à 115 BPM. L’album est une enfilade de tubes, de “Ouais gros” au titre éponyme “Princes de la Ville” en passant par “Jackpot 2000”, “Hold up” et bien sûr LE classique “Tonton du Bled, entré depuis au panthéon national.
Succès critique et populaire à la fois, cet album a marqué plusieurs générations du rap français et même au délà des gens comme Pharrell, Drake, Rick Ross, DJ Premier ou Katy Perry.
Écouter · Écouter · Écouter ·
Écouter · Écouter · Écouter ·
Écouter · Écouter · Écouter ·
Retour en 1999
Voilà pour les 13 titres de “Princes de la Ville” ! Il y en a même 15, sur une édition limitée avec 2 titres bonus.
L’album sort le 22 octobre 1999 en CD, Cassette et Vinyle chez S.M.A.L.L, un label de Sony Music. Aujourd’hui il est introuvable, il n’est plus réédité depuis 2000 : le CD se vend près de 100 €, et le vinyle lui autour de 400 balles ! On a décidé de faire une cagnotte chez Radio K7 on vous mettra le lien en description 🙂
Cette année-là en 99, le rap français s’apprête à fêter le nouveau millénaire, Booba toise déjà la concurrence “alors que Rohff la tabasse” pour reprendre la formule de l’ABCDaire du son.
1999, c’est aussi et surtout l’année des révélations.
— Celle du Saïan Supa Crew, Sly, ou Leeroy créent une identité sonore qui reste encore aujourd’hui inédite dans le rap français.
— Celle de Disiz la Peste, qui lance définitivement sa carrière solo avec un premier maxi.
— C’est aussi en 1999 que Diam’s publie son premier album, du pur rap, pendant que Sinik signe (avec elle) sa première apparition discographique. Sans parler de la Mafia K’1 Fry, car si 1999 est bien l’année de quelqu’un, c’est la leur. Alors qu’Ideal J est meurtri, le collectif val-de-marnais explose tout via le succès considérable du 113.
La story du 113
Manu : Olivia c’est parti on va reprendre la story du début ! Notre histoire commence à Vitry-sur-Seine, en région parisienne, au cœur de la cité Camille-Groult.
Oui et plus précisement au 113, rue Camille-Groult, adresse qui donnera son nom au groupe, que grandissent Abdelkrim Brahmi-Benalla, alias Rim-K), Yohann Dubaye, alias AP et Mokobé Traoré, alias… Mokobé tout court. À eux trois, ils forment le drapeau tricolore de cette France black-blanc-beur qui va faire la fierté de la fin des années 90. L’association locale « 113 Développement » qui propose une aide aux devoirs et des activités culturelles, va jouer un rôle crucial dans leur formation. C’est d’ailleurs grâce à cette structure que Rim-K enregistre ses premiers sons à seulement 12 ans. Il se souvient, dans le journal Le Parisien:
« Avec le 113, on est des purs produits de Vitry. On aurait jamais eu ce succès, si toute la ville n’avait pas été derrière nous. Quand on a fait nos premiers concerts à Paris, la moitié de la salle venait de Vitry. Cette ville est éclectique, et elle l’assume. C’est rare en banlieue. »
Comme de nombreux gosses des années 80, ils sont biberonnés au rap US notamment grâce à l’émission Deenastyle sur Radio Nova et aux clips diffusés sur Yo! MTV Raps, que l’un de leur pote enregistre sur cassette vidéo. Ils sont aussi inspirés par la forte activité hip-hop de la ville qui fait émerger Lionel D, Les Little MCs ou encore Timides et sans complexe. Au gré de rencontres, ils font la connaissance d’autres rappeurs venus de villes voisines, notamment Idéal Junior (devenu ensuite Ideal J), Different Teep, d’Orly, et Intouchable de Choisy-le-Roi. Ils forment alors un premier collectif, l’Union, qui va devenir plus tard la Mafia K’1 Fry, né du fameux triangle Orly-Choisy-Vitry.
AP, Mokobé et Rim’K commencent alors à se prendre au jeu, le 113 pose ses premiers couplets sur l’album Original MCs sur une mission d’Ideal J qui sort en 1996. Extrait :
INSERT — Idéal J https://www.youtube.com/watch?v=qJTPZT4vrq8
Couplet 2 “Tout le monde lève les bras” + refrain
A cette époque, l’école, ça marche pas très fort pour eux. L’avenir est flou et selon Rim-K, c’est un certain DJ Mehdi qui les pousse à persévérer dans le rap.
Greg : “C’est quand on a rencontré DJ Mehdi que tout a démarré sérieusement (…) “Nous, on était des jeunes banlieusards, on rappait sous les abribus, à la salle du quartier et on repartait avec le matos. Il nous a professionnalisés et c’est devenu notre compositeur”.
Manu : Nous sommes en mars 1998 et le 113 sort son tout premier EP : Ni barreaux ni barrières ni frontières.
Le mini-album concentre déjà ce qui va éclore l’année suivante sur le premier album du groupe : les beats secs et hachés accompagnant des boucles courtes de DJ Mehdi, et le style de rap dépouillé des artistes pour raconter leur quotidien. L’album contient notamment le titre « Truc de fou », en featuring avec Doudou Masta :
INSERT — Truc de fou https://www.youtube.com/watch?v=kJ_777VqqxI
Le 113 arrive à une période charnière du rap français. Le genre commence à s’affirmer et s’affranchit du sacro-saint modèle américain. Le rap made in France développe sa propre identité d’Expression Direkt à La Rumeur en passant par le 113. Rim’K se souvient :
“Pour nous, le rap parisien, la copie conforme du rap new-yorkais, ce n’était pas notre truc. Ni Barreaux, Ni Barrières, Ni Frontières, c’était un signal, une façon de dire : ‘on fait la musique comme on a envie de la faire, on ne rentre pas dans les codes’”
Après la sortie de leur premier disque chez Alariana et Invasion Records, des labels indépendants, ils tentent leur chance du côté des majors. Mais, hélas, ça ne se bouscule pas au portillon. Finalement, c’est le label S.M.A.L.L de la major Sony, va s’intéresser à eux. S.M.A.L.L (pour “Sony Music Associated & Licensed Labels”) cherche à développer des artistes de rap français : ils sortent notamment en 1998 le premier album de la Fonky Family, Si Dieu veut…. Le label Double H de Cut Killer est également signé en licence chez eux. Le DJ a alors envie d’accueillir 113 sur son label pour la sortie de leur premier album. Pour le magazine Groove, en 1999, Cut Killer explique :
“Ce qui me plait chez eux, c’est leur façon peu commune de rapper. Au départ, on a l’impression qu’ils parlent plus qu’ils ne rappent, et en fait on se rend compte que c’est tout un style. On comprend très bien leurs textes et leur vision des choses”.
Manu : Le 22 octobre 1999, le 113 publie l’album “Les Princes de la ville” et prennent d’assaut les ondes de Skyrock, qui sera vite surnommée “Radio 113” parce qu’il n’y a pas un quart d’heure sans qu’il y ait un morceau du 113 à l’antenne. Une fois par heure (!) tu pouvais entendre “Tonton du Bled”, “Jackpot 2000”, “Princes de la ville” et même “Ouais gros” ! C’est complètement dément. Aller on se retrouve tout de suite après une page de pub
INSERT — Pub
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/publicite/pub1643453011/113-version-20-secondes
Inspiré par le film « Blood In Blood Out », traduit « Les Princes de la Ville » lors de sa sortie en salles, le titre donne son nom à l’album et pose les contours de l’esthétique du 113 : simple, brut, mais toujours funky. L’album atteint la 5e place des classements musicaux français. « Tonton du bled » va même enchaîner 43 victoires consécutives sur Skyrock, un record pour l’époque. La clé du succès, c’est l’audace ! L’album est le résultat des expérimentations de DJ Mehdi, de plus en plus proche de la French Touch (Cassius, Daft Punk), que de l’envie du 113 de sortir des sentiers battus et de prendre des risques.
Rim’K expliquera à Radio Nova en 2018 avoir dit à Mehdi :
“Il faut qu’on ait la même démarche que les Américains : ils s’inspirent de leur histoire. Servons-nous de notre histoire pour faire une musique qui n’est que la nôtre, à notre sauce à nous, jeunes de l’immigration qui vivons en Europe”.
INSERT — Clique TV
https://www.youtube.com/watch?v=2_FR5t8tfSQ&ab_channel=CliqueTV (9 :44> 10 :05)
Leurs textes sont des instantanés de vie : 1001 Nuits raconte la violence sociale quotidienne, Les Regrets restent revient sur leur échec scolaire, Face à la police décrit les rapports conflictuels avec les forces de l’ordre, Tonton du bled met en scène l’affection pour les pays d’origine de leurs parents et leur situation de 2e génération. Ils ne cherchent pas à donner des leçons, ils veulent juste montrer qu’ils sont des gens comme tout le monde loin de l’image des bandits du rap. À l’époque directeur artistique chez S.M.A.L.L., Karim Thiam dira d’eux :
“C’est le seul groupe, dans l’histoire du rap français, capable de te faire du hardcore comme c’est pas possible, du commercial comme c’est pas possible, de la world comme c’est pas possible, et de rester crédible !”.
C’est peut-être cet équilibre, cette manière d’être eux-mêmes qui explique le succès de ce premier album : une réussite commerciale pourtant inattendue à l’époque. Le label espère vendre 50 000 disques pour rentabiliser l’investissement. Début 2000, le disque est déjà double disque d’or avec 200.000 albums écoulés.
Manu : Puis arrive la cérémonie des Victoires de la musique le 11 mars 2000. Le groupe rafle deux récompenses, dont celle de la révélation du public face à des artistes grand public comme Tina Arena ou Lââm. L’industrie est sous le choc mais c’est le public qui a choisi ! Et le 113 crée la surprise notamment grâce à une prestation restée mémorable.
Imaginez : nous sommes le 11 mars (pour les fétichistes : le 11/3 > 113) au Zénith de Paris. Dans la salle tout le gratin de l’industrie musicale française. Sur scène, King Michel Drucker himself et son prince Jean-Luc Delarue. Derrière les platines, Cut Killer.
Et là, Mokobé, Rim’K et AP débarquent sur scène au volant d’une Peugeot 504, celle déjà présente dans le clip de Tonton du Bled. Les pompiers présents lors de la soirée des Victoires ne les ont pas autorisés à démarrer la voiture. Qu’à cela ne tienne : c’est l’équipe du 113 qui la pousse sur scène !
INSERT — Victoires
https://www.dailymotion.com/video/xb6s2s
Manu : L’idée de cette performance était simple : choquer la France et, je cite, « foutre la merde ! ». Avec le recul, on se dit que ce moment historique des Victoires les aura inspirés pour le titre de leur deuxième album, 113 Fout La Merde.
Plus tard dans la soirée, contre toute attente, le groupe choisit d’interpréter « Les Princes de la ville » plutôt que « Jackpotes 2000 » initialement prévu, provoquant une certaine tension en coulisses mais qui viendra définitivement les esprits. Ce succès va permettre au groupe de partir en tournée en France, mais aussi au Maghreb, en Europe, au Canada, aux Antilles ; ils seront quasiment une année sur les routes ! Rim’K se souvient :
“Ça nous a surpris parce que l’album a eu une longue durée de vie. On l’a exploité en travaillant tous les singles, les clips et les concerts. On a dû travailler dessus pendant un an après sa sortie. Pour se remettre au boulot après ça a été dur parce qu’on s’est arrêté d’écrire pendant un an”.
Les médias généralistes, qui habituellement se pince le nez pour parler du rap, s’enthousiasment. Les Inrockuptibles salue « une production inventive » et « une verve truculente », tandis que Libération loue « des textes vifs et efficaces ».
Pour le journaliste Olivier Cachin :
« Avant le 113, le rap était soit conscient et sérieux, soit festif. Ils ont montré qu’on pouvait être les deux à la fois, parler des problèmes tout en faisant danser les gens ».
Vingt ans après sa sortie, l’album continue d’influencer la scène rap française. Des artistes comme Dosseh ou la MZ citent régulièrement « Les Princes de la ville » comme influence. En 2019, Ninho déclarait que le 113 avait tout changé selon lui dans “La façon dont ils mixaient les flows, les productions avant-gardistes, les textes qui parlent vrai..”
Le succès des « Princes de la ville » a également changé la perception du rap par l’industrie musicale. « Après le 113, les maisons de disques ont compris que le rap pouvait toucher un large public sans se dénaturer », explique Karim Thiam, ancien chef de projet au sein du label S.M.A.L.L. Rim-K, lui-même, estime que l’album « (…) a ouvert des portes pour beaucoup d’artistes qui sont venus après. »
« On voulait juste raconter notre vie, nos galères et nos joies, avec nos mots. On ne pensait pas créer un modèle. Mais si on a pu montrer que des jeunes de quartier pouvaient réussir en restant eux-mêmes, alors on a gagné quelque chose de plus important qu’un disque d’or. »
Autre apport fondamental du 113 : l’expression « Ouais gros » !
En 2019, il y a eu tout un débat entre Le Parisien et Libération, pour savoir si “ouais, gros” était une expression raciste ou pas. Selon Le Parisien, l’étymologie du terme « gros » serait un diminutif du mot négro mais dénué, dans ce sens, de toute connotation raciste et injurieuse. Il est inspiré du terme anglais nigger ou nigga, très populaire aux Etats-Unis au sein de la communauté afro-américaine.
Mais selon Libération, gros ne vient pas de négro mais plutôt du vocabulaire du banditisme. Il trouve sa source dans l’expression « gros bonnet » désignant « le voyou, le caïd » et commence à amplifier dans le Val-de-Marne des années 90. C’est donc bien 113 qui va populariser l’expression dans toute la France en 1999 ! Et ouais, gros !
INSERT — Ouais gros
Le premier album “Princes de la Ville”, et le suivant “113 fout la merde” vont cartonner. J’ai une anecdote marrante d’ailleurs à ce sujet. Les mecs ils sont tellement au summum pour l’éternité qu’en 2006 on leur propose un featuring avec une jeune chanteuse qui débute, la nouvelle signature de Jay-Z, elle s’appelle Rihanna. Mais elle va se prendre un gros vent : le 113 leur dit non. “C’était dance-hall, ce n’était pas rap, pas dans notre délire.” Dommage moi j’aurais bien aimé un feat avec elle.
Le making-of de "Les Princes de la Ville"
MANU / C’est dommage moi j’aurais bien voulu voir ça. Allez on est prêt maintenant pour aller dans les coulisses de l’enregistrement de ce premier album du 113, avec toi Grégoire. On peut dire que “Princes de la Ville” c’est une disque qui a été fait avec beaucoup d’amour, mais peu de moyens…
C’est toujours bon de le rappeler mais le rap c’est un genre musical encore minoritaire et hormis quelques cadors, on galère encore pas mal chez les rappeurs et notamment du côté de Vitry sur Seine.
L’album a en fait été enregistré sur plusieurs mois, dans plusieurs studios de la région parisienne dans une période estimée entre la fin de l’année 98 et le milieu de 99.
Il faut savoir que le processus n’a pas été linéaire : les membres du groupe alternaient entre séances d’écriture, d’enregistrement et de concertation avec DJ Mehdi pour finaliser les morceaux qui lui-même travailler dans son home studio.
L’exception dans tout ça c’est Hold-up, titre écrit et enregistré au cours d’une seule session nocturne. L’idée était de retranscrire l’urgence et la tension d’un braquage.
INSERT — HOLD UP
MANU / A la prod de l’album on retrouve Manu Key, homme de l’ombre du rap français et membre fondateur du collectif Mafia K1 Fry. L’autre personnage essentiel derrière le son de l’album, c’est évidemment DJ Mehdi.
Oui Dj Mehdi c’est vraiment lui qui va faire passer les rappeurs de Vitry au stade supérieur, d’abord en les encourageant à persévérer dans la musique et à se professionnaliser. On le surnomme parfois le quatrième membre de 113, tant son influence a été déterminante. Plus qu’un beatmaker, DJ Mehdi va endosser un rôle de directeur artistique sur l’album.
La patte DJ Mehdi c’est d’avoir à la fois un pied dans le hip-hop, un autre dans l’électro alors en pleine bourre avec la fameuse French Touch.
Il débute en 1992 en intégrant Ideal J, groupe formé par Kery James « O’riginal MC’s sur une mission et le combat continue, publié en 1998. On le retrouve également à la baguette sur l’album collectif « les liens sacrés » la même année, on s’écoute un petit extrait d’Ideal J avec « une vie de malheur »
INSERT — Ideal J
MANU / Parallèlement à cette casquette de beatmaker rap, il fonde le label espionnage et officie sous le pseudo de Cambridge Circus
C’est un peu l’autre facette de DJ Medhi qui s’exprime pendant cette période, celle du Dj électro, une influence qu’il cherche naturellement à faire infuser dans le milieu du Hip-hop mais les frontières sont encore bien marquées à l’époque et ces sons matinées d’électro séduisent peu de rappeurs en cette fin des années 90, une aubaine pour les petits gars de Vitry qui vont hériter d’instrumentaux dont personne ne veut. Le premier coup d’essai avec le 113 intervient avec l’EP “Ni barreaux, ni barrières, ni frontières”, un an plus tard on retrouve les gars de VItry sur l’EP espion Vol.1 de Cambridge Circus avec le titre Camille Groult Starr, première version un peu brut de décoffrage de “ouais gros” qui figurera ensuite sur les Princes de Ville
INSERT — Ouais gros (1ere version)
MANU Cette influence électro, elle est aussi bien palpable sur le titre phare de l’album, les « Princes de la ville »
Oui carrément, on l’a dit Mehdi en cette fin des années 90 gravite autour de l’univers de la French Touch, il est fan absolu de Daft Punk, côtoie Zdar et Boombass du groupe Cassius et il est fasciné par ces musiciens électro qui travaillent avec les mêmes machines, samples les mêmes disques disco et funk, et qui sont en train de conquérir le monde.
Sur les princes de la Ville, cette influence French Touch elle est évidente avec ce sample de violon hyper classieux sur lequel on reviendra, cette guitare funky, ces effets de compression du son amis aussi le tempo du morceau. On est autour de 115 BPM, bien plus rapide qu’un titre rap (autour de 90 BPM) et même proche de la cadence d’un morceau house.
MANU / Faut qu’on dise un mot maintenant sur les samples utilisés dans l’album, DJ Mehdi était vraiment passé maître dans l’art de créer des boucles.
Oui DJ Medhi, il combinait toutes les qualités pour devenir l’un des grands noms du sampling : une culture musicale énorme, une curiosité insatiable, et un haut niveau technique, pas étonnant que ce bourreau de travail parvenait à sortir des pépites. C’est ce qu’explique en substance Mokobé, l’un des trois membres du 113 dans la quatrième partie du docu D’ARTE consacré à la carrière de DJ Mehdi
INSERT — ITV Made in France MOKOBE
Effectivement les samples de l’album du 113 c’est une « tuerie » pour reprendre l’expression de Mokobé. Je vous propose d’entrer dans le vif du sujet avec l’intro qui se base sur « Here s that rainy day », du génial guitariste Wes Montgomery.
INSERT — SAMPLES / COMMENTAIRES SAMPLES
- Intro / Sample here s that rainy day (wes montgomery 1965)
- Ouais gros / Kraftwerk Trans Europe express
- Jackpotes 2000 / Rene and Angela I love you more (1981), duo RnB
- Tonton du Bled / Ahmed Wabhy, chanteur algérien, un disque trouvé dans la collection de vieux morceaux raï de la famille de Rim k avec ce sample aussi festif que mélancolique
- Les Princes de la Ville / Curtis Mayfield make me believe in you,
Vous l’entendez c’est un vrai travail d’orfèvre qui fait aujourd’hui de DJ Mehdi une figure tutélaire dans le rap français mais aussi l’un des rares musiciens à avoir su créer des ponts entre le hip hop et la French Touch. A tel point qu’il parvient à rendre possible cette collaboration un peu improbable entre Bangalter des Daft Punk et le 113, ce sera sur le deuxièmes album avec le titre “113 fout la merde”
Manu : Merci Greg pour cette super chronique ! Voilà cet album est un classique, il s’est vendu à 500.000 exemplaires + 1 millions de singles et pourtant il est absent de Deezer et Spotify, introuvable nulle part depuis 2009. Le problème vient de droits impayés pour les samples par les éditeurs du 113 tiens tiens ! J’ai mené mon enquête, en fait les labels Arianna et Double H (qui ont co-produit l’album sous licence chez Sony) ont fait faillite entre temps ! Du coup, légalement, personne ne pouvait plus exploiter l’album et il s’est vu retiré des plateformes du jour au lendemain. Ce qu’il faut comprendre c’est que c’est un beau bordel, un no man’s land juridique, une sorte de fantôme de la crise qui avait mis l’industrie à genoux au début des années 2000… souvenez-vous.
Mais heureusement tout semble enfin s’arranger. Rim’K a fini par racheter les enregistrements originaux de l’album, et il a dit qu’il devrait ressortir tout bientôt, c’est promis ! On attendant vous pourrez l’écouter sur Youtube…
L'univers visuel du 113
Manu : On va maintenant découvrir l’univers visuel du 113 avec toi Fanny, et je crois que tu avais un petit message perso à diffuser avant de commencer !
Fanny : Oui ça m’est déjà arrivé de commencer parfois en poussant un petit coup de gueule, mais cette fois-ci je vais déroger à la règle et formuler un énorme et sincère MERCI parce que je suis pleine de gratitude aujourd’hui !
Manu : Ah ouais ? Et merci qui ? Merci la vie ?
Je souhaite remercier personnellement Thibaut de Longeville, le directeur artistique de la pochette des Princes de la ville parce que j’ai rarement aussi peu ramé pour trouver des infos de bonne qualité ! D’habitude quand je prépare une émission je fais des heures de recherches, je ratisse internet pour trouver plein de détails. Et quand on parle d’albums français, je te raconte pas la galère, c’est beaucoup plus compliqué que quand on parle de trucs étrangers. Pour Cabrel, Zebda, 1 2 3 Soleil, t’imagine même pas comment j’ai galéré ! Et là pour une fois, j’ai eu toutes les infos intéressantes, de la bouche même du principal intéressé, franchement c’est royal, donc je dis merci !
Manu : Comment ça du principal intéressé ? T’as interviewé Thibaut de Longeville ?
Nan, nan, on se calme ! J’ai pas eu besoin. Figure-toi qu’il y a 2 ans, de Longeville a participé à l’exposition « Hip Hop 360 » qui a eu lieu à la Philharmonie de Paris. Me demande pas comment ça se fait, mais j’ai raté cette expo et j’ai un seum monumental… Je suis en plein FOMO !
Bref, à l’occaz, avec sa boite de prod qui s’appelle ‘360 Creative’ il a produit un mini documentaire de 10 minutes dans lequel il explique tout le processus de création de la pochette du 113, il dévoile les premières recherches, le concept validé, les secrets de fabrication, le logo, le livret intérieur, avec toutes les images pour étayer son propos, c’est hyper bien foutu, je me suis régalée !!
Manu : Génial ! Du coup, comment elle s’est faite cette pochette ?
Bon évidemment y’a plusieurs pistes graphiques qui ont été évoquées, mais celle qui a été retenue par 113, c’est un pompage assez délibéré de la pochette de l’album « Da Dirty 30 » du groupe de rap américain Cru, sur laquelle on voit le nom du groupe reconstitué grâce à une mosaïque de photos. Il est décidé aussi que le nom de l’album « Les princes de la ville » serait, lui, écrit avec des images de devantures de magasins comme dans le clip « La tour de Pise » réalisé par Michel Gondry.
A partir de ces 2 idées là, de Longeville et son acolyte Alexander Wise, ont décidé de capturer l’âme de Vitry-sur-Seine, territoire des trois membres du groupe, en allant prendre eux-mêmes sur place toutes les photos nécessaires à la conception de la mosaïque. Et le moins qu’on puisse dire c’est que y’avait du boulot, on écoute de Longeville nous raconter ça :
INSERT — Docu Thibaut de Longeville
3’’32 « Alex avait au préalable réalisé une grille (…)» à 4’17 « avec une seule image »
En dehors de ces éléments visuels très précis pour tracer les contours du chiffre 113, de Longeville a de son côté réalisé un reportage quasi documentaire sur ce que c’est de vivre dans une cité de banlieue. Il y a la dimension humaine, avec les enfants qui jouent, les bandes de potes qui trainent, les mecs qui font des roues arrière sur leur moto, etc et la dimension urbaine avec les immeubles, les voitures cramées, les murs tagués, les panneaux de signalisation. Tout ça se retrouve à l’image. On est vraiment ancrés dans le réel. La volonté d’AP, Mokobé et Rim-K pour cette pochette c’était de laisser parler leur ville et sa symbolique, plutôt que de se montrer eux. Ce grand poème visuel de la banlieue, comme de Longeville l’explique, ça préfigure clairement le clip de « Pour ceux » qui sera tourné quelques années plus tard par Romain Gavras et Kim Chapiron de Kourtrajmé pour la Mafia K’1 Fry.
Manu : En attendant, on reste avec le 113. Il me semble que c’est de Longeville et Alexander Wise aussi qui ont réalisé leur logo !
Oui, et on va écouter un nouvel extrait du docu pour mieux comprendre le sens caché de ce logo :
INSERT — Docu Thibaut de Longeville
6’’22 « j’ai proposé qu’on fasse un logo 113 » à 7’’20 « les transports en commun »
Franchement c’est ultra smart ! En bossant là-dessus, je me suis rappelée qu’on avait vu une police d’écriture « Dot Matrix » sur une autre pochette y’a pas si longtemps, c’était sur l’album d’1, 2, 3 Soleil sorti une année avant Les Princes de la ville. Franchement vu le succès d’1,2,3 Soleils à l’époque, impossible que de Longeville soit passé à côté. Donc est-ce qu’il y a un lien ou pas ? Malheureusement on saura jamais !
Manu : Finissons notre tour d’horizon avec le clip de Tonton du Bled.
Oui, j’avais envie d’en parler parce que c’est l’un des morceaux les plus emblématiques du 113, et d’ailleurs c’est eux trois qui ont co-réalisé la vidéo.
Tonton du Bled c’est une véritable ode à l’expérience des « bledards », ces enfants d’immigrés qui passent leurs vacances dans les pays d’origine de leurs parents. Et le clip sorti en l’an 2000 illustre parfaitement les contrastes culturels décrits dans la chanson.
Ici, le groupe met en scène l’incontournable voyage de retour au bled, incarné par la fameuse Peugeot 504 break, surchargée de cadeaux et de cabas Tati remplis à ras bord. Cette voiture, devenue un symbole dans l’imaginaire collectif des diasporas maghrébines, roule vers le port de Marseille, première étape de ces départs estivaux vers l’Algérie. Le voyage est ponctué de scènes qui illustrent les petites péripéties du séjour, les retrouvailles familiales à Béjaïa, les cafés en bord de plage à Boulimat, les courses au souk, le quotidien des vacances quoi ! Le tout avec une touche d’humour et d’autodérision.
Manu : Ce clip est bien plus qu’une simple promotion musicale : il cristallise une réalité partagée par de nombreux Français issus de l’immigration, avec ses joies et ses contradictions.
Oui, la description affectueuse de ce voyage a touché un public large, au-delà des amateurs de rap. Mais ce morceau raconte aussi cette sensation de décalage qui se creuse entre les générations d’immigrés : dans les paroles, RimK dit qu’il ne comprend pas l’argot de blédard dans lequel on lui parle en Algérie. Il fait partie de ces jeunes qui peuvent être vus comme des Algériens ici, et vus comme des Français là-bas. Qui ne se sentent pas complètement l’un et l’autre et cherchent leur place tout le temps. Bref, ce morceau raconte beaucoup de choses, il décrit de manière sincère les liens complexes entre les diasporas et leur terre d’origine. Je pense que c’est pour ça qu’autant de gens se le sont approprié et qu’il a eu un succès si énorme.
Tonton du bled et son clip restent des références dans l’histoire du rap français, mais pas que. C’est un morceau qui appartient à la France et à l’histoire de l’immigration en France. D’ailleurs, et je vais terminer avec ça, j’ai appris en faisant mes recherches que le clip de « Tonton du Bled » fait partie de la collection permanente du Musée de l’immigration qui se trouve au Palais de la Porte Dorée à Paris. C’est dingue franchement, quelle reconnaissance et quelle fierté pour le 113 ! Moi je trouve ça génial, ça me donne envie d’aller découvrir ce musée 🙂
Manu : Et d’ailleurs, au Musée de l’Immigration il y a une grosse sélection musicale, à la rencontre d’artistes, des années 1930 jusqu’aux années 2000, dont les parcours personnels ou les œuvres évoquent l’expérience migratoire. Dont quelque uns qu’on a déjà chroniqué dans Radio K7 : la Mano Negra, Noir Désir, IAM, NTM, Ministère A.M.E.R, Zebda, Rachid Taha, Khaled.
À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST
Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.
Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !
« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »
Manu, Fanny, Olivia et Grégoire
“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “