Chemical Brothers « Surrender »
(1999)
EN QUELQUES MOTS
Dans cet épisode, on va vous parler des Tom Rowlands et Ed Simmons alias les Chemical Brothers. Au milieu des 90s, alors que la Brit Pop devient la bande-son de toute l’Angleterre, les Chemical se lancent à l’assaut des charts avec pour seul et unique but de réconcilier le rock et l’électro. Il faut dire que leur style doit autant à l’acid house et au big beat qu’au rock psychédélique des sixties.
En 99, les Chemical Brothers sont au sommet de leur popularité et sortent un troisième opus complètement fou, “Surrender”, imaginé comme un véritable concept-album plutôt qu’une enfilade de singles à destination des dancefloors. Popularisé pas les singles “Out of Control”, “Let Forever Be”, et le hit plaqué or “Hey Boy Hey Girl” l’album recèle de mille trouvailles à l’instar du titre “Asleep from day” qui deviendra la bande-son de la marque Air France.
L’album est un carton — d’un point de vue critique et commercial — mais c’est sur scène que le duo se défend encore le mieux : personne n’avait fait des show aussi bons, visuellement parlant et leur live à Glastonbury l’année suivante rassemblera jusqu’à 250.000 personnes.
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Retour en 1999
Voilà pour les 11 titres de Surrender. C’est donc le troisième album des Chemical. Il sort le 21 juin 1999, en vinyle, Cassette, CD et Minidisc sur le label Astralwerk chez EMI.
Alors pour bien se remettre dans le contexte, en 99 tout change : la France passe à l’Euro, on découvre les MP3 qu’on télécharge sur Napster et on se prépare au mega-bug de l’an 2000. Au cinéma on va voir Coup de Foudre à Notting Hill, Matrix et American Pie ! C’est aussi l’année de Wipeout 3 que personnellement j’ai saigné sur Playstation et de Pokémon débarque sur le petit écran.
Au rayon techno à la FNAC on retrouve 1999 de Cassius, Remedy de Basement Jaxx, Windowlicker d’Aphex Twin et bien sûr You’ve Come a long way, baby de Fatboy Slim — qu’on d’ailleurs déjà chroniqué ici.
La story des Chemical Brothers
Manu : Alors on va revenir maintenant sur l’histoire qui nous intéresse aujourd’hui, celle du bromance entre deux gros fans de musique Ed Simons et Tom Rowlands. Est-ce que tu pourrais nous les présenter Olivia ?
Ed Simons est né à Herne Hill, au sud de Londres, le 9 juin 1970. Sa mère est avocate et son père est… absent. A cette époque, le petit Ed aime deux choses dans la vie : les avions et les comédies musicales. Heureusement, ses goûts musicaux vont un peu évoluer. Dès l’âge de 14 ans, il se met à fréquenter les boîtes de nuit et avoue être fan de deux groupes de Manchester, New Order et The Smiths. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’il choisit Manchester pour étudier l’histoire médiévale.
De son côté, Tom Rowlands, naît le 11 janvier 1971 à Kingston upon Thames, à Londres. Lui, son truc, c’est Public Enemy, Kraftwerk, et New Order. Lui aussi part étudier l’histoire médiévale à l’université de Manchester. Et c’est ainsi qu’il fait la connaissance d’Ed Simons, en 1989.
“Ces quelques années à Manchester, à nos débuts, ont façonné ma vie. Pour un étudiant, c’était la période rêvée pour vivre dans cette ville, participer à cette scène. Bizarrement, les étudiants ne fréquentaient pas l’Haçienda, ils préféraient se retrouver dans les bars de l’université ou les pubs de rugbymen.
A cette époque, l’acid-house et même les raves ne touchaient encore qu’un public underground. En ville, on se reconnaissait entre ravers grâce à des attributs vestimentaires, comme les chaussures Kick Hi de chez Kickers. On savait qu’on partageait ce secret, ce monde à part. On était souvent que tous les deux à venir de la fac avec Ed, alors qu’elle était à dix minutes en bus de ce qui était alors le meilleur club du monde ! Mais c’était une époque avant internet, l’info ne circulait pas et l’underground restait le plus souvent un secret bien gardé.”
On est à la fin des années 80. L’Angleterre découvre les premiers disques de house music en provenance de Chicago. Des fêtes sauvages sont organisées un peu partout. On danse jusqu’au petit matin sous l’effet de substances multiples et diverses, notamment l’ecstasy évidemment.
Dix ans après le punk, cette nouvelle révolution vient chambouler à nouveau les codes de la société britannique. Ce second “summer of love” comme on l’appelle (le premier c’est donc l’été 67 à San Francisco avec les hippies toussa toussa) dure deux ans, 87 et 88 et va durablement marquer les années suivantes, le début des années 90. On s’en était déjà un peu parlé dans l’épisode de Fatboy Slim. Deux années qui vont donc démocratiser la notion de clubbing, mélanger les différentes couches sociales et s’affirmer comme une réaction libératrice face à la crise économique et l’autoritarisme de Thatcher. Au début, ce sont juste quelques centaines de personnes mais le phénomène va rapidement se propager et lancer la mode des raves.
La bande-son de cette époque bénie, qu’on va appeler également Mad-chester, c’est ce titre : « Hallelujah » des Happy Mondays.
insert – Hallelujah (Weatherall remix)
Manu : Mais revenons-en à nos petits gars de Manchester. Ils commencent donc à organiser des soirées et montent un petit studio dans la chambre de Tom.
C’est aussi l’époque où ils mixent régulièrement, sous le pseudonyme de « 237 Turbo Nutters » (du nom du numéro de leur maison située sur Dickenson Road à Manchester). On les retrouve régulièrement derrière les platines d’un club appelé « Naked Under Leather » ( Nu sous le cuir, en français dans le texte). Ils passent essentiellement du hip hop, de la techno et de la house. Mais après un certain temps, ils commencent à manquer de morceaux hip-hop instrumentaux originaux et décident de composer leur propre musique.
Les choses s’enchaînent très vite, on commence à parler de leurs soirées. Mais bon, c’est pas des foufous non plus, puisqu’ils attendent d’avoir leur diplôme d’histoire médiévale en poche pour se lancer vraiment. C’est vrai que c’est quand même un sacré filet de sécurité, l’histoire médiévale, si la musique ne marchait pas…
Ils sortent donc leur premier maxi, composé à l’aide d’un système hi-fi Hitachi, d’un clavier, d’un ordinateur et d’un échantillonneur.
Ce maxi c’est « Song to the Siren » qui sort sous le nom des DUST BROTHERS en octobre 92. »
insert – Song to the Siren
Pour la petite histoire et je trouve ça trop mignon, sur la pochette de ce premier titre, il y avait le numéro de téléphone de la mère d’Ed au cas où quelqu’un chercherait à les contacter !
Ils auto-produisent donc 500 copies de « Song to the Siren » qu’ils distribuent chez tous les bons disquaires de Londres et ses alentours. Ils en envoient aussi une copie au DJ Londonien Andrew Weatherall, qui en fait un élément permanent dans ses sets.
Manu : aparté Wheatherall
C’est aussi Weatherall qui va les présenter au label Junior Boy’s Own.
Et là c’est bingo : Junior Boys Own adore et leur offre trois semaines de studio pour enregistrer un album… alors qu’ils n’ont littéralement encore jamais mis les pieds de leur vie dans un vrai studio !
Ça démarre très fort et le duo devient la coqueluche de la scène électro anglaise.
En octobre 1994, les Dust Brothers deviennent les DJ résidents du petit mais très influent Heavenly Sunday Social au Albany Pub de Great Portland Street à Londres. Un certain Noel Gallagher y passe toutes ses soirées ! Il les contacte pour leur demander de remixer l’une de ses chansons. Puis il change finalement d’avis. Il est comme ça, Noël !
Anecdote : En 1995, alors que les Chemical Brothers assuraient un DJ set pour Oasis à Sheffield (Angleterre), Liam Gallagher les a dégagés des platines et a demandé à un membre du groupe The Verve de prendre leur place. Il n’aimait tout simplement pas ce qu’ils passaient ou alors il n’appréciait pas les nouveaux amis de son frère Noel…
En mars 1995, ils entament leur première tournée internationale, qui inclut les États-Unis – où ils jouent avec Orbital et Underworld – puis une série de festivals européens. C’est également à cette époque que les The Dust Brothers, un groupe américain d’electro, commencent à tiquer quant à l’utilisation de leur nom. Tom et Ed se choisissent alors un nouveau nom. Ce sera : « The Chemical Brothers » d’après leur morceau « Chemical Beats », qui, selon eux, incarne leur nouveau son, plus agressif, plus puissant.
Et quelques semaines plus tard, le 15 avril 1995, les tout nouveaux Chemical Brothers sortent leur premier album Exit Planet Dust (en référence à leur changement de nom) L’album entre directement en neuvième position dans les charts britanniques. Leur succès international débute avec la sortie du single Life Is Sweet, avec Tim Burgess des Charlatans
insert – Life is Sweet
Manu : Et c’est à cette époque qu’ils invitent deux petits frenchies en première partie d’une date à Londres les Daft Punk, qui sont encore des bébés quoi. Y a une vidéo qui traine où on les voit papoter dans le tour bus justement.
Enfin bref, pour en revenir à cet album, Exit Planet Dust, on peut dire que c’est vraiment un tournant pour la musique électronique.
Olivia : C’est clair ! Exit Planet Dust va se vendre à plus d’un million d’exemplaires et devient le premier disque techno UK qui perce aux USA. C’est clairement grâce à ce succès que l’industrie du disque US s’est mise à remarquer la techno. Faut dire que, depuis deux ans (94-95), c’est pas trop la fête : les ventes de disques sont au plus bas, on attend désespérément la nouvelle rockstar, le nouveau son qui va faire redécoller les ventes. La presse spécialisée cherche un nouveau souffle et le public commence un peu à se lasser des grandes figures très égocentrées que le rock a produit ces dernières années. La techno va soudain apparaître comme LA solution. Globalement, à cette époque en tout cas, c’est un genre qui tourne son attention principalement vers la musique. Les personnalités des musiciens sont, de fait, plus en retrait.
Manu : Les Chemical arrivent donc au bon moment !
Olivia : Les labels commencent, en effet, à chercher des nouveaux sons, de nouveaux talents pour faire redémarrer la machine. Et le succès de Exit Planet Dust va durablement secouer l’industrie du disque. Pendant le festival de Glastonbury en 1995, Ed et Tom recroise Noel Gallagher, qui leur a dit combien il est fan d’Exit Planet Dust. Il veut absolument chanter sur un futur morceau, comme l’avait fait Tim Burgess sur « Life Is Sweet ». Quelques semaines plus tard, Ed et Tom envoie à Gallagher un enregistrement. Complètement emballé, il bosse dessus toute la nuit et les rappelle le lendemain matin pour leur dire qu’il est prêt à l’enregistrer.
Setting Sun sort en octobre 1996 et rentre directement à la première position des charts britanniques.
insert – Setting sun
Manu : True story : Noel les invite à jouer en première partie de leur live gigantesque de Knewborth en août 96. Deux mois plus tard sort Setting Sun…
C’est le tout premier single numéro un des Chemical Brothers ! Setting Sun est fortement influencée par Tomorrow Never Knows des Beatles. A tel point qu’ils ont reçu une petite lettre des avocats des Beatles. Virgin Records a dû embaucher un musicologue pour prouver qu’ils ne l’avaient pas samplée.
Le duo récidive en 1997 avec son album Dig Your Own Hole et son single « Block Rockin ‘Beats » qui rentre directement au n°1 des charts au Royaume-Uni.
insert – Block Rockin Beats
Pour le magazine anglais NME (New Musical Express), le morceau « vibre dans votre tête comme si vous veniez de faire une longueur sous l’eau dans une piscine pleine d’amyl ». Il leur a ensuite valu un Grammy Award de la meilleure performance instrumentale rock .
Avec des sons techno, rock et big beat, ce nouvel album confirme leur maîtrise des sonorités électroniques. Les Chemical deviennent une référence pour les remixes. Leurs concerts font salle combles partout en Europe et aux Etats-Unis pendant les deux années qui vont suivre.
Et puis en mai 1999, ils sortent ça :
insert I – Hey Boy Hey Girl (live)
« Hé les filles, hé les garçons, superstar DJ, c’est parti… »
Bon au niveau des paroles, c’est pas dingo dingo, mais ce premier extrait du l’album Surrender qui sort quelques semaines plus tard préfigure l’énorme carton de cet album considéré comme un tournant musical dans la carrière du groupe. Ils délaissent le big beat, ses mélodies sombres aux rythmes rapides et aux sons électroniques foisonnants pour rejoindre un courant plus electronica et acid house. Ce changement produit ainsi des titres aux mélodies plus fluides, plus frappantes, se rapprochant de plus en plus du rock psychédélique. Ce qui se solde par un très grand succès commercial : l’album est n°1 dans les charts britanniques et sera double disque de platine.
La presse comprend que le phénomène est en train de devenir beaucoup plus puissant et touche désormais tous les publics : le magazine Rolling Stone écrit que Surrender « pourrait être le premier album de dancemusic qui parle de la fin de la musique de danse, ou du moins la fin de l’innocence ». Le magazine Q pose le même diagnostic : « On dirait qu’il y a une vie après le big beat, après tout ». …Ce qui est un compliment mais aussi un peu une sentence pour leur genre.
Le groupe exprime à l’époque son besoin de ne pas rester dans une case. Leur envie est clairement de redessiner les frontières, d’étendre leur territoire.
Et si pour cela il faut devenir des rock stars, ce n’est pas un problème ! « Nous ne sommes pas dans les excursions d’avant-garde, déclare Tom Rowlands au magazine Muzik en 1995, nous sommes plutôt des rouleaux compresseurs de fête ! ». Aussi quand l’électronica a été considérée comme le nouveau rock, ils ont tout simplement saisi l’occasion et en sont devenus ses figures les plus identifiables.
Et sachez que Surrender est certainement la musique qu’entendront les premiers aliens qui débarqueront sur la Terre : Une copie de l’album a été placée dans la troisième capsule temporelle Blue Peter, enterrée en janvier 2000 !
Le making-of de "Surrender"
Manu : Alors c’est parti avec toi Greg pour le making of de Surrender, disque culte de la fin des 90s et au sommet de ce qu’on appelle le Big Beat. Mais c’est quoi le big beat ?
Greg Sauvage : Oui on en a déjà parlé dans notre épisode sur Fatboy Slim, le big Beat c’est ce sous genre de l’électro qui va cartonner dans la deuxième moitié des années 90 au Royaume-Uni ou comment des gamins abreuvés de rock British réinventent un électro festif et psyché.
Depuis leur premier essai Exit Planet Dust, la formule de base des Chemical reste la même : des breakbeats maltraités, des batteries rocks hip-hop agrémentés de glitchs, ces accidents sonores qui donnent tout son cachet à cette techno euphorisante. Mais clairement, Surrender c’est le coup de maître des Chemical Brothers, c’est ce disque qui porte cette formule à son meilleur en offrant une série de titres très accrocheurs et accessibles. Mais Surrender c’est sans doute les Chemical eux-mêmes qui en parlent le mieux. On écoute un extrait d’une des rares interviews filmées du groupe qui détestaient ça et là c’est Tom Rowlands qui parle…
insert – ITW Chemical
“Notre premier album avait une énergie funky tandis que Dig Your own Hole avait ce son puissant avec des titres progressifs et psychédéliques et puis Surrender, c’était quelque chose d’autre (rires) je ne sais pas, il y avait plein de choses dedans, mais on voulait un album plus fluide même si il y a aussi des moments intenses. Surrender était psyché et en même temps plus complexe et subtil, on voulait aussi faire un disque plus pop, le genre d’album que l’on peut écouter et écouter encore, c’est un album qui contenait finalement tout ce que l’on aimait à l’époque”
Manu : Alors Greg pour enregistrer les Chemical vont se rendre dans un studio bien connu à l’époque à la fois de la scène électro et de la scène rock…
Direction South London, aux Orinoco Studios, c’est là bas que les frères chimiques ont enregistré leurs deux précédents albums, Exit Planet Dust et Dig your own Hole, et effectivement parmi les groupes fameux qui ont y on mis les pieds, on retrouve notamment Oasis qui a mixé et enregistré une partie de son Morning Glory, album culte de la Brit Pop, abordé précédemment par un excellent podcast du nom de Radio K7. Les frères Gallaghers y retourneront pour enregistrer Be Here Now. Le studio connaîtra donc son heure de gloire à la fin des années 90, puisqu’il sera à l’origine de nombreux singles classés numéro 1 des Charts britanniques, se hissant même au niveau d’Abbey Road pour l’année 1997.
Manu : Et, pour cet enregistrement, la guest-list à l’entrée des studios est impressionnante.
C’est un casting 5 étoiles que nous propose les Chemical Brothers, jugez plutôt : Bobby Gillespie de Primal Scream, Hope Sandoval de Mazzy Star, Jonathan Donahue de Mercury Rev, Noel Gallagher d’Oasis sur le titre Forever Be, sorte de remake pop de Setting sun, un titre qui apparaissait sur leur premier album. Mais la star parmi les stars de l’enregistrement de Surrender c’est bien sûr Barney Sumner, guitariste de Joy Division et fondateur de New Order, qui chante et joue sur ce Out of control.
insert – Out of control
Manu : New Order-Chemical Brothers la boucle est bouclée pour ces deux gros fanboys !
Pour le groupe il s’agit ici évidemment de rendre hommage à cette scène électro et new wave de Manchester sans laquelle le Big Beat des années 90 n’aurait jamais pu voir le jour. ET puis au-delà de ce beau symbole, Barney Sumner a eu beaucoup d’importance dans l’histoire du groupe, servant en quelque sorte de figure tutélaire aux Chemical.
L’histoire de leur rencontre est assez drôle, les deux compères l’ont raconté en 2018 au quotidien Irish Times. Ils expliquent qu’à l’époque où ils sont étudiants à Manchester ils sont monomaniaques de New Order et encore aujourd’hui les Chemical peuvent passer des heures sur YouTube à la recherche d’une nouvelle interview rare du groupe ou d’un concert pirate qu’ils auraient manqué.
Et donc le groupe habite à l’époque dans un sous sol où se déroule pas mal d’after party, et un soir où il ne se passe rien de particulier, quelqu’un sonne à la porte et c’est ce bon vieux Barney qui passait par là et se demandait s’il n’y avait pas une soirée en cours. Ils lui ont proposé d’entrer et de regarder la fin du film ensemble. Lors de cette soirée est née une belle amitié et un compagnonnage entre les Chemical et la tête pensante de New Order.
Manu : Et quand on parle de Big Beat faut évidemment qu’on parle des samples de l’album
En effet, le Big Beat c’est pour beaucoup un art du sampling et dans lequel les Chemical Brothers sont passés maîtres. Dans cet album, et sans vouloir faire offense à la culture musicale large et profonde de nos auditeurs, il y a beaucoup d’artistes samplés totalement inconnus au bataillon, entre vieilleries soul et batteries chopés sur d’obscurs disques de disco ou encore cet album de musique du new age d’un musicien anglais que vous connaissez tous, James Asher et cet Asia Workshop qui sert de thème principal à Sunshine underground
insert – Sample Sunshine Underground
Ensuite, ils ont pris la voix du titre Patrol des Charlatans ralenti et dépitché pour donner cet effet méditation tibétaine
Enfin, pour faire monter la sauce, les Chemical ont convoqué cet batterie de l’artiste techno Thomas Krome
MANU : Mais il y a aussi des titres hyper connus qui ont été samplé sur Surrender.
insert – Asleep from day / Deep blue day
Et puis j’ai aussi de vous mentionner ce sampe de Bernard Fèvre, pionnier oublié de l’électro français dont la carrière a été relancé à l’aube des années 2000 par ces différents samples sur « Got Glint ? »
insert – Sample Got Glint?
MANU : Dernière étape cruciale, le mix, qui est si important pour un album de musique électro, un mix confié à un homme passé maître dans ce domaine
Oui il s’agit de Steve « Dub » Jones qui a oeuvré sur les deux précédents albums du groupe et a déjà bossé avec New Order, The Prodigy ou encore Primal Scream. Un génie du son qui pour le mix de Surrender va travailler sur une console analogique Neve VR 60 d’où ce son chaud, enveloppant, loin du côté parfois artificiel du son techno. Et c’est sans doute ce qui fait tout le charme de Surrender, les Chemical Brothers ont eu pour l’essentiel recours à des distorsions, des délays et tout une panoplie de dispositifs analogiques pour transformer le son, le rendant à la fois étrange et en même temps le plus naturel possible.
Surrender, avec son côté pop, ses nombreux titres chantés et sa variété de style peut être considéré comme le chant du cygne du Big Beat, on est en effet assez loin des gros effets de manche et des breakbeats en veux tu en voilà d’un Fat Boy Slim, et comme New Order en son temps, les Chemical ont préparé ici le lit de la musique de demain, de Gorillaz en passant par Justice…
L'univers visuel des Chemical Brothers
Manu : Bon alors je suis super content qu’on parle maintenant de la cover de cet album, parce que figurez-vous que j’avais le poster pendant 10 ans dans ma chambre ! C’est un poster que j’avais acheté à Londres lors d’un voyage scolaire, et je me suis toujours demandé comment la pochette avait été fabriquée.
Fanny Giniès : Écoute Manu, je suis heureuse d’aider à lever le voile sur ce grand mystère de ton adolescence ! C’était plutôt une bonne surprise pour moi de découvrir l’univers créatif développé sur cet album des Chemical Brothers. En allant regarder de plus près les crédits, j’ai vu que la direction artistique est signée par les membres du groupe eux-mêmes en collaboration avec Blue Source, un collectif d’artistes, de graphistes, de réalisateurs basé à Londres qui a été actif de 1991 aux années 2000. Ils ont bossé pour d’autres groupes cools comme Placebo, Pulp, Garbage ou Cocteau Twins.
Les Chemical et Virgin ont donc embauché Blue Source, ils ont fait un pitch créatif avec leurs attentes et ont lancé un appel à projet auquel plein d’artistes ont participé.
Et c’est une jeune artiste anglaise nommée Kate Gibb qui a remporté le concours en proposant un travail de collage de photographies, obtenu grâce à la sérigraphie.
J’en profite pour faire un petit aparté technique, car je sais que nos auditeurs aiment qu’on leur apprenne des choses. Je me suis dit que c’était l’occasion…
Manu : Ahah alors dis-nous, Fanny, c’est quoi la sérigraphie ?
Bon très rapidement, la sérigraphie c’est un procédé d’impression qui utilise des pochoirs, enfin une variante un peu plus complexe de pochoirs. On choisit une image source qu’on va transférer sur un cadre de sérigraphie en tissus. Ensuite on place un support à plat, ça peut être du papier, de la toile, du tissus ou autre, on pose le cadre de sérigraphie dessus, on met de l’encre sur l’écran, on la racle et hop comme par magie quand on enlève le cadre le motif a été imprimé sur le support.
Ce qui est génial avec la sérigraphie c’est qu’on peut superposer plusieurs écrans, faire des aplats de couleurs, des dégradés et travailler sur des motifs très détaillés comme des photos. D’ailleurs, historiquement l’un des artistes qui a le plus popularisé la sérigraphie c’est évidemment Andy Warhol et ses portraits de célébrités aux couleurs pop comme Marilyn Monroe, Liz Taylor ou Elvis Presley, je pense vous avez tous ça en tête.
Sur la pochette de Surrender, on voit donc une photo sérigraphiée avec des aplats bleu, marron, orange et beige. A l’origine, il s’agit d’un cliché du photographe Richard Young titré “Jesus Among the fans” qui a été pris en 1976 lors du Great British Music Festival qui a eu lieu à l’Olympia de Londres. Au premier plan, on distingue quelques personnes qui attendent pépouze et sur la droite un mec debout avec les bras levés en l’air. Ce mec qui se faisait appeler Jésus, William Jellett de son vrai nom, était une sorte de hippy connu à l’époque pour ses danses extatiques en concert.
Outre cette photo, en haut à droite de la pochette, on a le nom de l’album et à gauche le logo du groupe, qui est lui-même très reconnaissable avec cette typo toute en rondeurs. C’est le studio de design graphique Negativespace qui a crée ce logo au début des nineties , à partir d’une police de caractères qui s’appelle Sho Roman.
Manu : Merci pour cette analyse très complète sur la pochette que j’apprécie beaucoup. Et tu as choisi de nous parler de quels vidéo-clips Fanny ?
Alors niveau clips, y’en a 3 qui ont été tournés pour la promo de Surrender. On a un clip pour Hey Boy Hey Girl, un pour Out Of Control, un pour Let Forever Be et c’est de ce dernier dont on va parler parce que c’est l’occasion de retrouver notre copain Mimi Gondry !
Manu : Je traduis : Michel Gondry pour les intimes.
Oui, Gondry on en a parlé dans l’épisode sur Daft Punk, on l’a mentionné chez Bjork, c’est évidemment un réalisateur qu’on adore ici chez Radio K7, et dans les années 90 il a pondu un nombre impressionnant de clips hallucinants. Le clip de Let Forever Be, faut bien l’avouer, ne va pas déroger à la règle !
insert Let Forever Be
A vrai dire ce clip est tellement dingo qu’il est difficile de le résumer. Disons que toute sa prouesse tient dans des effets spéciaux et des effets de caméra qui s’enchaînent de manière tellement fluide que notre cerveau peine à capter ce qui se passe.
Techniquement, c’est vraiment du génie, on a des effets de transition entre les décors, on a des personnages et des objets qui se dupliquent à l’infini ou bien qui à l’inverse vont se fusionner comme dans un kaléidoscope.
Là où je dis que c’est du génie, c’est qu’au lieu de dupliquer les personnages par ordinateur avec un simple copier/coller, Gondry va re-créer cet effet avec des comédiens qui le miment dans le réel. Je m’explique : au tout début de la vidéo par exemple, on voit une femme rousse qui éteint son réveil qui sonne sur la table de nuit, soudain l’image se duplique, on n’a plus un mais 15 réveils posés sur la table et non plus une mais 7 femmes rousses, 7 comédiennes toutes habillées pareil qui se lancent dans une danse chorégraphiée comme Gondry les affectionne tant.
Manu : Y’a une super vidéo de Michel Gondry sur YouTube dans laquelle on voit comment il a tourné certaines scènes en studio…
C’est hyper intéressant, malheureusement ça sert à rien de diffuser un extrait car Gondry y parle anglais avec un accent français à couper au couteau. Dedans, il explique qu’il a puisé son inspiration dans les émissions télé anglaises des années 70, comme Benny Hill, où les séquences plateau étaient filmées en vidéo et les séquences extérieures avec une caméra 16 mm, avec un grain complètement différent mais qui matche quand même. Il a choisi de mettre en œuvre la même chose, et de faire des transitions invisibles entre les plans.
Outre la prouesse technique, on peut souligner la fantaisie de la trame narrative. J’ai lu un article génial de Warren Buckland, paru dans la revue Volume. Le titre c’est Les storyworlds non naturels et impossibles de Michel Gondry, et dedans ce Buckland, qui est prof d’études cinématographiques à l’université d’Oxford, explique comment Michel Gondry va mettre en place ce qu’il appelle des « storyworlds impossibles » dans ses clips. C’est-à-dire des récits narratifs qui contiennent des événements physiquement impossibles, non réalistes, anti-mimétiques ou invraisemblables.
C’est clair et net que le clip de “Let Forever Be” contrevient à toutes les lois de la physique, et c’est justement ça qu’on adore chez lui.
Manu : Merci Fanny ! Leur collaboration va d’ailleurs se prolonger, puisqu’’en 1999 toujours, Air France veut faire du ciel le plus bel endroit de la terre et confie à Michel Gondry la réalisation de ce film publicitaire d’une minute ! Une invitation poétique au voyage, sublimée par le morceau « Asleep From Day » des Chemical Brothers.
L’ironie du truc c’est que Let Forever Be n’a jamais reçu de MTV Awards ou quoi, mais par contre la pub Air France produite par l’agence BETC, elle, a raflé tous les prix de la profession cette année-là. Et pour la petite anecdote c’est cette pub, qui est complètement géniale, qui m’a donné envie de bosser chez BETC quelques années plus tard et devinez pour quelle marque ? Air France Music 🙂
À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST
Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.
Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !
« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »
Manu, Fanny, Olivia et Grégoire
“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “