Marilyn Manson « Antichrist Superstar »
(1996)
EN QUELQUES MOTS
Dans cet épisode, on va vous parler de Brian Hugh Warner, alias Marilyn Manson. Alors que le monde du rock s’endort et pleure la fin du grunge au milieu des 90s, une révolution se prépare en coulisses : Marilyn Manson vient annoncer l’Apocalypse et se lance à corps perdu dans une croisade hérétique plus que périlleuse !
Le manifeste en question s’appelle ‘Antichrist Superstar’ et tire à bout portant contre l’Amérique et la religion dans un déluge de riffs sales, glam, indus et métal. Grâce à des titres comme “Tourniquet”, “Man That You Fear” ou “The Beautiful People” prévus pour marquer les esprits au fer rouge, le disque se hisse en 96 au sommet des charts, faisant de Manson l’ennemi public n°1 de l’Amérique.
Une tournée et quelques scandales plus tard, « Antichrist Superstar » parvient à réaliser la prophétie qu’il avait annoncée : faire de Marilyn Manson une superstar, et même l’Antéchrist en personne pour certaines associations chrétiennes…
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Retour en 1996
Voilà pour les 16 titres de Antichrist Superstar, 17 même parce qu’il y a une piste cachée ! C’est le deuxième album de Marilyn Manson. Il sort le 8 octobre 1996 en Cassette et CD sur le label Nothing Record, une division du célèbre label Interscope chez BMG.
Pour bien se remettre dans le contexte, en 96 c’est carrément la panique à cause de la vache folle (ma mère ne veut plus que j’aille au MacDo). Au cinéma on va voir Seven, Trainspotting et Independance Day. C’est aussi le succès phénoménal de X-Files sur le petit écran et le tout premier Resident Evil sur Playstation…
96 est marquée aussi par des poids lourds du rock qu’on retrouve dans les bacs de la FNAC aux côtés de Manson : Load de Metallica, Evil Empire de Rage Against The Machine et Life is Peachy de Korn pour ne citer qu’eux. A la radio on écoute les Spice Girls et on dans les campings on refait en boucle la choré de la Macarena !
La story de Marilyn Manson
Manu : On va revenir maintenant quelques années en arrière avec toi Olivia et on va parler de gros métal bien sale !
Olivia : Tout à fait ! Alors souvenez-vous, on a déjà parlé de métal dans Radio K7. L’épisode sur les gentils tontons de Metallica et leurs balades dégoulinant de sucre et de sirop, les Johnny Hallyday américains comme Manu aime à les appeler.
Et bien oubliez tout ça… Aujourd’hui on s’attaque à la face nord. Beaucoup plus obscure, beaucoup plus tragique, plus dérangeante. Un album qui a touché au cœur des millions d’adolescents en quête d’absolu.
Antichrist Superstar est le premier album de métal à atteindre le haut des charts avec une image aussi sombre. Les gars ne font pas semblant : l’album annonce tout simplement l’arrivée de l’Apocalypse. Mais Marilyn Manson, appelé le Révérend, sauvera uniquement ceux qui en valent vraiment la peine. MM part en guerre contre l’Amérique hypocrite et puritaine, en guerre contre la religion, contre ce monde malade qui nous aveugle et nous aliène. Pour cela, il n’hésite pas à aller piocher dans Nietzsche, Schopenhauer, Milton, Shelley, la numérologie, les images mystiques, la kabbale et ses souvenirs d’enfance. Antichrist Superstar est un album aux multiples entrées. Son impact sur les jeunes est immense. Une armée d’ados mal dans leur peau vont se retrouver dans la musique et le discours de leur idole au point de l’élever au rang de Dieu tout puissant.
Mais revenons plus en détails sur ce qui a fait le succès interplanétaire de Marilyn Manson et de cet album en particulier qui va se vendre à plus de 7 millions d’exemplaires !
MM, de son vrai nom Brian Hugh Warner naît en 1969, à Canton, dans l’Ohio. Sa mère est infirmière et son père a été pilote d’hélicoptère durant la guerre du Vietnam, puis vendeur dans un magasin de meubles.
Brian est un garçon solitaire. Il est scolarisé dans une école privée épiscopalienne aux règles super strictes : les cheveux longs ne sont pas tolérés chez les garçons et la couleur des tenues est imposée selon le jour de la semaine.
Il expliquera sur MTV en 1997 : « J’étais un gamin de treize ans à qui on répétait tous les jours que l’Antéchrist était sur le point d’arriver pour amener avec lui la fin du monde. Toutes les nuits je restais éveillé ou j’avais d’horribles cauchemars avec ces images. Et finalement, 1984 s’est achevée, et toutes les années suivantes aussi, alors qu’ils continuaient à soutenir que l’heure était proche. Je me suis alors construit une véritable carapace très solide, et suis devenu Marilyn Manson, plein de ressentiments. »
Les enseignants de Brian éprouvent un profond dégoût pour le rock, et c’est par rébellion qu’il commence à s’y intéresser : Brian devient fan d’AC/DC, de Judas Priest, et surtout du groupe Kiss. Alors qu’il n’a que dix ans, son père l’amène à l’un de leurs concerts et leur sens de la mise en scène impressionne fortement le petit Brian.
insert -Kiss “I was made for lovin you Baby” live 1979
Il a dix-huit ans, quand sa famille déménage en Floride où son père a trouvé un poste de vendeur dans un magasin de tapis. Brian s’inscrit alors au Broward Community College pour y étudier le journalisme et le théâtre.
Manu : C’est marrant parce que autant avant dans son école catholique, il était le bad boy de service, autant là il devient complètement invisible. C’est l’impasse totale !
Olivia : Exactement ! Personne ne s’intéresse à lui et, miskin, il n’a vraiment rien pour plaire : il est tout maigre, plein d’acné, il joue à Donjons et Dragon et écoute du heavy metal… Il passe son temps libre à écrire des poèmes et des nouvelles qu’il essaye de faire publier — mais ça marche pas trop pour lui. Jeune adulte, il démarre une carrière de critique musical pour plusieurs magazines, ce qui l’amènera à interviewer des artistes comme Malcolm McLaren, Debbie Harry, les Red Hot Chili Peppers, et Trent Reznor, le leader de Nine Inch Nails… mais son rêve est de devenir très rapidement l’un des leurs : une super star !
insert – MM & The Spooky Kids “Negative 3”
On vient d’écouter Marilyn Manson and the Spooky Kids, le groupe qu’il fonde en 1989 avec des musiciens rencontrés par hasard : Jordie White (Twiggy Ramirez), Brian Tutunik (Olivia Newton Bundy), Scott Puteskey (Daisy Berkowitz) et Frank Wilson (Ginger Fish). Leurs noms de scène est un mélange entre le prénom d’une icône féminine et le nom d’un tueur en série. La beauté et l’horreur.
Ses musiciens sont des losers comme lui, la plupart ont une personnalité plutôt effacée pour qu’il reste le seul et unique chef. Car certes, Marilyn Manson and the Spooky est un groupe, mais ce groupe a un leader qui va tout faire pour attirer la lumière. Si bien que très vite, ils ne s’appelleront plus Marilyn Manson tout court.
Le groupe finit par attirer l’attention de Trent Reznor qui produit leur premier album en 1994, Portrait of an American Family publié sur son label Nothing Records. Puis Smells Like Children en 1995, un EP qui contient leur premier succès diffusé sur MTV : Sweet Dreams (Are Made of This), du groupe Eurythmics
insert – MM “Sweet Dreams”
Nous sommes en 1996. Interscope records envoie un dossier de presse aux médias :
« Vous trouverez ci-joint un CD de Antichrist Superstar. Afin de réduire les interférences civiles avec la mission de cette puissante coalition, il est nécessaire de clarifier certains points à l’objecteur de conscience.
L’Antichrist Superstar, la légende ainsi que son incarnation actuelle, a été engendrée en réponse aux tensions mondiales croissantes. Monsieur Marilyn Manson, l’une des rares personnes capables de transmettre le message du jugement dernier imminent, a pris la décision, avec l’aide de ses associés expérimentés, à savoir Twiggy Ramirez, Madonna Wayne Gacy, Ginger Fish et enfin Zim Zum, de s’en charger.
insert – MM “The Beautiful People”
Le ton est donné : MM n’est pas là pour sauver l’humanité qui n’en vaut pas la peine. Il est là pour sauver ceux qui le méritent, ceux qui auront ouvert les yeux, ceux qui sont prêts. Aucun message ne pourrait être plus efficace, plus séduisant, plus réconfortant pour parler à cette génération d’adolescents complètement paumés et bouffés par le mal-être, devenus orphelins depuis la mort de Kurt Cobain deux ans plus tôt. MM va leur tendre la main pour mieux devenir leur roi. Il devient le porte-parole de toute une communauté adolescente, notamment parce qu’il est le seul à croire en eux.
« Je suis devenu Marilyn Manson le jour où j’ai décidé de croire en moi-même. Quand j’étais enfant, j’étais le ver de terre dont je parle dans l’album, et je suis devenu Marilyn Manson. Je suis devenu l’ange qui voulait être Dieu. Je pense que tout le monde a un désir puissant en lui, tout le monde est un Antéchrist potentiel. Je pense être capable de le libérer en eux pour que chacun devienne fort et ne soit plus une victime. »
Avec ce disque, MM est clairement décidé à provoquer des réactions extrêmes. Il concentre toute la haine emmagasinée pendant des années contre l’école, l’église, sa famille, ceux qui l’ont rejeté, qui n’ont pas cru en lui. « J’ai toujours dit qu’il y a deux sortes de personnes : celles qui aimes MM et celles qui en sont jalouses »
MM, roi de la provocation et du bon mot, va devenir le client parfait de la presse. Avec son look de pantin trash déglingué et ses déclarations chocs, il joue parfaitement le jeu des journalistes. Il ne faut pas oublier qu’avant d’être MM, Brian Warner était journaliste musical. Il sait créer le buzz. C’est un manipulateur, un divertisseur de foule. Il prend plaisir à exercer son pouvoir et ne craint pas le ridicule. Il préfère inventer son histoire pour rester intéressant, original : il raconte qu’à l’âge de 8 ans, alors qu’il dormait, un individu se serait introduit dans sa chambre et aurait essayé de l’étouffer avec un oreiller. Depuis, Manson ne dormirait plus que la lumière allumée. Il raconte sa première fois désastreuse sur un terrain de foot qui se terminera en quelques secondes bien avant d’avoir ne serait-ce qu’approché la fille…
C’est un être intelligent qui s’exprime bien, il ponctue ses déclarations de citations choc de ses mentors Lavey (le père du satanisme), Nietzsche, Roald Dahl. Il veut faire réfléchir. C’est ce qui étonne les médias dès le début : en découvrant la musique du groupe, les journalistes s’attendent à rencontrer une bande de vieux ados mal dégrossis ou des trentenaires drogués qui refusent de grandir. Enorme surprise donc quand Manson se pose calmement pour parler de son album. Manson maîtrise parfaitement son image et son marketing. Il ne laisse à personne l’occasion de déformer ses propos ou de le manipuler.
En un an et demi à peine, Manson a enchaîné les couvertures de magazine en bien ou en mal, rempli des salles du monde entier (dont deux fois le Bataclan à Paris en mai 1995 et en décembre 1996), énervé les parents de fans, les associations religieuses, les chaînes de supermarchés américains qui refusent de vendre Antichrist Superstar. Il a eu des procès pour avoir déchiré la Bible, pour obscénités sur scène, il a été accusé d’incitation au suicide et à la violence, à la scarification. Les ados du monde entier le portent aux nues, le reste du monde le déteste, mais une chose est sûre : désormais tout le monde sait qu’il existe. Comme il l’avait prédit. Le gosse paumé de Canton est devenu l’une des plus grosses rock stars.
Le making-of d'"Antichrist Superstar"
MANU / On part maintenant découvrir les coulisses de l’enregistrement d’Antichrist Superstar, on part avec toi Greg à la Nouvelle-Orléans qui deviendra pour Brian Warner et ses acolytes, la ville de tous les vices…
Grégoire Sauvage : Effectivement, c’est dans l’atmosphère poisseuse de la capitale américaine de la culture vaudou, que Marilyn Manson et son groupe pose ses valises en mars 1996. Une ville que Manson décrira dans son autobiographie comme un Enfer ayant dévoré son âme.
Il décrit des conditions de vie précaire, la saleté, la privation de sommeil poussé à l’extrême, des conditions qui semblent plus proches de celles d’un squat de junkies que d’un enregistrement professionnel.
Manson écrit : « Nous dormions tous dans la même chambre sordide, inhalant la puanteur de nos fringues sales, et nous battant contre des puces et des rats ».
Comme toujours, difficile de démêler le vrai du faux, avec Marilyn Manson, de faire la différence entre le coup marketing et la réalité, mais évidemment c’est parfait pour nourrir la légende noire qui entoure la gestation chaotique de cet album culte.
Ce qui est sûr c’est qu’il y avait des filles et de la drogue, beaucoup de drogue pendant ces huit mois passés à la Nouvelle Orléans, l’idée est de tout essayer et surtout de dépasser les limites : cocaïne, champignons, tout y passe et même fumer des os humains, la ville étant assez mal entretenue, il était possible apparemment de déterrer des restes humains, et Manson n’a rien trouvé de mieux à faire que de les réduire en poussière et de les fumer.
Ça ira super loin puisque Manson va faire une overdose pendant l’enregistrement, il est alors contraint de mettre la pédale douce et de se ressourcer à Canton dans l’Ohio, là où il a grandi avant de repartir en studio, sans arrêter totalement la drogue, faut pas déconner.
Manu / Tu nous a bien planté le décor, c’est gratiné, est-ce que tu pourrais nous parler maintenant des personnages principaux de cet enregistrement ?
Oui commençons avec le guitariste et bassiste Twiggy Ramirez, l’alter ego de Manson, c’est lui qui a composé l’essentiel de l’album avec Manson lors d’une précédente tournée du groupe, cette fois il ne s’agit absolument pas d’un travail collectif mais plutôt d’une collaboration en comité restreint, il y a assez peu de place pour la créativité des autres musiciens pendant cet enregistrement qui resteront cantonnés pour l’essentiel à des rôles d’exécutants, on écoute les révélations de Marilyn Manson sur l’origine du Mal dans cette interview accordée en 2009
insert – ITV MM
“On a fait cet album à 100 % Twiggy et moi. On était en tournée, c’était notre première grosse tournée et à cet époque on a essayé pour la première fois une drogue appelée “crystal meth” — surtout les enfants ne faites pas ça — et donc on a écrit l’essentiel d’Antichrist Superstar à l’arrière du tour-bus avec une guitare acoustique et un enregistreur 4 pistes. C’était aussi simple que ça. Ça m’amuse quand on en fait des tonnes sur le fait d’être allé dans TEL studio avec TEL producteur alors qu’en fait c’était juste : un 4 pistes, une guitare, Twiggy et moi ; et Ginger Fish le batteur qui faisait ça (bruits de MM qui tape sur ses genoux) et personne d’autres. C’est vraiment comme ça que tout a commencé. Et à cette époque, on sentait déjà que c’était un disque important, c’est pour cette raison qu’il commence avec cette foule en train de chanter, c’est parce qu’on savait que cela allait être quelque chose”
insert – Irresponsible hate Anthem
L’autre clé de voûte d’Antichrist Superstar, c’est évidemment Trent Reznor, C’est lui qui a donné sa chance à Marilyn Manson alors que personne ne croyait en lui et qui a produit son premier album, Portrait of an American Family. Et c’est dans les studios de son label, les Nothing Studios, une morgue reconvertie, que le groupe enregistre à la Nouvelle-Orléans.
Contrairement à Manson qui est un piètre musicien, Trent Reznor, est un artiste très complet et hyper doué, auréolé du succès critique de the “downward spiral”, du rock industriel à l’atmosphère très sombre
insert – The DownWard spiral
Ce son très dark, où les distorsions d’outre tombe sont accompagnés de subtils arrangements électroniques, va beaucoup influencer Manson sur la production d’Antichrist Superstar, c’est assez évident quand on écoute par exemple Cryptorchid
insert – Cryptorchid
C’est vraiment lui qui va imprimer sa marque sur ce disque même si il finira par claquer la porte en fin d’enregistrement laissant Manson en tête à tête avec le producteur Sean Beavan. En cause, des problèmes d’ego, Manson lui reproche ses retards à répétition, les deux hommes commencent également à avoir des choix artistiques qui s’opposent (Reznor veut faire quelque de plus expérimental tandis que Manson veut maintenir un côté pop) et puis à cela s’ajoute une histoire rivalité autour de la composition de la musique du film The Lost Highway de David Lynch, musique qui finira par être confiée à Reznor en plein enregistrement d’Antechrist Superstar, c’est en est trop pour Manson qui crie à la trahison.
Manu / Et Reznor ce n’est pas le seul à claquer la porte, ensuite ce sera au tour du guitariste Daisy Berkowitz.
Oui lassé d’être mis sur la touche, le vieux copain quitte aussi le navire au milieu de la tempête. En fait Berkowitz est venu en studio avec tout un tas de compositions qui n’intéresse absolument pas Manson, il est carrément écarté au profit de Twiggy Ramirez. On raconte également que Trent Reznor aurait fracassé la guitare que lui avait offert son père récemment décédé… là encore, c’est sans doute une anecdote inventée pour faire parler car dans plusieurs interview de Berkowitz, il ne mentionne jamais cette histoire. Il explique simplement qu’il n’avait plus le respect qu’on lui devait en tant que musicien.
MANU / Alors si on résume : des musiciens qui se barrent en cours de route, des mecs perchés incapables de tenir les horaires, Manson de plus en plus parano et insupportable, on se demande comment le disque a réussi à voir le jour…
C’est clair que cela peut surprendre quand on reprend les conditions extrêmes que je viens de vous décrire et en même temps ce sont sans doute ces conditions qui ont façonné le son de ce disque violent, décadent, chaotique, halluciné, alimenté par les antagonismes et les rivalités et surtout porté par la vision cauchemardesque d’un Manson persuadé qu’il deviendra bientôt le prochain cauchemar de l’Amérique avec cet album fleuve fourmillant de références ésotériques et racontant sa propre histoire : celle d’une transformation, d’un garçon appelé métaphoriquement « wormboy », étouffé par une éducation religieuse et conformiste semblable à celle que Brian Warner a reçu et qui va se métamorphoser en une créature monstrueuse et destructrice.
insert D – 5 Wormboy
L'univers visuel de Marilyn Manson
Manu : Manson peut dire merci à son ancien pote Trent Reznor n’empêche parce que sans lui je pense qu’on en parlerai même pas aujourd’hui de cet album. Qu’on aime ou nous c’est devenu une légende cet album et cette pochette, bien sale et mystérieuse. Je me souviens que je scotchais complètement dessus à la FNAC. Tu as dû bien kiffer Fanny !
Fanny Giniès : Travailler sur l’artwork de cet album de Marilyn Manson me rappelle les grandes heures de mes cours d’histoire de l’art à la fac, quand on lisait Le Détail de Daniel Arasse en analysant des tableaux de la Renaissance truffés de symboles et de messages cachés. Alors malheureusement la comparaison s’arrête là, car loin de moi l’idée de rapprocher cette pochette d’une œuvre de grand maître, je dirais plutôt un pot pourri de plein de références bizarres sorties d’un esprit tordu, on met le tout dans un grand shaker, on remue, on remue et hop on a un cocktail dégueulasse à base de napalm saupoudré de bile.
Bon ok, j’arrête de faire ma mauvaise tête et je vais essayer de vous parler de cette pochette de manière objective :
Déjà les crédits, à la photographie, on trouve un certain Dean Karr. C’est pas un inconnu de l’univers Manson car il avait déjà réalisé le clip de Sweet Dreams, la cover d’Eurythmics. Et pour le design et les illustrations, on trouve l’artiste P.R. Brown qui lui n’avait pas fait grand chose avant, quelques vagues pochettes de jazz qui n’ont rien à voir.
Evidemment Manson avait une idée bien précise de l’univers visuel qu’il voulait développer pour ce projet et d’emblée il a invité Brown à mater un film d’horreur expérimental qui s’appelle Begotten, réalisé par un certain E. Elias Merhige. C’est un film en noir et blanc, sans dialogues, dont je vous ai trouvé le synopsis sur le site de Première, vazy à toi MiKL :
« Un dieu se démembre lui-même. La terre se manifeste alors sous la forme d’un paysage voilé de noir. Le fils de la terre intervient à son tour mais il est attaqué par des cannibales sans visage. »
Voilà, ambiannnnce ! Bon donc toutes les bases sont posées : la religion et son versant occulte rempli de mythes, d’images ésotériques et, est-il besoin de le préciser, de noirceur. Là on tape dans le dark à 1000 %.
La pochette, c’est donc une infographie avec dans le coin droit une moitié de visage de Manson, le teint blafard avec le visage veiné de rouge, la bouche couverte de lipstick noir et son habituelle lentille de contact qui lui fait des yeux de zombie. Autant dire qu’il respire pas la santé l’jeune homme.
L’autre moitié de la pochette c’est une surimpression de calques vieillis et grattés dans les tons noir, rouge et sépia. On a le nom de Manson, le titre de l’album traversés d’un cercle qui liste 4 éléments : 1. Heart (le cœur), 2. Mind (l’esprit), 3. Complacent (la suffisance) et 4. Malice (pas besoin de traduire).
En fait sur cette pochette, Manson incarne le personnage de l’Antéchrist en pleine mutation avec des ailes de papillon, c’est aussi une allusion à la 14ème carte du tarot divinatoire qui représente la Tempérance. J’dis ça au cas où y’ait des fans d’astrologie qui nous écoutent.
Manu : Ce thème de la métamorphose est d’ailleurs pas mal développé dans les chansons de l’album donc en fait il décline juste là ses concepts visuellement…
Oui c’est ça. Le livret c’est un dépliant avec vraiment 2 côtés distincts. Le premier côté aborde l’idée de mutation avec les personnages du ver, de l’Antéchrist et de l’angé déchu, tout ça dans une compo au milieu de paroles de chansons et de passages de l’Ancien Testament. Et le deuxième côté est encore plus mystique, encore plus cryptique, avec des lettres d’alphabet secret, des signes kabbalistiques, et puis surtout ce logo rouge qui représente un éclair au milieu d’un cercle.
Alors, on a beaucoup reproché à Manson d’inventer sa propre grammaire fascisante, c’est clair que ce logo ressemble aux pires emblèmes du totalitarisme, mais pourtant le Marilyn a trouvé une petite pirouette en déclarant la chose suivante :
« Ceux qui ne savent pas faire la différence entre un symbole nazi et le logo de l’électricité ne m’intéressent pas. Je ne perdrai pas mon temps à discuter avec eux. »
Ce à quoi j’ai envie de lui répondre que ceux qui ne font pas la différence entre un symbole nazi et la swastika hindoue ont vraiment du caca dans les yeux… bref tout ça pour dire que sa réponse pue la mauvaise foi et que oui, quand tu plaques un logo rouge sur une compo à base de tons noirs, rouges et blancs bah t’es un peu border…
Pour celles et ceux qui ont envie d’entrer dans le détail de cette pochette et de son livret en forme de pochette surprise du darkness, je vous invite à vous procurer le livre ‘Antichrist Superstar : Marilyn Manson face à ses démons’ de la journaliste française Charlotte Blum. C’est hyper complet, vous avez le décryptage de chaque micro détail et chaque micro symbole et toute la symbolique tirée des tarots, de la kabbale, de la bible et tout et tout !
Manu : Ok pour la pochette, tu as choisi de nous parler de quel clip alors ?
Les clips pour cet album, y’en a plusieurs qui ont été faits mais je vais vous parler de celui qui a le plus cartonné à l’époque et qui a fait vraiment passer la carrière de Manson de l’ombre à la lumière. Je veux parler bien sûr de The Beautiful People.
Insert – Beautiful People
Je suis contente de parler de ce clip pour une seule et bonne raison, c’est qu’il a été réalisé par l’italienne Floria Sigismondi, et quand j’avais 18/20 ans, j’étais méga fan du travail de cette photographe et réalisatrice qui avait signé alors des vidéos pour Tricky, Shivaree, Martina Topley-Bird ou encore Fiona Apple que j’écoutais beaucoup à l’époque. J’aimais beaucoup l’univers très personnel, onirique et sombre de cette meuf, je ne savais pas qu’elle avait bossé pour Manson.
D’un point de vue filmique, le clip est excellent, avec une succession de plans très cut et de nombreux effets de caméra qui donnent une nervosité et une étrangeté à l’image qui matche bien avec la musique.
D’un point de vue du scénario, il y a plusieurs scènes qui se superposent : une scène avec le groupe qui performe dans une distillerie désaffectée de Toronto au Canada, une autre scène avec Manson et des acolytes dégingandés habillés de grandes robes, de harnais et qui ont l’air de mesurer 3 mètres de haut, Manson dans cette scène est chauve et se présente devant une foule qui l’acclame poing en l’air et bottes en cuir qui claquent au sol (mais ohlala pas de sous-entendu politique du tout là dedans ma bonne dame !) et enfin différentes scènes avec Manson affublé d’un méga appareil dentaire qui nous montre ses ratiches argentées. Le tout entrecoupé de flashs sur du matériel médical, des prothèses, des vers de terre qui grouillent, des têtes et des mains de mannequins, et une galerie de freaks qu’on croirait sortis d’une photo de Joel-Peter Witkin.
Manu : Ce côté bande de freaks, c’est vraiment quelque chose que Manson va construire dans l’image et l’attitude de son groupe partout.
Oui, je vous parlais brièvement tout à l’heure de l’influence du groupe Kiss dans la construction du personnage de Manson. On pourrait citer aussi évidemment Alice Cooper ou David Bowie et son avatar Ziggy Stardust. Manson c’est quelqu’un qui s’est construit un double, pièce par pièce, jusqu’à faire disparaître entièrement le Brian Warner d’origine. A un point que c’en est inquiétant au niveau psychiatrique, dans la vie il refuse qu’on l’appelle Brian, parce qu’il n’y a plus de frontière entre l’homme et le personnage qu’il s’est créé.
Du coup ceux qui ressortiront le débat stérile de : il faut séparer l’homme de l’artiste : bah non en fait, jamais, c’est pas possible. Et dans le cas de Manson, encore moins possible.
Je vous laisse méditer là-dessus.
Une tournée sulfureuse
Manu : Alors justement on va revenir un peu le personnage de Manson, celui qu’on va voir en concert. Et on va revenir sur la tournée qui a suivi Antichrist Superstar avec toi MiKL : Une tournée assez épique, considérée comme l‘une des plus jo-bar des nineties.
MiKL : Je vais vous parler du Dead To The World tour : c’est le doux nom donné à la tournée d’Antichrist Superstar qui débute 5 jours avant le lancement de l’album soit le 3 Octobre 1996 et qui s’achèvera presque un an plus tard en Septembre 1997. Une tournée marathon durant laquelle Manson et ses musiciens vont donner pas moins de 175 représentations à travers les Etats-Unis, l’Amérique du sud mais aussi le Japon, l’Océanie et l’Europe. La France est sur le chemin de cette tournée. Youpi ! Marilyn Manson va s’arrêter deux fois à Paris pour deux concerts au Bataclan le 7 Décembre 1996 et le 29 Mai 1997.
Et figurez-vous que j’ai trouvé un petit extrait du premier live de Manson à Paris. Il s’agit du Titre Angel with the scabbed wings. Nous sommes donc au Bataclan le 7 Décembre 1996.
insert – Extrait
Le Dead to the World tour n’est pas tout à fait un long fleuve tranquille. Outre le fait que les heures de sommeil sont beaucoup plus rares que les drogues consommées, Marilyn Manson et ses potes vont se heurter à l’hostilité d’une partie de la population.
En effet, depuis la sortie du disque, Marilyn Manson est devenu l’ennemi public numéro un pour l’Amérique conservatrice. On lui reproche d’être sataniste, de faire l’apologie du suicide, des drogues et de la violence, de contester à peu près toute forme d’autorité qu’elle soit religieuse, étatique ou familiale, bref de piétiner les bonnes vielles valeurs de l’Amérique. Autant lorsqu’il était un petit chanteur underground il pouvait faire plus ou moins ce qu’il voulait mais là le problème c’est que son disque est un carton national. Avec 132 000 copies vendues dès la première semaine, Antichrist Superstar se classe troisième des meilleures ventes d’album au mois d’Octobre 1996 aux Etats-Unis derrière Falling Into You de Céline Dion et The Moment de Kenny G’s. Du jamais vu pour un album aussi violent musicalement (Metal).
Du coup, Marilyn Manson se retrouve dans le viseur d’un certain nombre d’associations chrétiennes ultra conservatrices et notamment de l’AFA (l’American Family Association) qui parvient avec l’appui d’élus à faire annuler quelques dates de sa tournée. Pour le reste, l’AFA organise des manifestations devant les salles où se produit Manson, tentant de dissuader les jeunes fans égarés de ne pas pénétrer dans la salle et brandissant des pancartes sur lesquelles on peut lire des inscriptions telles que « Marilyn Manson, Jesus loves you » ou encore « Repent or Perish ». Et ce n’est pas tout, certains propriétaires de salles dans lesquelles se produit le sulfureux chanteur sont menacés et reçoivent même pour certains des alertes à la bombe. La « Mansonphobie » qui sévit aux Etats-Unis à cette époque va si loin, que certaines écoles renvoient même des élèves pour le simple fait qu’ils ont assisté à un concert de Marilyn Manson ou porté un t-shirt à son effigie.
Du pain béni (si je puis dire) pour le chanteur de Fort Lauderdale. Cette hostilité permanente est une publicité magnifique pour sa tournée et son album. Dans une interview publiée en 2017 dans le quotidien The Guardian, Marilyn Manson déclare :
« C’est ce que je voulais. On n’appelle pas un disque Antichrist Superstar sans s’attendre à ce que des gens te détestent. Je voulais faire quelque chose qui secouerait l’ordre établi. Je voulais, comme mes héros, Salvador Dali et Jim Morrison, secouer le monde. ».
Encore mieux, à cette époque d’improbables rumeurs se répandent. Il paraîtrait que Marilyn Manson distribue de la drogue gratuitement au public, qu’il s’est fait retirer des côtes pour pratiquer l’auto-fellation et même qu’il écraserait des poussins sur scène. Cette dernière rumeurs donnant naissance à des variantes : il aurait balancé un chat (ou un poulet selon les versions) dans le public en exigeant qu’il revienne sur scène mais mort et pour les plus imaginatifs, aurait découpé une vache sur scène.
Pour ce qui est des sacrifices d’animaux, en fait c’est une vieille rumeur qui trouve son origine dans un fait divers survenu lors d’un concert d’Alice Cooper à Toronto en 1969 (par ailleurs une des grandes influences de Manson) durant lequel le chanteur aurait saisi un poulet que lui aurait jeté le public (je précise qu’il s’agissait d’un concert en plein air), l’aurait renvoyé en direction du public en pensant que la volaille survolerait gracieusement la foule, mais pas de bol, la bestiole s’écrase comme une merde dans les premiers rangs et finit piétinée. Sauf que le lendemain, les journaux s’emparent de l’affaire en prétendant qu’Alice Cooper aurait crié « Kill the chicken » au public, ce que le chanteur dément formellement. Bref. Toutes ces rumeurs sont évidemment fausses.
Manu : D’ailleurs si vous voulez vous faire une petite idée de ce que faisait Marilyn Manson en live à cette époque, il existe un documentaire sur la tournée Antichrist Superstar intitulé Dead to the World sorti en V.H.S en 1998 et qu’on trouve aussi sur Youtube.
C’est un film réalisé par Joseph F. Cultice. Joseph F. Cultice c’est un photographe qui a travaillé avec de nombreuses stars de la musique (NIN, Bjork, Korn, Beck entre autres) et qui est surtout connu pour être l’auteur de la pochette de Mechanical Animals de Marilyn Manson (l’extraterrestre androgyne).
Dead to the World, c’est un film assez expérimental, qui alterne entre des chansons live et des images du groupe en coulisses. On y voit même des images des manifestants anti-manson au début. Mais on peut surtout y voir que Marilyn Manson en live, putain c’était quand même de la pure balle à l’époque.
A l’image de ses idoles de jeunesse que sont Bowie, Kiss ou Mötley Crue, Brian Warner voit le rock comme un art global où l’esthétique visuelle a presque autant d’importance que la musique elle-même. Manson a le sens du spectacle c’est le moins que l’on puisse dire. Selon ses propres mots chaque concert doit être un événement qui doit marquer le public profondément, lui laisser une marque à vie . Il donne à peu près tout pour que ce soit le cas et apporte un soin tout particulier à la scénographie, aux costumes et aux nombreux effets de mise en scène.
Sur Apple of Sodom, la blancheur immaculée de la neige qui tombe lentement sur le chanteur à la gestuelle de pantin désarticulé donne une étrange impression de féérie venue s’inviter dans un cauchemars et contraste avec le rouge du sang qui coule des blessures qu’il s’inflige. Sur Kinderfeld, il incarne une sorte d’insecte de métal juché sur quatre échasses et sur Antichrist Superstar, un dictateur fasciste hurlant son discours depuis un pupitre suspendu devant de grands drapeaux affublé du shock logo (toute ressemblance avec une personne ayant existée serait évidemment fortuite).
Manu : Côté provoc, on en a évidemment pour notre argent. On peut dire que Satan l’habite.
Marilyn Manson chante à moitié nu, habillé d’un corset et de bas déchirés. Il prend des positions lascives, simule des actes sexuels, se lacère le torse avec des tessons de bouteilles brisés, finissant bien souvent ses concerts le corps recouvert de son propre sang. Il demande à son public de lui cracher dessus (dans l’irrespect total des gestes barrière), déchire les pages de la bible (sacrilège), se torche avec le drapeau américain (sacrilège bis) et casse à peu près tout ce qui se trouve sur scène à la fin du concert, blessant parfois ses propres musiciens.
Côté coulisses, pas mieux. On y voit le groupe détruire à peu près tout ce qui leur tombe sous la main, vomir et même jouer avec leurs excréments (sympa). Bref pas de sacrifices d’animaux ni d’auto fellation mais pas de quoi s’ennuyer non plus.
Musicalement aussi ça envoie du lourd. La basse de Twiggy Ramirez, la guitare de Zim Zum, la batterie de Ginger Fish, tout est à peu près à fond. La voix de Manson infatigable hurle couplets et refrains. En gros, c’est juste de la folie. J’envie jalousement les personnes qui ont eu la chance de voir ça en live à cette époque. Moi je l’ai vu en 2007 aux Eurockéennes sur la tournée de Eat me, Drink me et franchement il avait déjà pris un bon coup de vieux le bonhomme. Rien à voir avec ce qu’on peut voir dans Dead to the World.
Alors pour le plaisir et pour conclure on va s’écouter un petit extrait. Il s’agit de The Beautiful People sur lequel viennent s’inviter des cuivres.
Insert G – The Beautiful People Live
À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST
Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.
Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !
« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »
Manu, Fanny, Olivia et Grégoire
“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “