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Placebo “Without You I’m Nothing”

(1998)

EN QUELQUES MOTS

Dans cet épisode on va vous parler de Placebo, le groupe le plus excitant des 90s ! selon David Bowie. Après deux ans d’excès, Placebo se réveille avec la gueule de bois. Annoncé avec un parfum de scandale qui lui colle à la peau, le trio emmené par Brian Molko sort en janvier 99 un deuxième album génial : “Without you I’m nothing”.

Au programme, ce sont 12 histoires d’amour (entre spleen et rage froide) qui finissent toujours mal. Placebo part à l’assaut des radios et enfile tube sur tube, de “Pure Morning » à “Burger Queen” en passant par « You Don’t Care About Us”, “Brick Shithouse” et bien évidemment « Every You Every Me”.

Avec son look androgyne et ses égos surdimensionnés, le gang de Brian Molko va rapidement devenir une icône du glamour et le fer de lance d’un revival gothique. 20 ans plus tard, Placebo continue d’être cité comme influence par tout une partie de la scène rock actuelle.

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Retour en 1998

Voilà pour les 12 titres de Without You, I’m Nothing, ou plutôt 13 parce qu’il y a une piste cachée “Evil Dildo”. Il y en a même 14 sur la version japonaise avec “20th Century Boy” une reprise de T-Rex. C’est donc le deuxième album de Placebo. Il sort le 16 septembre 1996 en CD, cassette et vinyle chez Hut Recordings, filiale de Virgin, pourtant considéré comme un label indépendant. C’est le label des Smashing Pumpkins et de The Verve notamment.

Alors 1998, c’est une super pour la musique. On a déjà eu l’occasion ici de vous parler de “Mezzanine” de Massive Attack, “The Miseducation” de Lauryn Hill, “You’ve come a long way, baby” de Fatboy Slim, “Moon Safari” de Air…

Au rayon rock britannique de votre disquaire préféré on retrouve aussi “IS THIS DESIRE?” de PJ HARVEY ou “This is hardcore” de Pulp, par exemple.

 

La story de Placebo

Manu : Allez on va maintenant revenir un peu en arrière, et revenir avec toi Olivia sur la genèse du groupe. Est-ce que tu pourrais nous raconter la story de Brian Molko, Steve Hewitt et Stefan Olsdal ?

Olivia : Oui et avec plaisir Manu. Comme vous le savez, j’adore vous raconter comment tout commence. Comment soudain, l’étincelle jaillit et la magie opère. Souvent, les rencontres se font sur le banc de l’école. Parfois, pour être un peu plus original, l’histoire démarre avec deux guitaristes un peu névrotiques qui convoitent la même meuf. Et bien cette fois, c’est… pas du tout ça !
L’histoire de Placebo,
le groupe mythique et glamour,
le groupe qui a les yeux qui puent la noirceur et le romantisme exacerbés,
le groupe qui fait pleurer les filles et les garçons,
le groupe aux 13 millions d’albums vendus en 25 ans,
ce groupe, oui… et bien sachez que leur histoire démarre… dans un Burger King !

Nous sommes en 1990, à Deptford dans la banlieue de Londres. Le jeune Brian Molko rencontre donc un certain Steve Hewitt entre un Whooper et une portion de frites. Ils décident de faire de la musique ensemble et se produisent même de temps en temps dans des pubs de la région.

Brian a appris la guitare tout seul enfermé dans sa chambre, en parallèle de ses études d’art dramatique au Goldsmith’s College de Londres. Quant à Steve Hewitt, il joue de la batterie depuis l’âge de onze ans et il a déjà tourné avec pas mal de groupe. Ce qui rassemble ces deux, c’est sûrement le souvenir douloureux d’une adolescence solitaire mais remplie de musique et de rêves de gloire, ainsi qu’une passion commune pour Sonic Youth :

INSERT — Sonic Youth “Kool Thing”

C’est en janvier 1994 que les choses sérieuses commencent avec la rencontre de Brian Molko et Stefan Olsdal. Cette fois, ça se passe … dans une station de métro à Londres – ils devaient en avoir marre des burgers. Hasard de la vie, Brian Molko rencontre un jour Stefan Olsdal dans le métro, un ancien camarade de classe à l’American School du Luxembourg. Ils étaient en effet dans la même école mais ils ne s’étaient jamais parlé.

Et là, dans cette station de métro, Brian remarque la guitare que transporte Stefan. Ils sympathisent le temps du trajet et Brian finit par l’inviter au concert qu’il donne le soir même avec Steve Hewitt. Le groupe s’appelle alors Ashtray Heart, cœur de cendrier. Poète un jour, poète toujours.

Manu : Et alors qu’est-ce qu’il a pensé du concert, Stefan Olsdal ?

Olivia : Il avouera plus tard qu’au début, il n’était pas trop trop fan. Mais il trouve la voix de Molko plutôt intéressante et il veut bien bosser avec lui.
Ils décident de garder provisoirement le nom Ashtray Heart, montent des premières maquettes puis les enregistrent à l’aide d’instruments et d’un magnétophone bricolé.

Steve Hewitt est aussi de la partie mais pas pour longtemps. Il est obligé de les abandonner car il doit honorer des contrats signés avec d’autres groupes. C’est pourquoi en octobre 1994, le batteur Robert Schultzberg, ami d’enfance de Stefan Olsdal, les rejoint. Ils décident finalement de changer de nom et deviennent Placebo, ce qui signifie en latin « je te plairai », du verbe placere au futur. Big up à la team latin première langue. On se sait !

Manu : Mais pourquoi ce nom, alors ?

Pas pour leur amour du latin ! Tout simplement parce que placebo ça sonne bien et que c’est facilement prononçable dans plusieurs langues. Et puis surtout parce qu’un placebo, c’est un leurre, un médicament qui n’en est pas un mais qui semble fonctionner tout de même.
Mais Placebo de quoi alors ? Ou plutôt de qui ? Et bien de « The Cure », évidemment. The Cure, qui en anglais, veut dire le remède, le traitement. Placebo se place comme l’alternative à la musique de Robert Smith.

Les premières démos sont enregistrées en mars 1995 aux studios Sound Advice de Deptford ; ainsi voient le jour les premières versions de Teenage Angst, 36 Degrees ou Nancy Boy. J’ai d’ailleurs retrouvé un live de Bruise Pristine en 1995, nous sommes à la Hacienda à Manchester, pendant le congrès annuel “In the City”. Le son n’est pas super mais on retrouve déjà la voix et l’énergie si particulière de Brian Molko :

INSERT — Bruise Pristine

Manu : C’est un peu la pression ce concert parce que toute l’industrie du disque est là, et ils sont trois groupes ce soir-là à chercher un label, il y a eux et Kula Shaker je sais pas si vous connaissez ?

Vous avez entendu un présentateur au début de l’extrait, et ben Tony Wilson qui est journaliste musical mais aussi le boss du label Factory ! J’étais trop content de tomber sur cette vidéo parce que ce mec est une légende, et d’ailleurs il y a un film qui raconte sa vie que vous devez voir absolument “24h party people”. Pour faire court, le son de Manchester, et le début des raves, c’est un peu grâce à lui.

Avec une tendance punk aux antipodes du courant britpop des années 1990, les compositions de Placebo restent techniquement plutôt simples. Ils privilégient l’énergie et l’émotion, ce qui va rester leur marque de fabrique. Très vite, les maisons de disques anglaises flairent ce talent naissant et se pressent pour faire signer le groupe, qui, lui, prend son temps pour réfléchir et surtout pour faire monter les enchères.

Finalement, le 5 février 1996, Placebo sort son premier véritable single “Come Home” chez Deceptive Records. On s’en écoute un extrait :

INSERT — Come home

Dans la foulée de ce single, Placebo signe pour cinq albums avec un autre label, Hut Recordings, qui appartient à Virgin Records (EMI), et créé au passage son propre label, Elevator Music.

Manu : Et ça va très vite pour eux ! L’album connaît un succès ultra rapide et certain David Bowie va flasher sur eux et les inviter à jouer en première partie de sa tournée Outside.

Ça va très vite, tu l’as dit ! Quelques mois plus tard, le 17 juillet 1996, Placebo sort son tout premier album, tout simplement appelé… Placebo.
Le New York Times les compare, je cite, « aux formations de la première vague du rock post-punk, en particulier à New Order, The Cure, Siouxsie and the Banshees, le U2 des débuts et même aux Talking Heads ».
Rien que ça !

L’album connaît un succès rapide, notamment grâce à la presse à scandale en Angleterre qui s’empare de la personnalité sulfureuse de Brian Molko et de ses paroles subversives. Avec ses yeux dessinés au khôl et son look androgyne, il entretient ce petit goût de mystère… comme un certain Bowie avant lui. Et puis, il y a cette voix, nasillarde, insupportable et sublime que l’on moque autant que l’on admire. Bref, Brian dérange mais c’est sa chance ! Il comprend très vite que le cocktail sex, drugs & mascara associé à un rock incisif va faire de lui une star.

Ses textes aussi détonnent : il y a de l’urgence et de la colère dans les paroles de ses chansons autobiographiquement romancées.
Pour Anne-Claire Norot des Inrockuptibles, « Placebo réconcilie le rock avec ses déserteurs : fulgurance, frustration, panache et dynamique. Depuis les Pixies et Nirvana, on n’avait pas entendu rock aussi violemment voluptueux, aussi sauvagement tendre que dans les chansons troublantes de Brian Molko, star déjà authentifiée par Bowie ou Iggy Pop. »

Glamour et décadence sont les ingrédients qui séduisent les fans. Le titre Nancy Boy, que l’on a entendu en live à leurs débuts, sort finalement en janvier 1997. Le single atteint la quatrième place à Top of the Pops et devient instantanément un hymne :

INSERT — nancy Boy TOTP 97

Hélas et parce que le rock est le rock et qu’il reproduit invariablement les mêmes schémas, des tensions se créent entre les membres du groupe, notamment entre Brian Molko et le batteur Robert Schultzberg.

Manu : Je précisse que Robert Schulzberg c’était le remplaçant de Steve Hewitt quand il était en tournée avec son autre groupe, Breed. Bon il a l’air compliqué, le Brian ! Tendance control freak !

Oh, à peine ! Et ça fait déjà plusieurs mois qu’ils ne peuvent plus se supporter mais, d’un commun accord, ils décident d’un pacte de non-agression. Hélas, la situation se dégrade à l’été 1996 et Robert Schultzberg est prié de quitter le groupe le plus rapidement possible. Steve Hewitt est rappelé pour prendre la relève et assurer la première véritable tournée du groupe à l’automne 1996.

Manu : Après deux ans de fêtes et de débauche en tous genres, deux ans sur les routes – notamment aux côtés de David Bowie au Madison Square Garden pour fêter son 50e anniversaire en janvier 1997 et en première partie de U2 au Parc des Princes, Placebo sort enfin en octobre 98 ce deuxième album très attendu : Without You I’m Nothing, et un premier single : Pure Morning.

INSERT — Pure Morning (Late Show)

Manu : Le late show de Conan O’brien dans Radio K7.

Contrairement au premier album dont la presse avait surtout retenu les provocations et l’exubérance de Brian Molko, Without You I’m Nothing apparaît déjà comme plus adulte. Le fameux album de la maturité !

Selon le redac chef des Inrocks, JD Beauvallet : « […] le trio se réveille de deux ans d’excès avec la gueule de bois. Démaquillé, il affiche une séduisante maturité et des humeurs jusqu’alors inconnues dans ses chansons : du spleen à la rage froide, il devient une pièce maîtresse du rock fin de siècle. »

Il est ici question d’intimité, d’amour et d’amitié. De mélancolie aussi, comme sur le titre Without You I’m Nothing. Molko prouve son talent d’écriture et dévoile une voix bien plus sûre, plus affirmée.

Cette nouvelle assurance, certains l’expliquent par le retour de Steve Hewitt.
Without You I’m Nothing est l’occasion pour Placebo de dévoiler toutes ses capacités musicales avec des morceaux comme Pure Morning qui se place à la 4e place du hit-parade anglais, égalant ainsi le record établi par Nancy Boy un an plus tôt.

Placebo, c’est ce spleen exubérant moins grandguignolesque qu’un Marylin Manson mais tout aussi maquillé. Molko joue la carte androgyne à fond : robes, jupes, collants et rimmel qui coule ! Grâce à ses études de théâtre, il a appris à mettre en scène son côté dramatique, sensuel et douloureux. On pense bien sûr à un titre comme Every You Every Me qui va d’ailleurs devenir un tube ainsi que la BO du film Sexe Intentions. Et évidemment, le public adore !

Souvenez-vous :

INSERT — Every You, every Me

Manu : Si les fans en redemandent, la critique, elle, est plus contrastée.

Pour certains, comme Vincent Théval qui écrit en 2003 dans le magazine Magic ! : « […] Placebo a été le meilleur groupe de rock du monde, de 1996 à 1998 inclus. À son crédit, un premier essai ravageur, des faces B entrées dans l’Histoire, des concerts incandescents et un deuxième effort appelé à rester un classique des années 1990, Without You I’m Nothing.»

Pour d’autres, comme Christophe Conte dans les Inrocks en 98, Placebo n’est vraiment intéressant que quand le maquillage craque :

Greg : « Comme Cure, justement, Placebo n’est jamais aussi intrigant que lorsqu’il ôte son plumage de corbeau, lorsqu’il badine un peu avec la normalité, arrête de faire semblant de gratter des cicatrices dessinées au rouge à lèvres. Sans le fard de la vanité, sans l’arrogance gouapeuse et une fois coulé le rimmel, Placebo parvient encore à dérouter et surtout à se dérouter lui-même dans des marges où il ne croisera aucun programmateur de MTV »

WYIN va tout de même se vendre à plus de 1,2 million d’exemplaires dans le monde. Il se placera à la 7e place du classement des albums anglais et 20e du classement américain. Il sera disque de platine au Royaume-Uni et disque d’or en France.

Manu : C’est vrai que le groupe est particulièrement populaire en France. Comment on l’explique ? Est-ce qu’on peut parler d’un “effet Placebo” ?

Placebo connaît en effet un succès fracassant en France. D’abord parce que Brian Molko parle parfaitement le français, il a passé toute son adolescence au Luxembourg.

Et puis, ce côté dark romantique, ça parle à la jeunesse désenchantée de la fin des 90’s. Molko y voit un lien profond avec notre poésie et notre littérature.

En toute modestie bien sûr : « Dès le début, il y a toujours eu une histoire d’amour entre nous et le public français. Je pense que c’est parce qu’il y a un romantisme dans ce qu’on fait, un romantisme qui n’est pas sentimental mais qui vient de la tradition des gens comme Baudelaire par exemple. Et vous avez cette tradition littéraire, ici, en France, qu’on n’a pas… que les Anglais n’ont pas vraiment eu. Vous avez eu Verlaine, Rimbaud, Baudelaire… les surréalistes… vous avez eu Sartre et Camus, des gens comme ça. Alors quand même, les Anglais ont eu Oscar Wilde, mais ce n’est pas la même chose. »

Manu : Placebo et la France : Et Placebo le rend bien cet amour à la France, il va ré-enregistrer le titre “Burger Queen” en français. Et rebelote quelques années plus tard, puisqu’ils vont enregistrer “Protège-moi”, la version française de “Protect me for what I want”, adapté par Virginie Despentes. C’est classe quand même !

L’autre gros coup de pouce, c’est bien sûr la reconnaissance de Bowie, qui est absolument dithyrambique sur la musique de Placebo. Un vrai lien d’amitié se crée entre eux, Bowie les invite très régulièrement à partager la scène avec lui et on l’entend sur le titre Without You I’m Nothing.

La consécration, ce sera bien sûr leur duo en live aux Brit Awards 1999. Je vous propose de terminer sur ce très chouette extrait de « 20th century boy », reprise de T-rex :

INSERT — 20th Century Boy (live)

Manu : A partir des 90s, Bowie va pousser des jeunes groupes indé dont il est fans. Le mec a du flair Il collabore avec les Pixies, Nine Inch Nails, Placebo, et dans les années 2000 avec TV On The Radio, Arcade Fire, le mec n’arrête jamais !

Merci Oli pour cette super story ! Allez je me tourne vers toi Grégoire parce que c’est le moment de parler des coulisses de l’enregistrement de WYIN, album produit et mixé par l’un des plus grands noms du rock britannique, un certain Steve Osborne…

Le making-of de "Without You I'm Nothing"

Grégoire : Oui Steve Osborne c’est un nom qui reste associé à quelques pointures de la scène rock d’Outre-Manche, au début des années 90, il produit les Happy Mondays et U2. Plus tard, il collabore avec Suede ou encore New Order mais entre-temps, il y aura cet album de Placebo qui occupe une place particulière, explique Osborne. Pourquoi ? Parce que c’est l’unique fois où, c’est lui qui a sollicité le groupe et non l’inverse. Le gars est fan de leur premier album et à l’issue d’un concert du groupe à Manchester, il convainc Placebo de lui confier les rênes de leur prochain album… De leur côté les membres du groupe se disent que ce producteur qui a un pied dans la musique électronique et un autre dans le rock peut être l’homme de la situation. Pour cela, direction Bath, la ville natale de Steve Osbone, située à 3 heures de route à l’ouest de Londres, plus exactement dans le village de BOX où se situe l’un des plus incroyables studio jamais construit.

Manu : Je mets fin au suspens : on parle ici des real World studios de Peter Gabriel, studio fondé en 1987 par l’ancien chanteur de Genesis…

Oui Peter Gabriel devenu ensuite le champion de la Word Music, a rénové un ancien moulin du 18ème siècle dans le village de Box pour en faire un studio d’enregistrement atypique construit au milieu d’un cours d’eau et d’un parc verdoyant.

Le joyau de cette couronne s’appelle la Big Room, une pièce ouverte en forme de U de 180 mètres carrés baignée de lumière grâce à ses immenses baies vitrées qui donnent sur le parc, loin de l’image d’épinal du studio sombre et sans fenêtre où les espaces sont cloisonnés.

Ici, même la console d’enregistrement n’est pas séparée de l’espace où enregistre les musiciens, ce qui conduit parfois certains groupes à mettre des cloisons pour retrouver une configuration un peu plus orthodoxe.

Manu : Et c’est donc dans la Big Room que Placebo pose ses valises en 1998…

Oui loin de toute distraction, pour ne pas dire tentation, l’enregistrement va durer trois mois pendant lesquels vont être enregistrés 11 chansons, j’aurais aimé vous en dire plus sur l’ambiance en studio mais malheureusement les journalistes de l’époque n’ont que deux questions à poser au groupe à l’époque : 1/ il est sympa David Bowie ? Deux : pourquoi vous porter du maquillage ?
Voilà pour la parenthèse, si vous avez bien suivi, je vous ai parlé de 11 chansons mais il y en a 12 sur l’album, la douzième, c’est Pure Morning qui sera enregistré plus tard aux Livingston Recording Studios et produit par Phil Vinall. A l’origine, le groupe voulait en faire une face B, pas question a répondu la maison de disque en écoutant ce titre hypnotique construit autour d’une boucle de guitare répétant inlassablement la même note

INSERT — Pure Morning

Si Pure Morning a quelque chose de jouissif et de lumineux, le reste de l’album produit par Osborne est nettement plus sombre et finalement assez low tempo si on regarde tous les titres proposés. Des compositions élaborées en grande partie sur la route pendant la tournée de leur premier disque. Parmi les premières chansons écrites, Burger Queen ou encore le titre caché Evil Dildo, composé lors de leur tournée en Allemagne en 1996 et sur lequel figurent des menaces téléphoniques laissées sur le répondeur de Brian Molko

INSERT — Evil Dildo

on peut traduire les paroles en français c’est marrant 🙂
https://www.lacoccinelle.net/244005.html

Sample Aphex Twin (à la fin) utiliser sur la fin de Evil Dildo :

Et à noter que sur tous ces messages de rageux laissés à Placebo du type, “je sais où tu habites”, je vais t’enculer, je te couperai la bite”, en autres joyeusetés figurent également un extrait d’une chanson d’Aphex Twin, Funny little man, sans doute la blague d’un plaisantin qui voulait se moquer de la petite taille de Brian Molko… Un sample malgré eux si on peut dire

Manu : Ok donc le décor est posé, on est dans un studio du futur en pleine campagne anglaise. maintenant est-ce que tu pourrais nous raconter comment se passent les sessions, et comment on construit le son de Placebo ?

On peut dire qu’il y a une forme de réaction à leur précédent album enregistré instrument par instrument, dans le cas de WIYN, c’est l’enregistrement live qui va être privilégié. Steve Osborne, le producteur nous donne quelques détails dans cette interview accordée l’année dernière au site Guitar.com

« Nous avions trois amplis de guitare avec des sons différents. Le fait est qu’il n’y avait pas d’overdubs de guitare. Au moment de mixer la guitare, nous passions d’un ampli à l’autre. L’idée était de pouvoir continuer à choisir différents sons et différentes textures sur l’ensemble de la production sans avoir à revenir en arrière. Nous passions donc d’un canal à l’autre lorsque nous en avions besoin. La plupart des morceaux de cet album sont joués par tous les membres du groupe dans la même pièce et au même moment ».

Voilà pour le premier principe qui va guider la prod de WiYN, pas d’overdubs et un maximum de jeu en live. Pour les effets, Placebo utilise essentiellement des pédales de distorsion et de reverb, côté matos, Brian Molko ne jure que par la jaguar fender, modèle iconique indissociable de l’explosion punk puis du rock alternatif des années 90. Molko affirme en posséder 3 à qui il a donné à chacune un nom : bitch, Goddess et Tattoo

Il faut savoir que Molko est un inconditionnel du groupe Sonic Youth qui lui inspire des accordages un peu exotiques et inhabituels, en particulier des accordages dits « ouverts », répétant plusieurs notes et offrant une profondeur et un spectre sonore plus vaste. Je vous propose qu’on s’écoute un petit extrait de Brick shithouse, l’un des morceaux « soniqien » de l’album…

INSERT — Brick Shithouse

Autre infos sur cet enregistrement le groupe a convenu que les sections instrumentales devaient être jouées par celui qui les écrivait, par ailleurs vous n’entendrez pas de solo car le groupe en a horreur, enfin on peut noter la différence de tonalité de la voix de Brian Molko moins haut perché et nasillarde que sur leur premier disque : « Je pense que mon registre a également baissé un peu à cause de la consommation d’alcool et de tabac. », explique Molko dans une interview.

Manu : L’autre idée directrice c’est d’avoir un son plus musclé et plus moderne que sur leur premier album

Oui c’est vrai que le groupe était un peu déçu par le son disons un peu « maigrelet » de son premier disque et on voit qu’un grand pas est franchi en termes de prod avec Without you i’m nothing, qui un son beaucoup plus séduisant, c’est notamment lié à l’expertise de Steve Osborne dans le logiciel pro-tools même si au final Placebo trouvera le disque un peu sur produit et que l’alchimie entre le producteur et le groupe ne sera pas tout à fait au rendez-vous. Ce sera d’ailleurs leur dernière collaboration avec Osborne…

Manu : Enfin ce dont a pas encore parlé, c’est leur collaboration avec David Bowie

Imaginez leur surprise et leur joie lorsque le grand David Bowie les appelle après l’enregistrement de l’album pour solliciter un featuring avec Placebo. En fait, ce n’est pas totalement inattendu puisque le groupe et David Bowie avait déjà noué des liens avant la parution de leur premier album.

Du coup je vous propose de finir avec le duo Placebo / David Bowie avec le single without you im nothing

INSERT — WYIN duo David Bowie

Manu : En fait au départ ils devaient faire une version studio de 20th century boys qu’on a entendu en live au Brit Awards tout à l’heure, mais Bowie change de plan et propose de faire cette chanson. Moi perso, j’adore Bowie mais j’aime pas du tout ce morceau. Je trouve qu’il n’apporte rien, il est super lourdingue.
Mais bon on ne dit pas non à David Bowie, c’est un super cadeau qu’il leur fait.

L'univers visuel de Placebo

Manu : On sait combien Bowie les a influencés tant sur la musique que sur leur look androgyne. Difficile de parler de Placebo sans évoquer l’image et l’ego surdimensionné de Brian Molko. Il cultive une image sex, drugs et rock’n’roll qui va faire de lui une icône du glamour et le fer de lance d’un revival gothique. Fanny, j’aimerais bien qu’on revienne sur ce parfum de scandale qui lui colle à la peau

Parler de l’image de Placebo, c’est en effet forcément parler d’abord de l’image de son leader charismatique qui est, je pense, l’une des figures les plus incontournables du rock dans les 90s. Encore plus si vous étiez comme nous ado à l’époque. Impossible que Brian Molko ne soit pas apparu dans le paysage à un moment ou à un autre de vos années collège.

A l’époque, je ne l’identifiais pas tel quel car j’étais trop jeune et que le concept de genre ne faisait pas partie de mon vocabulaire, mais pour moi grandir avec des figures masculines androgynes faisait tellement partie du quotidien que je me suis complètement construite, je pense, avec cet idéal esthétique d’hommes entre guillemets “féminins”.

Quelques années plus tôt en primaire, on nous avait vendu à nous, petites filles, les boys bands et leur physique d’éphèbe. Mes crushs dans ces groupes-là c’était toujours le mec le plus imberbe, le plus délicat : Gérald de G-Squad, Cal de Worlds Apart, Steven de Boyzone… Il m’a fallu des années avant de me rendre compte que ces mecs étaient en fait gay ou bi ou juste mega metrosexuels, et que ces attributs physiques qui, moi me plaisaient grave, étaient en fait rejetés par toute un pan de la société.

Tout ça pour dire que lorsque Brian Molko entre dans ma vie en 98/99, voir un mec avec les cheveux longs, du vernis, de l’eyeliner et du rouge à lèvres ça me semble tout ce qu’il y a de plus normal. Moi je trouve ça trop stylé et je me dis que ça serait génial de passer mon samedi aprem avec un boyfriend à se mettre du vernis et se maquiller mutuellement. Bon, c’est toujours un peu ce que je pense d’ailleurs.

Mais pour revenir à Molko, je n’avais pas conscience à l’époque du caractère tellement sulfureux de son image. Contrairement à un Marilyn Manson, Brian Molko ne va pas s’inventer un personnage, non il va plutôt amplifier, et afficher haut et fort certains traits de sa personnalité. Sa bisexualité ? Il l’affiche clairement, il écrit dessus dans ses chansons. C’est limpide.

Dans une interview au magazine ELLE en 2006, il va même déclarer :
« A mes débuts, on m’a mal compris. Porter une robe ou me maquiller ne faisait pas de moi un androgyne, juste un travesti. Je me trouve beaucoup plus androgyne sur les photos de ELLE. Même si je ne porte plus de robe. Quant au maquillage, c’est une façon de se sentir joli. Exactement comme une fille. C’est la seule façon que j’ai trouvée d’être vraiment moi-même. Sinon je me cacherais. »

C’est intéressant je trouve cette distiction que Molko fait entre androgynie et travestissement. Il y a quelque chose de l’ordre du costume, du théâtre dans le fait de se travestir. Quelque chose qui fait de lui l’héritier tout trouvé du Glam Rock, ce courant musical des années 70 porté par les excentriques David Bowie et Marc Bolan de T-Rex.

Manu : Ok donc pas tout à fait un hasard si Placebo et Bowie reprennent T-Rex aux Grammys du coup ! On a donc un leader qui a un look, une image très forte, mais sur la pochette de l’album ils ne le montrent pas.

Non en effet, Placebo est un groupe qui ne s’affiche pas sur ses pochettes. Il préfère raconter des histoires et proposer des visuels marquants qui viennent illustrer ce qui se passe musicalement dans l’album.

Perso les pochettes de Without You I’m Nothing, et encore plus celle de l’album d’après Sleeping with Ghosts, m’ont vraiment marquée quand j’étais ado. C’est des propositions vraiment très belles, esthétiquement.
Dans une interview accordée en 1999 à la chaîne de télé italienne TMC2, Brian Molko explique ce choix artistique :

INSERT — interview TMC2
Placebo – TMC2 Help, Italy (1999 Interview) 16’05 à 16’38

« Je pense que le simple fait de mettre le groupe sur la pochette d’un album est incroyablement ennuyeux. C’est paresseux, ça ne communique rien d’autre. Il n’y a pas de lien entre les thèmes et les émotions de la musique et le résultat visuel. Nous essayons de créer une incarnation physique et extérieure, de manière abstraite, qui représente ce qui se passe sur l’album. Vous remarquerez que tous nos albums montrent des gens sur la pochette, ils sont souvent assez tristes ou inquiétants ou un peu mal à l’aise et c’est en quelque sorte le reflet de ce qui se passe dans la musique. »

Manu : Et qu’est-ce qu’on voit sur la pochette de Without You I’m Nothing alors, à part du jaune ?

On voit beaucoup de jaune ! Je trouve ça très beau ce quasi monochrome. Ce n’est d’ailleurs pas une couleur ajoutée artificiellement, mais la lumière naturelle du soleil qui traverse les rideaux jaunes de la pièce où la photo a été prise.

Le concept de la photo c’est d’incarner visuellement le titre « Without You I’m nothing » (Sans toi je ne suis rien), de montrer un lien émotionnel fort entre deux personnes. Pas un lien sexuel mais d’une autre nature, encore plus intense que ça.

Brian Molko et Stefan Olsdal, qui sont à la fois à l’origine de ce concept et du design graphique de l’album, ont donc l’idée de recruter des sœurs jumelles pour la pochette. Le lien qui unit les jumeaux est absolument mystérieux et dépasse le commun des mortels, et c’est ça qui les fascine.

A l’issue d’un rapide casting, c’est les sœurs Sarah et Sally Edwards qui sont choisies. Ensemble elles dirigent un magazine nommé Blag, gravitent au sein de la scène musicale londonienne, et font du mannequinat à leurs heures perdues. Disons qu’elles ont le même cercle de relations que Placebo.
C’est le cas aussi de la photographe Corinne Day, qui va réaliser toutes les photos pour la pochette et le livret. Corinne Day, c’est une figure importante de la photo de mode en Angleterre. Au début des 90s c’est elle qui fait de Kate Moss une star en réalisant ses premiers photoshoots et sa première couv de Vogue.

Day va aussi populariser un courant photographique qu’on appelle « Heroin Chic » inspiré du grunge, avec des mannequins androgynes émaciés aux yeux cernés. Une vision plus sombre et rock’n’roll de la beauté, à mille lieux du glamour healthy très années 80 de Claudia Schiffer et de Cindy Crawford.

Manu : C’est donc une super association de l’avoir auprès de Placebo ! Et est-ce qu’on en sait un peu plus sur les coulisses de la prise de vue de la pochette ?

Alors j’ai trouvé sur la chaîne YouTube du groupe une interview croisée entre les sœurs Edwards et Stefan Olsdal, pour les 20 ans de l’album. Elles expliquent qu’une voiture est venue les chercher tôt chez elle et qu’elles ont roulé en direction de la campagne, en périphérie de Londres. Elles débarquent dans une ancienne école à l’abandon, où Corinne Day va prendre toutes les photos qui illustrent l’album, dans un style assez documentaire.

Dans la salle où est prise la photo de la pochette, le papier peint se décolle des murs et il n’y a rien d’autre à part une paire de rideaux et une table. Les deux sœurs posent donc à cette table, faisant mine d’être assises alors qu’il n’y a pas de chaises mais ça ne se voit pas sur l’image. Elles sont l’une en face de l’autre, les bras croisés et la tête baissée. Clic / Clac / quelques minutes plus tard l’image culte est dans la boîte.

Le reste du travail sur cette pochette, Placebo le réalise avec une agence londonienne qui s’appelle Blue Source. Le design est sobre, jolie typo blanche, CD rouge, liste des morceaux et liste des crédits au dos du disque.

Manu : Donc si je comprends bien, Placebo participe activement à la réalisation de ses supports promotionnels. Est-ce que c’est le cas aussi pour ses clips ?

Oui, tout à fait. On va parler ensemble du clip de Pure Morning, réalisé par l’anglais Nick Gordon. Placebo a choisi ce réalisateur après avoir vu le clip du morceau ‘Brown Paper Bag’ qu’il a fait pour Roni Size et qu’ils avaient trouvé incroyable. Le brief de départ donné par Brian Molko, c’est « Hey les mecs je veux me jeter du haut d’un immeuble, qu’est-ce que vous en pensez? ». Ce à quoi les autres ont répondu « cool ! ».

Bon, je pense pas que ça soit tellement cool, mais ça a le mérite encore une fois de marquer les esprits.

Le tournage dure un jour et demi et se déroule à Londres, à l’angle de Savoy Street et Savoy Hill, même si l’équipe de tournage va se donner du mal pour que ça ressemble plutôt aux Etats-Unis. Le premier jour c’est surtout la doublure de Molko qui travaille, à tourner toutes les scènes en équilibre en haut de l’immeuble. Comme Brian n’avait pas grand chose à faire, il décide de se la coller sévère. Vient le deuxième jour de tournage où cette fois Brian va passer 6 heures à sauter sur un tapis, depuis un petit rebord. Dans la vidéo il a l’air très déprimé et il raconte que ça n’est pas du tout un jeu d’acteur, c’est juste qu’il a une énorme gueule de bois.

Manu : Fun fact, dans la foule en bas de l’immeuble d’où Molko va sauter, il y a deux personnes affolées qu’on voit crier dans un mégaphone…

Oui et ce couple c’est Ben et Jo, les propres parents de Brian Molko. Faut avoir un humour sacrément noir quand même pour infliger un faux suicide à ses parents. Là dessus je le suis moyen le ptit Molko.

Tiens et si on écoutait d’ailleurs le principal intéressé, nous parler du clip de Pure Morning ? Attention rareté, j’ai déniché une archive datant du 30 novembre 98, on est sur Canal Jimmy et au micro c’est notre Philippe Manoeuvre national qui interview Placebo :

INSERT — ITW Philippe Manœuvre (Canal Jimmy)

Voilà, je voulais terminer là dessus mais puisque Brian le mentionne dans l’interview, évidemment je vous invite à aller aussi voir le clip de « You Don’t Care About Us », au scénario très dérangeant, puisqu’on y voit de gentils écoliers en sortie scolaire à l’aquarium regarder avec un plaisir non dissimulé les 3 membres de Placebo se faire jeter par des gardes patibulaires dans le bassin des requins pour s’y faire bouffer ! Une sale histoire j’vous laisse juger par vous même ! RDV sur YouTube.

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “