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Jamiroquai “Travelling without moving”

(1996)

EN QUELQUES MOTS

Aujourd’hui, on va vous parler de Jay Kay et de son groupe Jamiroquai ! Jamiroquai, en 1996, en a marre d’être cantonné au statut de star de l’underground britannique. Jay Kay se rêve en grand, et vise maintenant plus haut, plus loin. Au funk et l’acid jazz des débuts, s’ajoutent des sonorités dance et des refrains plus accrocheurs. 

Bingo ! L’album enchaîne les hits à une vitesse impressionnante : “Cosmic Girl”, “Alright”, “High times” et bien sûr “Virtual Insanity” dont les paroles, 25 ans plus tard sont plus que jamais d’actualité. 

Avec 1 Grammy et 11 millions d’exemplaires écoulés dans le monde, « Travelling Without Moving » est considéré comme l’album de funk le plus vendu de l’histoire, et une influence majeure pour des artistes comme J Dilla, Madlib, Justice, Tyler The Creator et encore Dua Lipa. 

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Retour en 1996

Voilà pour les 13 titres de “Travelling Without Moving” ! Il y en a parfois 14 sur certaines éditions qui incluent le bonus track “Do You Know Where You’re Coming From?”. 

L’album sort le 9 Septembre 1996 en Europe, et en avant-première 15 jours plus tôt au Japon ! Il sort en CD, Cassette, Vinyle et MiniDisc chez Sony Soho Square, une division britannique de Sony Music. 

Alors qu’est-ce qu’on écoute en 1996 ? En France, on écoute Boris, Coolio, Ophélie Winter, Khaled et les Spice Girls. Mais aussi Tic tic tac et la Macarena, ou plus étonnant le thème instrumental de X-Files remixé par Mark Snow. En Angleterre la musique électronique cartonne avec Prodigy, les Chemical Brothers et Underworld. Bref tout roule. 

1996 c’est aussi l’apparition des films catastrophe au cinéma avec Twister, Independance Day, clairement mes films préférés de l’année. Oscar du meilleur film aussi pour « Braveheart ». Bill Clinton est réélu président aux US. La France remporte la coupe Davis et on passe au numéro de téléphone à 10 chiffres ! 

La story de Jamiroquai

Manu : Allez direction maintenant Londres pour revenir sur la story Jamiroquai avec toi Olivia. Nous sommes dans au debut des années 90, et déjà Jamiroquai fait sensation avec mélange de jazz, de funk et de disco va venir redéfinir les codes de la soul. Résultat : 20 millions de disques vendus et un nom devenu culte ! 

Olivia : Leur nom déjà interpelle : Jamiroquai, une contraction de « jam » (qui veut dire « improvisation musicale » en anglais) et « Iroquois », en hommage aux peuples autochtones de l’est de l’Amérique du nord. Et puis surtout, il y a ce gars, à la voix unique de son chanteur, qui danse en jogging et portent des gros chapeaux en poils de bison : lui, c’est Jay Kay, une personnalité complètement à part, un ovni. Entre son franc-parler, ses prises de position politiques et son engagement pour l’environnement, très vite la lumière se tourne vers lui. Tellement charismatique qu’on finit par croire que Jamiroquai, c’est lui, et lui seul.

Manu : Ce qui, il faut l’avouer, n’est pas totalement faux…

Mais rembobinons un peu : Jason Luís Cheetham, alias Jay Kay, voit le jour le 30 décembre 1969 en Angleterre. Fils de Karen Kay, chanteuse de jazz, et d’un guitariste portugais qu’il ne rencontrera qu’en 2001… Une enfance bohème, à suivre les tournées de sa mère, à vivre dans la musique. Dans les années 80, Karen Kay décroche même son propre show sur la BBC !

D’ailleurs on a un extrait :

INSERT —KAREN KEY 13’56
KAREN KEY
https://youtu.be/SZt_WYeepEQ?feature=shared&t=836 

Il grandit donc dans un univers un peu saltimbanque, entouré de musique et comprend très vite qu’il ne pourra jamais mener une vie bien ordonnée.   

Ado, il cumule les petits boulots pour s’acheter des instruments : livreur, manutentionnaire, passeur de haschich… pas sûre qu’il ait suivi les recommandations du conseiller d’orientation. Et puis en 1992, Jason devient Jay Kay,  fonde Jamiroquai, signe sur le label londonien Orenda, spécialisé dans l’Acid Jazz, et sort la même année leur tout premier single : When You Gonna Learn ? Extrait ! 

INSERT — When You Gonna Learn
https://www.youtube.com/watch?v=MvKnn2sqA40&ab_channel=Jamiroquai-Topic

Manu : Petite anecdote à ce sujet : quand les mecs du label Orenda recoivent la cassette de Jamiroquai ils s’attendent à recevoir une femme noir à cause du timbre si particulier de Jamiroquai. Et bah pas du tout, c’est un blanc bec en poncho et bonnet péruvien !  

Une fois signé, et le premier single écoulé, Jay Kay va vite prendre ses distances avec la scène Acid Jazz. Pour lui, l’Acid Jazz en 92, c’est un peu le Titanic qui fonce vers l’iceberg. 

Dans la foulée, il signe chez S2, filiale de Sony Music, qui le repère grâce au succès de When You Gonna Learn. Sony lui propose alors un contrat de, non pas un, ni deux mais carrément huit albums et une avance de plus d’un million de dollars ! La collaboration n’est pas de tout repos et Sony n’a pas choisi la facilité en le signant : pour son premier album, la maison de disques veut lui imposer un producteur. Evidemment, ce n’est pas du tout au goût de Jay. Sony, en sueur, finit par céder. On l’écoute nous en parler dans Music Planet sur Arte :

INSERT — ITW 

 https://www.youtube.com/watch?v=I_NXC-mBHUQ

“Si une maison de disques nous veut, c’est parce qu’on est bons. On est bons parce qu’on est nous-mêmes. On se passe de battage médiatique, on laisse notre musique évoluer naturellement. Je ne veux pas qu’un producteur vienne bricoler notre musique pour nous mettre à la mode.”

En 1993 sort Emergency on Planet Earth, le premier album de Jamiroquai, accompagné du single Too Young to Die qui atteint la 10e place des charts anglais. L’album, lui se hisse au sommet du classement en seulement quatre jours. Avec 500 000 exemplaires vendus, Jamiroquai devient le plus grand succès britannique de l’année 93. On l’écoute direct live de Top of the Tops  :

INSERT — Too young to die LIVE TOTP
https://www.youtube.com/watch?v=OmL8htEhKvQ

Le titre phare de l’album, Emergency on Planet Earth, prouve que Jay est bien plus qu’une voix exceptionnelle. Derrière ses mélodies entraînantes et fédératrices, il délivre des messages engagés sur l’écologie, la politique et la guerre. Un discours qui divise : certains le saluent, d’autres le jugent naïf, le surnommant de manière un peu méprisante « The Angry Young Man » (le jeune homme en colère)

Manu : Rapidement, le groupe s’impose à l’international : Emergency on Planet Earth dépasse les 2 millions de ventes dans le monde. Jay Kay passe du statut d’artiste prometteur à celui de star mondiale, avec ses avantages et ses inconvénients…

C’est notamment sur ces prises de positions politiques et ses convictions écologiques que la presse vient le titiller. Il soutient financièrement Greenpeace et est l’un des premiers à parler du recyclage au quotidien et de l’utilisation des pesticides. Mais en parallèle, il est aussi passionné par les voitures de sport. Il en possède une trentaine de modèles. Il ira même jusqu’à sampler le son du moteur de sa Lamborghini Diablo SE-30 violette.

Manu : Jay sait aussi se faire plus léger : une musique dansante et un groove qui rappellent Stevie Wonder… Peut-être un peu trop, selon certains critiques.

La presse britannique se déchaîne : pour le magazine The Face, il n’est qu’une pâle copie du maître. En juillet 1993, Melody Maker pousse la provocation jusqu’à demander à ses lecteurs s’ils peuvent faire la différence entre Stevie Wonder et Jamiroquai ! 

Jugez plutôt, on va s’écouter “Superstition” de Stevie Wonder, évidemment.

INSERT — Stevie Wonder – Superstition
https://www.youtube.com/watch?v=0CFuCYNx-1g

Manu : Et puis, Jay Kay, c’est aussi un fin stratège : il a négocié un contrat solo avec sa maison de disques, et les autres membres du groupe sont techniquement ses employés. Pourtant, il est resté fidèle à son équipe, qu’il considère comme sa famille.

En 1994, un an après ce démarrage en trombe, Jamiroquai sort son deuxième album. Une pression immense repose sur Jay Kay, propulsé au rang de pop star. Si commercialement, le succès est au rendez-vous – l’album est certifié platine au Royaume-Uni –, la critique est plus sévère, jugeant qu’il ne fait que reproduire la recette du premier opus. 

Aux États-Unis, Space Cowboy devient un tube en club, mais son clip déclenche une polémique à cause des références un peu trop explicites à la drogue. Jay, qui n’a jamais caché ses positions libérales sur le sujet, est contraint de modifier les paroles et le visuel du clip.

INSERT — Space Cowboy
https://www.youtube.com/watch?v=OPkjnRIdQXQ

Manu : Et le visuel du single. Cherchez le sur Google ça vaut le détour : c’est un gros pétard en forme de buffalo man j’adore ! Nous voilà donc en 1996, Jamiroquai revient alors avec son 3e album studio, celui qui nous intéresse aujourd’hui : Travelling Without Moving

INSERT — PUB JAMIROQUAI
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/publicite/pub669440114/jamiroquai-travelling-without-moving-version-30-secondes 

Je ne vous gâche rien en vous disant d’emblée qu’il signe ici le plus grand succès de sa carrière. Les singles Virtual Insanity et Cosmic Girl sont des hits planétaires. L’album permet à Jamiroquai de percer aux États-Unis : pour la 1ere fois, il se classe dans le Billboard 200 américain, atteignant la 24e place.

Manu : Travelling Without Moving est aussi référencé dans le livre des records comme l’album de funk le plus vendu de l’histoire de la musique, avec 11,5 millions d’exemplaires vendus dans le monde.

Après avoir traversé une période difficile pendant l’enregistrement de son album précédent, The Return of the Space Cowboy, Jay Kay cherche à rendre ce nouveau disque plus universel.

Très modestement, il déclare qu’il ne se souhaite pas « se [cantonner] à sa petite niche et [vendre] un million et demi d’albums à chaque fois ». Il explique qu’il  : « (…) voulais sortir du lot et devenir quelque chose de plus grand, de plus international ».

À propos de l’ambiance générale de l’album, Jay Kay déclare au Journal The Philadelphia Inquirer :

« A la sortie d’Emergency on Planet Earth, les gens n’applaudissaient pas dans les rues ou quoi que ce soit d’autre, et The Return of the Space Cowboy était assez triste. Avec Travelling Without Moving, j’ai décidé qu’il était important de montrer aux gens que nous pouvions nous amuser. C’est pourquoi il parle de voitures, la vie et l’amour »

Globalement, les critiques ont plutôt salué Travelling Without Moving pour ses sonorités raffiné, approfondissant l’acid-jazz et la soul développés dans les précédents albums : Q Magazine parle de “fat, squishy disco feel”], une « sensation disco généreuse et spongieuse »., tandis que The Source décrit un album regorgeant de « cuivres nerveux mêlés à des subtilités de jazz, des lignes de basse énergiques et des rythmes disco ».

Music Week juge l’album comme étant « l’offre la plus accomplie et la plus satisfaisante » du groupe. Cependant, certaines critiques persistent, notamment sur l’ombre de Stevie Wonder qui plane sur le style de Jay Kay : Entertainment Weekly estime qu’il « confond toujours l’imitation avec l’hommage ». De son côté, le magazine Muzik qualifie l’album de « funk tiède ».

Manu : Mais n’en déplaise à ses détracteurs, Jamiroquai finira par rafler 1 Grammy, 4 MTV Awards, et vendre 8 millions d’exemplaires de Travelling Without Moving ! 

Et au-delà des hits et des récompenses, Travelling Without Moving a aussi prouvé qu’un groupe pouvait réconcilier virtuosité musicale et succès mainstream. On peut dire que Cet album a marqué une époque où l’électro-funk et l’acid jazz trouvaient enfin une place de choix dans la pop grand public. À une époque où la Britpop dominait les charts et où l’électronique allait exploser, Jamiroquai a su imposer un son hybride, à la croisée du funk, du jazz et du disco, tout en insufflant une énergie résolument moderne. C’est cet équilibre entre nostalgie et innovation, entre maîtrise instrumentale et culture club, qui fait de Travelling Without Moving un album clé des années 90. Aujourd’hui encore, il reste une référence incontournable, dont chaque réédition est un évènement,, preuve que le groove n’a pas de date d’expiration.  

Allez j’ai envie pour conclure qu’on s’écoute une version live de Virtual Insanity enregistrée à l’amphithéatre de Verrone. Pas de bol ce jour-là, c’est un véritable déluge qui s’abat sur la ville italienne, mais qu’importe : Jay Kay est trempé et Jamiroquai se ne démonte pas, ils s’en amuse. La suite c’est un concert mémorable, devenu culte.

INSERT — Virtual Insanity LIVE AT VERONA
https://www.youtube.com/watch?v=qT41uNtvmmA

Le making-of de "Travelling Without Moving"

Manu : C’est parti pour groover maintenant avec Greg qui a bossé sur les coulisses de l’enregistrement de travelling without moving, pierre angulaire et tournant dans la discographie de Jamiroquai

Oui c’est un tournant, parce que Jamiroquai avant 1996, j’exagère un peu mais c’est quasiment un groupe de niche, ils sont catalogués Acid Jazz, ce sous genre qui mélange soul et funk et porté à l’époque par une poignée de formations nées dans les années 80 comme The Brand New Heavies ou encore Incognito. Dans son précédent album, Return of the Space Cowboy, et hormis le titre SPACE COWBOY qui commence à lorgner vers la pop, on est encore clairement dans cette filiation Acid Jazz, petit rappel des faits avec le titre MR MOON

INSERT — MR MOON

C’est groovy, c’est relaxant, la basse est funky à souhait, bref, c’est sympathique mais ce n’est pas avec ça que l’on séduit le marché américain et que l’on vend 11 millions d’albums à travers le monde. Cela Sony l’a bien compris, le groupe aussi. L’idée va être de surfer sur le beau succès du précédent album pour passer à la vitesse supérieure en simplifiant les morceaux et en élargissant toujours plus le spectre musical. Avec Travelling without moving, la balance va cette fois franchement pencher du côté pop et disco.

Manu : Pour mettre en boîte leur nouveau bébé, Jamiroquai part se mettre en vert au « Linford Manor »

Linford Manor c’est est un manoir historique construit au XVIIe siècle. Il est situé dans le village de Great Linford à Milton Keynes au nord-ouest de Londres. Le bâtiment est absolument charmant et entouré de vastes jardins et dans les années 1990, il a été transformé en studio d’enregistrement professionnel et est devenu un lieu de choix pour de nombreux artistes comme Oasis ou Supergrass, séduits par l’atmosphère paisible du lieu. Vous allez rire mais je crois que c’est la première fois que sur un album aussi connu je trouve aussi peu d’infos fiables. Ce dont je suis à peu près sûr, c’est que les sessions ont eu lieu courant 1996 mais impossible de savoir exactement ce qu’il se passe là-dedans. Sans doute parce qu’il n’y a pas grand-chose à raconter : les membres du groupe s’entendent bien, se connaissent et hormis le côté un peu freak control de Jay Kay, on imagine que les choses se sont bien passées. On a tout de même quelques notes de Jay Kay dans la réédition de l’album où on apprend que les vibes du Linford Manor ont eu une super influence sur le groupe ou encore que la basse de Alright lui est venu en allant pisser. Le morceau est ensuite né de sessions d’improvisation pour trouver les bons arrangements.

Dit comme ça, cela a l’air simple mais derrière Jay Kay peut compter sur des musiciens certes jeunes, mais hyper talentueux, de vrais rolls royce en studio. On pense au regretté Toby Smith, claviériste qui fait des merveilles sur son Fender Rhodes et son mini moog. C’est sans doute la personne la plus importante de ce disque, à égalité avec Jay Kay. Il est le co-auteur de la plupart des morceaux et avec ses grooves sophistiqués et ses arrangements colorés, son influence a été décisive. L’autre grand bonhomme de l’album, c’est Stuart Zender, qui va poser sur l’album des lignes de basse légendaires, comme sur le titre éponyme du disque, cavalcade funky lancée à 200 à l’heure.

INSERT — TRAVELING WITHOUT MOVING

Manu : Greg, est-ce que tu as des infos sur la manière dont a été enregistré l’album ?

Je vous avais dit en intro que Jamiroquai voulait séduire un plus large public avec des titres plus pop comme Cosmic Girl ou Virtual Insanity mais aussi un nouveau son qui ne se contente pas de rendre hommage au son analogique des années 70, en particulier celui du label Motown, mais qui apporte aussi des twists plus modernes avec l’utilisation de traitement numérique, de sons électroniques et aussi de samples mais attention, pas de samples généré par un ordinateur, précise Jay Kay dans cette interview accordée en 1997 à la télévision néerlandaise, dans l’émission The Music Factory.

INSERT — ITV JAMIROQUAI

 “Nous n’utilisons pas d’ordinateur. Récemment, nous avons commencé à utiliser un sampler mais uniquement pour boucler nos propres compositions. Cela peut-être pratique pour réarranger des morceaux que nous avons du mal à enregistrer. 

– Et vous avez enregistré live ?

– Oui, la plupart des instruments sont joués en même temps en une seule prise. A part les cuivres et d’autres arrangements, la basse, la guitare, les claviers et la batterie sont enregistrés en même temps et en une seule prise.” 

INSERT — SAMPLES ALRIGHT
https://www.youtube.com/watch?v=brk0V6FK0Oo 

Dans ce Jamiroquai, on a donc à la fois une approche très organique de la funk à travers cet enregistrement live et des touches plus modernes qui vont donner naissance à ce groove disons « rétro futuriste » qui va conquérir le monde à la fin des années 90. quelque chose d’assez unique quand on y pense. Si on est tous capable de citer plusieurs noms de groupes de grunge, de punk ou d’électro qui ont cartonné à cette époque, difficile d’en dire autant pour cette disco / funk à la sauce Jamiroquai. Un tour de force que l’on doit en partie à l’ingénieur du son britannique Al Stone qui avant de s’atteler à ce disque a travaillé avec Björk sur des morceaux de son album « Debut » en 1993. Autant dire quelqu’un d’assez polyvalent et capable de naviguer dans divers styles musicaux.

« C’est l’un des artistes qui me pousse vraiment et j’aime être poussé. Une fois qu’il se met en tête de faire quelque chose, il ne lâche rien. Je pense que le jour où Jay apprendra à utiliser lui-même une console, nous serons tous en faillite. »

https://www.soundonsound.com/people/al-stone-recording-jamiroquais-supersonic

Manu : L’album part d’ailleurs un peu dans tous les sens au niveau musical  

C’est vrai qu’on voyage pas mal avec traveling without moving, on passe par le Brésil avec la rythmique samba de Use The force, titre composé en référence à l’euro de football 96 qui se déroulait en Angleterre. On va aussi dans les CaraÏbes avec Drifting Along et son dub chaleureux et on pousse même jusqu’en Australie avec deux morceaux instrumentaux et atmosphériques qui mettent à l’honneur le didjeridoo de Wallis Buchanan, musicien originaire de la Jamaïque.

INSERT — Didjerama 

Manu : Greg, tu nous disais au début de ta chronique ne pas avoir trouvé beaucoup d’info sur l’enregistrement mais t’as quand même une anecdote assez folle sur “Virtual Insanity” qui à l’origine ne devait pas figurer sur le disque…

Oui en effet aussi incroyable que cela puisse paraître Virtual insanity ne fait pas partie des morceaux qui doivent être enregistrés au Linford Manor dans le courant de l’année 1996. Ce titre composé par Toby Smith et Jay Kay dans le sous-sol de la maison de ce dernier aménagé en home studio a été complètement oublié. L’histoire raconte que l’idée du morceau serait venu à Jamiroquai lors d’une tournée au Japon. Alors que Jay Kay se promène dans les rues enneigées et désertées de la ville de Sendaï, il découvre une autre ville sous terre, en fait des galeries commerciales qui permettent aux habitants de faire leurs courses ou d’aller au restaurant en restant au chaud. Jay Kay y voit une métaphore de notre condition humaine, prisonnière de la consommation et des nouvelles technologies d’où le “Virtual Insanity”.

Manu : C’est cool cette histoire mais ça nous dit toujours pas comment le titre se retrouve sur l’album !

En fait, le titre revient sur la table car la maison de disques trouve que l’album manque d’un single capable de porter l’album. Même Cosmic Girl est considéré par Sony comme un morceau secondaire, tout juste bon à faire fureur dans des clubs gays.

C’est à ce moment-là que Jay Kay et Toby Smith ressortent la démo de Virtual Insanity. Bingo, le titre est enregistré durant l’été 1996.  Un morceau qui résume bien la formule Jamiroquaï, une approche pop mais associée à une structure et une progression assez complexe d’accords jazz. Une certaine sophistication qui n’empêchera pas le morceau de cartonner et servir de locomotive aux autres hits de l’album (((comme le très disco et dansant Cosmic Girl)))

INSERT — Cosmic Girl

Manu : Merci Greg pour cette super chronique. On le sait Jay Kay est très fan de disco, il va d’ailleurs avoir la chance d’inviter Diana Ross, la reine du disco le 24 février 1997, lors des BRITS Awards pour une version en duo de « Upside Down ». Et c’est également le disco qui sera à l’honneur de l’album Synkronized qui sortira en 99. 

L'univers visuel de Jamiroquai

Manu : Alors Fanny, tu vas nous parler aujourd’hui de l’univers visuel de Jamiroquai et il me semble que la pochette de Travelling Without Moving développe toute une imagerie autour d’une des plus grandes passions de Jay Kay…

Fanny : Oui et cette passion dévorante c’est… les grosses bagnoles qui font vroum vroum très fort, qui roulent très vite et qui coûtent très cher. Est-ce une passion de gros beauf ? Ouais totalement, mais c’est un avis qui n’engage que moi.

Sur la pochette, on voit un fond noir grillagé qui rappelle la calandre d’une voiture, un rectangle jaune en relief qui détourne le logo de la marque Ferrari, et au centre, un emblème que les fans de Jamiroquai connaissent bien : le Buffalo Man, cette silhouette noire stylisée qui représente Jay Kay affublé de cornes.

Le Buffalo Man, c’est un personnage qui incarne l’identité de Jamiroquai depuis le premier disque et qu’on va retrouver sur tous les supports promotionnels du groupe. Ce logo, dessiné par Jay Kay himself, s’inspire de la fable du Minotaure dans la mythologie grecque. Jay a souvent dit qu’il s’identifiait à Thésée, le héros qui va tuer l’affreux Minotaure grâce au glaive qu’Ariane lui donne puis retrouver son chemin dans le labyrinthe grâce à la pelote de laine que toujours Ariane lui donne. Après avoir réalisé cet exploit, Thésée s’enfuit en mer, trahit la promesse qu’il avait faite d’épouser Ariane et l’abandonne comme une vieille chaussette sur une île déserte.

Pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça ?

Parce que je trouve ça particulièrement frappant que Jay Kay dise s’identifier à Thésée, alias le mec qui n’a manifestement aucunes valeurs ni aucune parole, compte tenu de tous les reproches qu’il va lui-même se prendre au moment de la sortie de Travelling without moving !

Manu : Ce qui se passe c’est que dès la sortie du disque, la presse pointe du doigt le grand écart entre les valeurs écolo défendues par Jamiroquai et cette apologie soudaine des voitures de course…

Bah je pense que la presse a totalement raison ! Au moment du premier album Emergency on Planet Earth, Jamiroquai se présente comme un groupe engagé qui fait des chansons protestataires dénonçant la chasse, le capitalisme, la souffrance animale, le pillage des ressources, etc. Le groupe soutient financièrement Greenpeace et Jay Kay associe même son image à des campagnes pour le tri des déchets par exemple.

Alors est-ce qu’on peut se dire écolo et en même temps collectionner des dizaines de Porsche, Ferrari et Lamborghini comme le fait Jay Kay ? C’est un peu dur à défendre. Ecoutons ce qu’en dit Jay, dans une interview au magazine Muzik en 1996 :

« J’ai eu un vrai dilemme en me demandant si je devais baser l’album Travelling Without Moving autour de l’univers automobile. J’adore la vitesse ! Mais j’étais un peu inquiet de ce que les gens allaient dire, sachant que le premier album parlait d’écologie. Puis je me suis dit : ‘Attendez une minute, c’est pas parce que j’aime conduire des voitures de course que je suis pour la déforestation. Ça ne veut pas dire que je pense qu’il faudrait construire plus de routes pour ma voiture ! »

On distingue ici un chouilla de langue de bois… Mais de son côté Toby Smith, claviériste du groupe, répond aux journalistes avec un peu plus de franchise quand il déclare la chose suivante peu de temps après :

« Nous voulons tous être un groupe écologiquement conscient, mais nous aimons les voitures… Nous sommes des hypocrites, comme le reste du monde. »

Et cette polémique va le poursuivre ! Par exemple, en 2008, le site WhatCar dresse un palmarès des 10 personnalités britanniques qui polluent le plus en voiture, à la première place on trouve le producteur Simon Cowell et à la deuxième place, notre ami Jay Kay ! Franchement, il mérite un émoji caca et un émoji pouce vers le bas !

Manu : Du coup cet univers autour des voitures qui s’affiche dès la pochette, on le retrouve dans les paroles de la chanson XXX mais aussi dans le clip de Cosmic Girl, non ?

Oh oui un clip passionnant, dans lequel on voit une Ferrari rouge, une Ferrari noire et une Lamborghini Diablo violette faire la course sur des routes sinueuses en Espagne. Est-ce que j’ai envie d’en parler davantage ? Non. Peut-être pour la simple et bonne raison que lors du tournage l’équipe va exploser non pas un mais 2 exemplaires de la Lamborghini alors qu’il n’en existe que 3 dans le monde, et que Jay Kay se fait retirer son permis pour excès de vitesse. Et je trouve ça tellement scandaleux que je préfère concentrer mon travail d’analyse sur un seul clip, le seul et l’unique qui vaille, j’ai nommé VIRTUAL INSANITY !

INSERT — Virtual Insanity 

Manu : On parle là d’un des clips les plus cultes des années 90, maintes fois repris dans la culture pop et qui est devenu ces dernières années un meme internet

Clairement cet album ne serait pas ce qu’il est sans le clip de Virtual Insanity, réalisé par l’anglais Jonathan Glazer. Sorti en 1996, ce clip a marqué une génération entière et a raflé quatre prix aux MTV Video Music Awards en 1997, dont celui de la Vidéo de l’année. À une époque où les clips misaient sur des scénarios extravagants dans le désert par exemple comme on l’a vu 10 fois ou sur des effets spéciaux tape-à-l’œil, Virtual Insanity a frappé fort avec une illusion d’optique simple mais terriblement efficace : un décor qui semble bouger sous les pieds de Jay Kay.

Manu : Nan mais comment ça ? On le voit bien danser dans une pièce en mouvement avec le sol qui glisse non ?

Ça c’est ce que notre cerveau perçoit et franchement on se creuse la tête pour comprendre par quelle diablerie d’effets numériques ils ont réussi un coup pareil mais la réalité est encore plus maligne. Le secret ? Et bien le sol ne bouge jamais ! C’est l’ensemble des murs et des meubles qui sont montés sur roulettes et déplacés hors champ par des dizaines de techniciens à qui le réalisateur crie « nord, sud, est ou ouest pour leur dire par où aller. La caméra filme quasi toujours le même plan d’ensemble de face, et l’illusion est totale : on a l’impression que Jay Kay glisse sans effort dans un espace mouvant, avec ses pas de danse hyper fluides et reconnaissables inspirés du milieu du skate.

Visuellement, le décor me semblait assez familier et j’étais très heureuse d’avoir la confirmation qu’il s’inspire de l’architecture minimaliste du japonais Tadao Ando que j’adore. Et notamment de la maison Azuma qu’il a faite à Osaka, avec ces murs en béton brut et ce côté épuré qui donne un côté intemporel à l’image. A Paris, si vous voulez voir un beau bâtiment signé Tadao Ando, il faut visiter la Bourse de commerce et promis vous retrouverez les mêmes murs que dans Virtual Insanity !

Mais il y a aussi des références plus étonnantes dans ce clip, que Jonathan Glazer a glissées çà et là : les cafards qui courent sur le sol rappellent La Métamorphose de Kafka, le sang qui coule du canapé évoque la célèbre scène de l’ascenseur dans Shining de Kubrick dont Glazer est fan, et Jay Kay, avec son chapeau haut-de-forme, pourrait presque passer pour une version funky du Chapelier Fou d’Alice au Pays des Merveilles.

Manu : C’est dingue comme un simple décor sur roulettes peut créer un effet aussi dingue visuellement !

A vrai dire Glazer n’a pas eu le choix que d’être très créatif, comme il l’explique lui-même dans une interview à la télé japonaise, on l’écoute : 

INSERT — JONATHAN GLAZER

https://youtu.be/P2gm319lmhM?feature=shared&t=145

“Je voulais qu’il danse dans une pièce et défie la gravité de cette pièce. Mais je n’avais pas l’argent, je voulais construire tout le set sur poutrelles hydrauliques et c’était impossible, le budget était loin de ce dont j’aurais eu besoin pour réaliser ça. Donc j’ai réfléchi à comment faire, comment atteindre l’effet que je voulais atteindre différemment, et pour moins cher et c’est comme ça que l’idée est venue.” 

Glazer avait un budget de 150K£ pour ce clip, et que sa première idée où tous les éléments bougent coûtait 280K, presque le double. Jay Kay au départ voulait carrément un gigantesque tapis roulant comme on en voit à l’aéroport, et évidemment ça coutait trop de fric aussi ! Moralité : on est souvent plus créatifs sous la contrainte !

Bref, que ce soit avec la pochette de l’album ou le clip de Virtual Insanity, Jamiroquai a su imposer une identité visuelle forte qui en font une pierre angulaire de la pop culture des années 90. Et bien sûr, impossible de terminer cette chronique sans évoquer l’élément le plus distinctif de Jay Kay : ses chapeaux extravagants. Dès les débuts du groupe, il arbore des coiffes incroyables, passant du bonnet péruvien à la toque en fourrure géante, en passant par des créations à pics plus futuristes. Au début, ses couvre-chefs étaient fabriqués par sa propre mère avant qu’il ne fasse appel à des chapeliers professionnels. Son look mélange le style skater des années 90 avec une touche bohème le rend immédiatement reconnaissable, et moi je l’ai toujours trouvé hyper fun pour ça !

Manu : D’ailleurs il y a un mec qui s’est inspiré du couvre chef du logo space cowboy, celui avec les cornes de bison, c’est Jake Angeli vous voyez qui c’est ?

C’est le conspirationniste de QAnon et adorateur de Trump, qui a pris d’assaut le Capitole en 2021, vous vous en souvenez ? A l’époque plein de gens ont cru que c’était Jamiroquai, que nenni ! Jay Kay s’en défendu lui-même je cite : “J’adore la coiffure mais je ne suis pas sûr que ce soit mon public” !

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “