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Alain Bashung “Fantaisie militaire”

(1998)

EN QUELQUES MOTS

Aujourd’hui on va vous parler d’Alain Bashung, le plus respecté des rockeurs français. En 1996, le chanteur de “Osez Joséphine” est en pleine dépression. C’est un soldat sans joie qui s’attèle à l’élaboration de son 10ème album studio, entouré de son complice de toujours Jean Fauque. Sur le plan musical comme dans ses textes très personnels, Bashung souhaite rester insaisissable et va pour cela multiplier les ateliers expérimentaux.

Le fruit de cette longue maturation c’est Fantaisie Militaire en Janvier 98. Un disque à la maîtrise parfaite et aux audaces infinies. De “malaxe” à “Angora”, en passant par “Aucun express”, “Sommes-nous” ou “La nuit je mens” on sent qu’Alain Bashung est parvenu au sommet de son art hybride et combinatoire.

Fantaisie Militaire est son chef d’œuvre absolu, récompensé par une pluie d’éloges et 4 Victoires de la musique. Il y a dans ce disque la qualité d’écriture, les arrangements sublimes, et surtout cette voix hors norme qui vont faire de Bashung la voix la plus respectée du Rock à la française.

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Retour en 1998

Voilà pour les 12 titres de “Fantaisie Militaire”, ça fout les poils un peu non ?
C’est donc le 10ème album studio d’Alain Bashung. Il sort le 6 janvier 1998 en CD, Cassette et Vinyle chez Barclay, un label Universal.

On retrouve le disque d’Alain Bashung chez tous les bons disquaires aux côtés de “Moon Safari” du groupe Air, “Essence ordinaire” de Zebda, “Suprême” du Suprême NTM” ou “Clandestino” de Manu Chao. Que du bon, tous des disques validés par Radio K7.

1998 vous le savez est bien sûr marquée par la victoire des Bleues en Coupe du Monde. On va voir et revoir Titanic, le film le plus cher de l’histoire, on découvre Garou dans Notre-Dame de Paris et c’est aussi l’année de la première techno parade ! 200.000 ravers lâchés pour la première fois en plein Paris.

La story d'Alain Bashung

Manu : Allez, c’est le moment de se lancer dans le vif du sujet. On va revenir avec toi Oli sur la story d’Alain Bashung. C’est un monstre sacré de la chanson française. Il a eu mille vies, une carrière en dent de scie. Quelque chose me dit que ça va pas être facile de nous résumer ça…

Olivia : Je confirme ! Bashung, c’est 10 ans de galère, 30 ans de très hauts mais aussi de très bas.

C’est surtout l’histoire d’un mec qui a fait de la musique parce qu’il ne pouvait viscéralement pas faire autre chose.

Claude Alain Baschung (avec un « c ») naît à Paris en 1947 d’une mère ouvrière chez Renault et d’un père kabyle algérien… mais surtout absent. Sa mère se marie peu après sa naissance avec Roger Baschung, un boulanger alsacien. Ils n’ont pas beaucoup de moyens, pas beaucoup de place dans ce petit appartement. Il est décidé que le petit sera envoyé à Wingersheim en Alsace, chez les parents de Roger, son nouveau beau-père.

Ce ne sera pas une enfance très heureuse : venu de Paris et né de père inconnu, il est mis à l’écart, on le traite de bâtard. Il ne se sent pas à sa place. C’est un enfant rêveur, pas très bavard. A 6 ans, son beau-père lui offre un harmonica qu’il ne quittera plus. Il chante aussi dans la chorale de l’église. Et puis le soir, il écoute la radio allemande et découvre le rock ‘n’ roll : Elvis Presley, Little Richard, et Gene Vincent qu’il ira voir sur scène.

Ado, la situation de ses parents s’améliore un peu, il rentre donc vivre avec eux à Paris.

Il apprend la guitare en autodidacte. Et très vite, il décide de mettre ses études commerciales de côté pour former en 1965, son tout premier groupe, les Dunces (les « cancres »), tendance country-folk. C’est décidé, Baschung veut faire de la musique son métier.

Repéré par le directeur artistique du label Philips, Baschung enregistre sous son nom un premier 45 tours « Pourquoi rêvez-vous des États-Unis ? », qui sort en 1966.

INSERT — https://www.youtube.com/watch?v=idHmMN7swC4

C’est à cette époque qu’il choisit d’enlever le c à son nom et devient Bashung avec un s.

Il accepte à peu près tout ce qu’on lui propose pour essayer de faire carrière dans l’industrie du disque très formatée des années 60s. Et les débuts sont longs et difficiles : il chante de la variété, tantôt hippie, tantôt crooner, il adapte Cat Stevens ou Tom Jones, il s’essaie à l’italien ; mais rien de bien passionnant, Alain Bashung s’ennuie.

Manu : Je crois qu’il va même chanter dans une comédie musicale sur la Révolution française

Olivia : ouais, je sais, c’est un peu improbable. Il tient le rôle de Robespierre et je vous propose d’en écouter un extrait :

INSERT — https://youtu.be/k8fxPFbGCIc?feature=shared&t=366

Mais Alain rêve plus grand et d’autre chose. En 1973, il fait la connaissance de Boris Bergman, qui va devenir son parolier attitré. Auteur à succès pour Dalida et Juliette Gréco, ils écrivent ensemble l’album Romans Photos, qui sort en en 1977. Mais qui fait un flop malgré des textes déjà puissants et follement poétiques. Bashung impose petit à petit son style. Mais il faut attendre 1980 pour le grand virage, la chanson qui va tout changer et vous l’avez déjà tous en tête:

INSERT — Gaby Oh Gaby

Gaby Oh Gaby se vend à deux millions d’exemplaires et obtient le prix Charles Trenet et celui de la SACEM. Pour la première fois de sa carrière, Bashung séduit le grand public.

Gaby va tout changer pour Bashung, soudain il a les moyens de faire la musique qu’il veut.

Du côté de la critique aussi, c’est le plébiscite : le tandem Bashung-Bergman annonce le renouvellement du texte dans la chanson rock, après Higelin et un certain Gainsbourg.

Manu : Gainsbourg, c’est le modèle absolu, évidemment. Et c’est d’ailleurs à cette époque qu’ils vont travailler ensemble.

Olivia : En 1982, Bashung, ultra fan, demande à rencontrer son idole Serge Gainsbourg. La complicité est immédiate. Ces deux âmes abimées se retrouvent dans la poésie et dans l’alcool aussi. S’en suit Play Blessures ,un disque radicalement désespéré et désespérément radical. Il sera encensé par la critique rock mais ne connaîtra aucun succès.

Alain Bashung continue son cheminement artistique entre chanson et cinéma. Il passe beaucoup de temps sur la route aussi, en tournée avec ses musiciens.
En 1986, il se remet au travail avec Boris Bergman, qu’il avait un peu perdu de vue, et sort Passé le Rio Grande, inspiré par le mythe du rock ‘n’ roll. Ce disque confirme sa place majeure dans la constellation du rock français et marque également son retour au sommet des ventes avec « L’Arrivée du tour ».

INSERT — https://www.youtube.com/watch?v=tbysVvk5AFE

C’est aussi à cette époque qu’il remporte sa première Victoire de la musique, celle du « Meilleur album de l’année ». Sa musique s’exporte au Canada ou en Egypte.

Les deux années suivantes sont consacrées à l’écriture du nouvel album Novice, qui sortira en 1989 avec Boris Bergman toujours mais aussi avec son ami Jean Fauque. Malgré les singles « Pyromanes » et « Bombez ! », le disque semble trop novateur et ne trouve pas son public.
Bashung se retrouve à nouveau sur le banc, à contre-courant.
Et puis, le grand huit de la vie décide de le propulser à nouveau tout en haut : l’album Osez Joséphine sort en octobre 1991 et le succès est au rendez-vous. Encore une fois. On y retrouve les titres : « Volutes », « Madame rêve » et « Osez Josephine » évidemment. Bashung décroche cette fois non pas une, mais deux Victoires de la musique !

Manu : Victoires de l’artiste interprète masculin et meilleur vidéo clip. Joli palmarès et 300.000 exemplaires vendus. Là on se dit que Bashung a enfin trouvé le succès et son public !

Olivia : Et bien ce n’est pas si facile. Bashung se fait de plus en plus rare. Il est en plein divorce et va être rattrapé par cette dépression qui le ronge. Il décide de se faire interner dans une maison de repos à Meudon. A sa sortie, il se remet au travail, car il l’a compris, écrire est pour lui le seul moyen de s’en sortir. Il peaufine les harmonies et les sonorités, tisse chacun de ses textes jusqu’à l’épuisement, et délivre une œuvre puissante et cohérente.

Manu : En janvier 1998, il est de retour avec Fantaisie Militaire ; un album hypnotique, exigeant, torturé et lumineux.

Aujourd’hui encore une référence pour le rock à texte ; et c’est surtout le plus grand succès de Bashung : en 2012, le magazine Rolling Stone classera l’album à la 9e place des 100 meilleurs albums de rock français.
Fantaisie Militaire fait aussi partie de La Discothèque parfaite de l’odyssée du rock du journaliste Gilles Verlant, qui le qualifie, je cite, de « diamant scintillant de l’hiver 1998 (…) Bashung malaxe les sons et son inspiration avec une maîtrise parfaite des accidents de studio (…) sa précision est celle d’un orfèvre, d’un joaillier, d’un horloger maniaque ».

Le 20 février 1999 à l’Olympia avait lieue la 14e cérémonie des Victoires de la musique à l’Olympia, où était nommé plusieurs fois Fantaisies Militaire. Et justement, j’ai retrouvé pour vous ce reportage du journal de TF1 qui vous rappellera des souvenirs j’en suis sûre… !

INSERT — Reportage TF1, Alain Bashung aux Victoires de la musique 98

*réactions*

On vient de l’entendre, Fantaisie Militaire fait un carton aux Victoires de la musique : il remporte celle du meilleur album, celle de l’artiste de l’année et celle du clip, dont on va se reparler. Et en 2005, il recevra même le trophée du « Meilleur album des vingt dernières années ». Bashung reste aujourd’hui encore le chanteur le plus primé de l’histoire des Victoires avec 13 récompenses (à égalité avec Matthieu Chedid).

Manu : Et d’ailleurs en 2000, ceux deux-là collaborent ensemble sur un titre assez cool qui s’appelle “What’s In A Bird?” pour une compilation d’inédits, vous le trouverez sur Youtube. Aller, nous on revient en 1996 dans quelques instants, le temps d’une page de pub.

INSERT — pub TV “La nuit je mens”

Je voudrais que l’on s’arrête justement quelques instants sur le titre phare de l’album, La Nuit je mens. C’est évidemment celui qui va marquer les esprits ! Hasard et bonne étoile, cette chanson n’était pas du tout prévue. Le disque était enregistré, terminé mais il restait une semaine de studio et Bashung ne voulait pas la perdre. Il se lance alors sans trop savoir. Et de ce fameux jeu de ping pong verbal et poétique entre lui et Jean Fauque, dont Greg va vous reparler, naît ce texte puissant mais assez opaque finalement. Enfin, j’avoue que je me suis longtemps demandé de quoi ça parlait vraiment: il est question de mensonge bien sûr (La nuit, je mens) mais aussi de courage. De ce courage dont on manque. Ces entorses que l’on fait à la vérité pour impressionner et se rassurer. J’ai retrouvé une citation de Jean Fauque qui nous en dit un peu plus :

« On cherchait à faire un truc sur l’héroïsme un peu bidon. Moi j’avais une ébauche de texte qui s’intitulait ‘Vercors’, dont il n’a gardé que la première phrase. On a déroulé tous les termes liés aux jeux du cirque, aux Romains, pour parler d’un type dont la femme s’est barrée et qui tente de la reconquérir en essayant de passer pour un héros. Dans l’actualité de l’époque, il y avait aussi pas mal de sujets qui tournaient autour de la Résistance et de la collaboration. Les histoires avec Touvier, Papon, le passé de Mitterrand qui commençait à remonter en surface, ça nous a sans doute influencés indirectement »

Artiste majeur du rock français, Alain Bashung n’a cessé de se renouveler et de repousser les limites du genre. Son style a changé mille fois de mille façons différentes. Aujourd’hui culte, Alain Bashung n’a pas toujours été adulé par la critique. Souvent à contre-courant, il profondément marqué la chanson française. Il aura su réconcilier la chanson à texte avec la culture rock pure et dure : l’Amérique idéalisée des années 1950, puis la new wave désillusionnée des années 1970-1980. Bashung a surtout prouvé à toute une génération d’artistes après lui que l’on peut être un rocker français sans ridicule.

J’avais envie de conclure cette chronique avec cette version live à Nulle Part Ailleurs de La Nuit Je Mens.

INSERT — La nuit je mens, live NPA 1998

Manu : J’ai noté une citation de Bashung qui disait : « J’ai fini un album quand j’ai descendu mes poubelles » Ses poubelles, ce sont ses tourments. Et on peut dire que les plus belles chansons de sa carrière en fait elles sont écrite souvent quand il va mal, très mal… et comme tu nous l’as raconté Oli, des épisodes de dépressions il en a eu beaucoup dans sa vie notre Alain.

Mais heureusement sa béquille, sa planche de salut, c’est ceux qui l’entourent. Et à chaque album, quelque soit le style, Bashung a toujours réussi à très bien s’entourer. Et Fantaisie Militaire n’échappe pas à la règle.

Alors on va maintenant partir en studio avec toi Greg pour aller tourner des potards, titiller de l’equalizer, brancher des compresseurs et essayer de comprendre comment est née cette Fantaisie Militaire, parce que le moins que le puisse dire c’est qu’il a un processus créatif… très particulier.

Le making-of de "Fantaisie militaire"

Le style de Fantaisie Militaire
Processus particulier en effet manu et nouveau son…

C’est un peu une synthèse des années 90 et de la discographie de Bashung le son de fantaisie militaire.

Des machines et des instruments acoustiques : du trip hop anglais, des guitares américaines, de l’électro industrielle qui pourrait presque venir de détroit, des mélodies d’Afrique du Nord et puis surtout de la poésie en Français
Je vous le cache pas, pour moi l’album est difficile à digérer à la première écoute, la musique est vraiment 90 trip-hop, pour moi ça a un peu vieilli, ou disons c’est pas encore assez vieux.

Et puis les textes c’était un peu une torture, quand tu écoutes l’album en marchant dans la rue sans connaître l’histoire de Bashung, sans explication de texte, t’as l’impression que c’est des enchainement de phrases jolies sans aucun sens et au premier abord je trouve que c’est un peu dur.

Mais ! Pour comprendre la démarche, le style de l’album et la manière dont il a été créé je trouve que c’est indispensable d’écouter Bashung à travers les temps pour voir l’évolution de son style : car si il en arrive là, c’est qu’il est passé par plein plein de phases..

On va s’écouter un petit montage du bashung à travers les temps.

EXTRAIT 1

Le Bashung Romantique : en 1968 c’est ça : « les romantiques »
Autant dire qu’il est plus proche de Adamo que des sex pistols.
Fantaisie militaire est très très loin.

Le Bashung pop rock : en 1977 il s’est un peu endurci, c’est plus innovant, »On est entre Bob Dylan, fleetwood mac et Laurent Voulzy, il a toujours une voix de gentil, même si on commence à reconnaître son chant c’est assez étonnant, la musique est très acoustique.

Le Bashung superstar tout début 80 c’est le succès, y’a Gaby, vertige de l’amour, tout le monde connaît.

Le Bashung punk new wave (80’s) en contre pied de ce succès : il va adopter un style beaucoup plus noir, beaucoup plus underground, punk et new wave : il change carrément de voix, en plus il bosse avec Gainsbourg content de faire du rock on « c’est comment qu’on freine » C’est un période qui dure 10 ans qui est bien destroy : il se fait même surnommer le Johnny new wave vous vous faites votre avis

Le Bashung cowboy acoustique (1991) : Bashung en a marre des synthétiseurs, il part à Memphis dans le studio d’Elvis pour enregistrer en partie « Osez Josephine » Selon Pascal nègre c’est le retour des orchestres à cordes dans la pop

Le Bashung au top de son art (1994-1998) : il se réinvente encore avec l’album Chatterton et Fantaisie militaire : dans ces albums il va expérimenter une nouvelle façon de travailler, le son est vraiment entre l’acoustique et l’électronique, il décrit parfois chatterton comme un album « country new-age » et sonne très 90’s avec par exemple « ma petite entreprise »

On se rend compte que Bashung sous des airs de rebel suit toujours le son de l’époque. Est-ce qu’il participe à créer les modes ? est-ce qu’il suit les modes ? Je sais pas, en tout cas pour Fantaisie militaire il est un peu plus vieux, il a vécu le succès, la picole, les dépressions, l’argent, il se sent un plus libre d’expérimenter de nouvelles méthodes de travail pour se réinventer et probablement ne pas mourir.

Manu : Ce qui marque tout de suite, à la première écoute de cet album, c’est les textes. C’est la poésie de Bashung, qu’on aime ou pas, ça ne laisse pas insensible.

Ecrire des textes, faire de la poésie : la base de l’album
Oui il bosse avec son pote parolier Jean Fauque. Ce qu’ils veulent c’est que les textes ne soient pas lisibles. Ils veulent privilégier le ressenti plutôt que la compréhension, ils veulent faire naître des coïncidences, jouer sur les contradictions, les sous entendus : le but n’est pas de raconter quelque chose. Même s’ il y a des thèmes qui ressortent : la résistance, la dépression, les relations, la rupture, et même une chanson qui parle de son fils.

Bref : énormément d’écriture, ils écrivent chacun de leur côté, puis ils croisent leurs textes, Bashung compile, fait des copier coller, ils prend des bouts d’un texte pour le coller sur d’autres, souvent des textes qui n’ont rien à voir, ça dure très longtemps.. Il se prennent bien la tête…

Le but est d’avoir les textes bouclés avant de commencer la pré-prod : pour que le son vienne se coller à la musique des mots.

Manu : c’est vrai que les textes sont tout chez Bashung. Il considère que son album est terminé quand il a fini les textes et qu’il a la mélodie des mots. Ca faisait marrer Pascal Nègre son producteur chez Universal parce qu’après il faut “juste” auditionner 150 musiciens, booker un studio etc

Du gros Son
C’est bien beau de noircir des feuilles mais à un moment il faut faire de la musique.

Comme Bashung habite maintenant à Belleville, il se rapproche de son vieux pote guitariste Richard Mortier qui s’est mis à bidouiller des machines : les liens se resserrent, Bashung l’embauche : ils débutent des pré-maquettes.

C’est quoi cette pré maquette : C’est principalement des boites à rythmes avec Bashung qui chante ses textes, il joue un peu de guitare dessus mais ne les enregistre pas (on les entend au loin sur ses témoins) parce qu’il ne veut pas enfermer les chansons dans une harmonie.

Anne Lamy la directrice artistique écoute la volonté de Bashung, lui il veut des musiciens bidouilleurs qui connaissent bien la technologie, pas des virtuoses mais des gens qui vont le surprendre

Il rencontre Mathieu Ballet qui est un expert du trip hop, il tente des trucs il propose à bashung, mais finalement il est pas à l’aise sur les rythmes trop speed, du coup ça va pas le faire mais la petite graine électro est plantée dans la tête de Bashung

Anne va mobiliser les valentins (Edith Fambuena, et Jean-Louis Pierrot, un groupe dans lequel il y avait de palmas à un moment, on l’a échappée belle)
Les valentins c’est pas trop du Bashung : c’est plutôt ça :

EXTRAIT 2

Mais bon ils ont collaboré avec Etienne Daho, Nicolas Sirkis, Jacno et Daniel Darc alors pourquoi pas !

D’autant que Bashung a adoré un titre qu’ils ont fait avec Brigitte Fontaine et Bashung a envie d’aller dans ce sens : vous allez voir : on comprend le truc

EXTRAIT 3

Là on comprend mieux…

Ils se rencontrent au Studio Antenna place de Clichy que Anne Lamy a loué pour 3 mois,

Il leur dit : oubliez tout de ce que j’ai fait avant : allez chercher des trucs nouveaux. Du coup ils intègrent l’équipe et se retrouvent avec les maquettes des voix sans harmonie : ça peut aller dans tous les sens alors ils commencent à bosser

Un 4ème mec rejoint l’équipe Jean lamoot , l’ingé son qui a mixé le titre de Brigitte Fontaine que Bashung aime bien.
Jean Lamoot a deux avantages : c’est un taiseux donc le courant passe bien avec Bashung et surtout c’est un des seuls Français à savoir travailler sur pro tools.

Manu : ah bah justement parle nous un peu du pro tools : tu connais toi nan.

L’outil que Bashung attendait : Pro tools

C’est la révolution du numérique dans la musique : avec pro tools on enregistre maintenant directement dans l’ordinateur, et le soft commence à remplacer les magnétos à bande dans les studios.

Le montage audio sur bandes c’est long et laborieux, il faut soit couper et coller les bandes physiquement avec des ciseaux et du scotch, soit enregistrer les bouts en temps réel sur une autre piste mais c’est difficile à synchroniser.
Avec pro tools on peut couper et coller des parties, traiter le son visuellement sur une time-line.

Je vous propose d’écouter jean Lamoot parler du pro tools :

Quand j’ai présenté Pro Tools à Alain, se souvient Lamoot, j’ai senti qu’il attendait ça depuis des années. Cette machine, il l’avait anticipée sans le savoir sur ses enregistrements précédents, en procédant à des collages, des déplacements de parties de guitares d’un morceau à l’autre, de façon artisanale et souvent fastidieuse. Désormais, ce qu’il avait en tête, il pouvait le faire en quelques clics. Il savait qu’avec cet album, il allait pouvoir aller aussi loin qu’il le souhaitait, tester des tas de choses, expérimenter chaque idée jusqu’au bout.

On voit le truc venir : en fait Bashung va vouloir faire la même chose que ce qu’il fait avec les paroles avec la musique : tout mélanger pour se laisser surprendre.

Mais on est en 1997, les disques durs sont pas hyper gros, les ordis pas hyper puissants, faut sauvegarder souvent, on s’imagine qu’avec Bashung y’a beaucoup de matière et qu’il fallait être sacrément organisé pour gérer tout ça.
D’ailleurs le jour ou Lamoot pose son matos au studio : ça marche pas, Bashung est visiblement assez vener et se plaint qu’il ne veut pas être tributaire de la technique, il fait la gueule 3 jours mais finalement ça marche et il se rend compte que c’est vraiment l’outil dont il a besoin

Donc là on a l’équipe au complet. comment ça va se passer au niveau du travail ?

Le metteur en scène de la pré prod (3 mois)
Tout le monde travaille au studio sur le même projet et les mêmes chansons, mais pas ensemble : personne n’est dans la même pièce et chacun travail dans son coin sans savoir ce qu’il se passe : tout le monde est un peu paumé, ptet que Bashung est paumé aussi, mais tout le monde avance.

Bashung traine toute la journée dans la cuisine à boire du café et Paufine parfois les textes avec Jean Fauque

Richard Mortier et les Valentins sont dans leur pièce respectives.
Dans le studio central Jean Lamoot récupére les idées des uns et des autres et commence à compiler, il tente des choses

Puis Bashung arrive prend des idées des uns et des autres, un couplet de l’un, un refrain de l’autre, tel un metteur en scène en se laissant parfois surprendre.

Je vous propose d’écouter une version de travail de Mortier sur Sommes-nous

EXTRAIT 4

Jean marc Lederman, musicien électronique fait « ode à la vie » et « 2043 »
Rodolphe Burger compose « Samuel Hall » que Bashung décide de mettre au dernier moment sur l’album sans y toucher.

Eté 1997 La pré prod de 11 titres est terminée, 2 jours avant de rendre le studio Antenna Bahung fait écouter aux Valentins une chanson qu’il a encore en stock « la nuit je mens » ils ralentissent le morceau à gogo et le font tourner comme on le connaît maintenant.

Manu : Là il y a déjà énormément de travail : et on a toujours aucun son définitif, c’est le moment ou il vont poser pour de vrai les titres…

L’Enregistrement définitif

Ça va se passer Studio Miraval dans le sud (celui de Brad Pitt aujourd’hui)
Jean Lamoot est un peu déçu de pas réaliser l’album parce que c’est un anglais Ian Caple qui se pointe pour le faire, il ne connait pas Bashung, il doit rester fidèle aux arrangements de pré-prod. Il ramène des musiciens anglais dans sa besace, dont Adrian Utley, le guitariste de portishead, un bassiste qui a joué avec Talk talk, Ian Caple a bossé avec Tricky, les Simple minds, Suede, et plein d’artistes français, Yann tiersen, les têtes raides, Cocoon, Jacques Higelin etc etc

“A l’époque, ma connaissance de la musique française s’arrêtait à Melody Nelson de Gainsbourg et aux versions des chansons de Brel par Scott Walker. J’ai reçu une cassette avec huit titres et j’ai immédiatement vu le potentiel énorme de ces chansons, surtout Malaxe, même si je ne comprenais rien aux textes. Je trouvais juste les démos un peu froides – malgré l’excellent travail de Jean –, car elles étaient essentiellement issues de machines. J’ai très vite compris que mon travail consisterait à amener de la chaleur et de la dynamique lors de l’enregistrement.”

Ils enregistrent les parties. Ils gardent parfois des bouts fait en pré-prod.
Les valentins sont là et enregistrent un peu des parties, Richard mortier est au repos car il a fait un infarctus.

Retour à Paris au studio Davout pour enregistrer les cordes par un orchestre de femmes, dirigé par Joseph Racaille, puis à Londres pour faire les voix définitives assez rapidement et le mixage au studio Pierce

Ecoute des versions et montage : malaxe valentins / malaxe Richard Mortier / Malaxe final / La nuit je mens / 2 mises à plat et un MIX

 

Manu : Je sais pas si vous avez vu le film Mulholland Drive ? J’écoutais un podcast à propos du film cet été et ben j’ai appris qu’au départ David Lynch voulait faire une série. Alors il a tourné un pilote mais au moment des projections-tests, en fait c’était un four. Le public n’a pas du tout accroché. Alors David Lynch il a complètement remonté ce pilote et il en a fait un film. Alors bon forcément il y a des trous, des incohérences, il manque des scènes quoi ! Mais c’est pas grave, il est allé et il a même choppé une palme d’or avec au passage…

Moi j’y vois un parallèle avec les chansons de Bashung, qui sont complètement découpées, recollées, remontées. Bashung il brouille les pistes on comprend pas tout, mais ça donne un résultat fabuleux. Comme chez Lynch.
En fait Greg tu nous montres que Bashung il fait un véritable boulot de metteur en scène de cinéma, avec le meilleur chef op, les meilleurs acteurs etc. Merci pour ta super chronique

On va continuer le making of de cet album, et je me tourne maintenant vers toi Fanny pour que tu racontes l’histoire de cette pochette complètement culte et de ce portrait assez étonnant d’Alain Bashung.

L'univers visuel d'Alain Bashung

Fanny : Écoute Manu, je suis extrêmement heureuse de parler de cette pochette d’album aujourd’hui parce que je la trouve magnifique et que l’histoire de sa création m’a aussi vachement plu. Je partage donc cela avec vous :

On est en 1997. Le photographe français Laurent Seroussi a été choisi pour réaliser les images qui illustrent l’album. Petit message à l’attention de nos auditeurs les plus fidèles : si vous vous rappelez bien, Laurent Seroussi je vous en ai parlé dans notre épisode sur l’album ‘Supreme NTM’, c’est lui qui a pris les iconiques portraits bleutés de Joey Starr et Kool Shen… Donc notre histoire débute déjà avec un type qui a un certain talent.

Seulement voilà, face à lui, il y a le pudique Alain Bashung qui n’est pas habitué à partager son travail en cours, tant que tout n’est pas terminé. Les chansons de ‘Fantaisie militaire’ sont en pleine gestation et Laurent Seroussi n’en entendra aucune.

Pour qu’il ait quelques branches auxquelles se raccrocher tout de même et l’aider à trouver un concept visuel, Bashung accepte de lui transmettre les paroles de trois chansons : « Malaxe », « Angora » et « Fantaisie militaire ». Et dans cette dernière, il y a plusieurs vers, particulièrement évocateurs, qui disent la chose suivante :

INSERT — Extrait Fantaisie militaire
« Au pays des matins calmes
Pas un bruit ne sourd
Rien ne transpire ses ardeurs
(…)
Sais-tu qu’la musique s’est tue
Sais-tu qu’un salaud a bu l’eau du nénuphar
L’honneur tu l’as perdu sur ce lit de bataille »

Les paroles de « Soldat sans joie » rappellent à Laurent Seroussi un des poèmes les plus célèbres de la littérature française : « Le dormeur du Val » d’Arthur Rimbaud. Je ne résiste pas à l’envie de vous le dire en entier, oui oui, comme en classe à l’école. Je l’avais appris ce poème et en le relisant tous les souvenirs sont remontés à la surface :

INSERT — Michel Auclair lit Rimbaud
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/audio/p12052341/michel-auclair-le-dormeur-du-val

Dans ce sonnet classique, Rimbaud réussit le tour de force de planter un décor à la fois apaisant et contemplatif, on paresse dans la verdure à côté de son jeune soldat, on sent presque l’odeur des herbes fraîches. Et puis arrive ce couperet glaçant à la dernière ligne : non le soldat ne dort pas, il git là blessé à mort de deux trous rouges.

Dans une interview qu’il a donnée à Libé en 2016, Laurent Seroussi développe l’idée que lui a inspiré le poème :
« Je voulais donner une version photographique de ce gisant entre la vie et la mort. Une idée que sa maison de disques a aimée mais qui ne l’a pas séduit immédiatement. J’ai dû batailler, proposer d’autres idées, notamment celle d’un Bashung marchant sous un parapluie avec des petites lumières accrochées aux baleines ou de sa silhouette derrière un verre trouble, décomposée comme un puzzle. C’était graphique, mais cela ne racontait pas grand-chose. Finalement, j’ai proposé un deal, réaliser ces trois images dans la même journée pour prouver que celle qu’il aimait le moins était la bonne. »

A l’hiver 1997, une séance est donc organisée dans un studio photo à Paris. Trois plateaux différents sont préparés avec les décors et accessoires correspondants aux 3 images à shooter. Il y a pas mal de monde, des techniciens, des assistants, tous s’affairent pour travailler vite et bien. L’image qui sert de pochette à l’album est la plus difficile à prendre : on prépare une piscine peu profonde remplie d’eau, au dessus de la piscine, on construit un échaffaudage pour que Seroussi puisse prendre sa photo en contre plongée tandis que Bashung, tout vétu de noir s’immerge dans l’eau. Le reste c’est le photographe qui le raconte, toujours dans les pages de Libé :

« C’était l’hiver, on avait récupéré des tonnes de lentilles d’eau prises dans la glace en forêt de Rambouillet ; mais, quand elles ont fondu dans notre petite piscine, des tonnes de bestioles de toutes sortes s’étaient aussi invitées. Il nous a fallu des heures pour nettoyer l’eau de cette faune grouillante. On versait régulièrement des théières d’eau chaude pendant qu’Alain était allongé. Au vu du résultat, il a finalement accepté le principe de la photo mais, par superstition, il m’a demandé de changer la couleur des lentilles d’eau. Il ne voulait pas de vert. J’ai dû faire des essais qui n’avaient aucun sens en bleu ou jaune, et j’ai fini par refuser l’utilisation de la photo s’il persistait à vouloir modifier les couleurs. Au final, Alain ne m’a jamais dit ce qu’il pensait de la pochette. Je ne suis pas certain qu’il l’appréciait. Il ne s’est jamais exprimé. »

Je trouve que c’est un peu triste de ne pas savoir ce que Bashung en pensait…

Manu : Surtout que l’image est tellement forte que Stephan Eicher va la reprendre en 2019 pour la pochette de son album Hüh !, toujours avec Laurent Seroussi derrière l’objectif et des confettis multicolores à la place des lentilles d’eau !

Oui, c’est un bel hommage ! L’autre référence littéraire et artistique à laquelle j’ai pensé en voyant la pochette de Bashung, c’est Ophélia, l’amoureuse éperdue de Hamlet, qui se noie dans la pièce de Shakeapeare.

Ophélia apparait dans de nombreuses peintures au fil des siècles, la plus célèbre étant peut-être celle de l’anglais John Everett Millais, peinte en 1851. L’une des œuvres les plus marquantes du courant pré-raphaélite. Pour les amateurs de cinéma, Lars von Trier rend lui aussi hommage à l’Ophelia de Millais dans le magnifique film Melancholia. Regardez l’affiche ! Impossible de ne pas faire le lien avec Bashung.

Manu : En couv de l’album on a donc une image vraiment belle mais un peu mortifère, tandis que le tournage du clip de ‘La Nuit je mens’ va, lui, être le théâtre d’une vraie résurrection !

Oui bien vu Manu, la résurrection se fera sur le plan personnel pour un Bashung abîmé, qui sort juste de la dépression. Car c’est en effet sur le tournage de « La nuit je mens » qu’il va rencontrer Chloé Mons qui deviendra sa femme et la mère de sa fille Popée.

Résurrection artistique aussi car « La nuit je mens » devient après 1998 sans doute l’un des singles les plus populaires et appréciés du chanteur. Ce tournage opère donc un tournant vers l’une des périodes les plus heureuses de la vie de l’artiste.

INSERT — La Nuit je mens

Mais revenons à la vidéo en elle-même : son réalisateur, c’est le célèbre Jacques Audiard. On ne s’étonne donc pas de la dimension très cinématographique de l’objet.

Quand j’ai voulu visionner le clip sur YouTube, j’ai vu s’afficher un disclaimer qui a titillé mon attention : « Cette vidéo est peut-être inappropriée pour certains utilisateurs ». D’autant plus étrange qu’elle a reçu une Victoire de la Musique en 1999, ça pouvait pas être aussi choquant que ça !

Manu : Ah tiens, mais qu’est-ce qu’on y voit donc ?

On est presque comme chez Hitchcock dans son « Fenêtre sur cour ». C’est la nuit et depuis l’extérieur, nous, spectateurs, regardons à travers la vitre sale d’une petite fenêtre un ballet interlope où se cotoient clients, souteneurs et prostituées. On capte des instants volés, des rencontres tarifées dans ce qu’on devine être les toilettes d’une maison de passe. Des bouts de corps se succèdent dans l’embrasure, seins, fesses, braguettes.

Audiard fait de nous des voyeurs complices. Bashung apparait là, seul, dans la lumière verdâtre des toilettes. Chemise blanche, costard et clope au bec, plus Gainsbarre que jamais.

Cet univers sulfureux ne le dérange pas, au contraire il s’y plait bien. Pendant l’enregistrement de ‘Fantaisie militaire’ au Studio Antenna, Place de Clichy à Paris, « Alain s’est installé dans un hôtel un peu miteux en face du studio », explique la productrice exécutive Anne Lamy. « un endroit fréquenté par les prostituées du quartier; ce qui l’amusait beaucoup. Il nous racontait chaque matin les histoires qu’il avait observées pendant la nuit, il s’y sentait parfaitement à son aise

Nul doute que cette anecdote a donné à Audiard un point de départ pour son scénario de clip. Probablement aussi qu’il s’était aventuré en 1996 dans les allées de la Fondation Cartier à Paris, où était présentée l’expo collective « By night ». Le public français pouvait y voir quelques clichés de la série « Dirty windows » de la photographe américaine Merry Alpern. Dans la nuit au loin, Alpern immortalise depuis le loft d’un ami la vue à l’étage en dessous de l’immeuble voisin sur les toilettes d’un peep-show clandestin de Wall Street.

Pendant 6 mois, cachée dans le noir, son appareil fixé sur un trépied, elle dévoile l’envers du quartier d’affaire où traders en costard, grammes de coke et travailleuses du sexe intéragissent autour de quelques dollars.

Impossible que la ressemblance entre ces photos et le clip 3 ans plus tard soit une coïncidence, je vous mettrai un lien sur les réseaux sociaux, vous vous ferez un avis par vous-même !

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “