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DJ Shadow “Endtroducing….”

(1996)

EN QUELQUES MOTS

Dans cet épisode on va vous parler de Josh Davis, alias DJ Shadow, le papa du “trip hop”. En 1996, après avoir fait patienter ses fans pendant 2 ans, DJ Shadow sort enfin son premier album “Endtroducing….” et c’est la révolution. DJ Shadow bouscule les codes du hip hop et invente un nouveau vocabulaire sonore terriblement expressif. Il est la pierre angulaire du trip-hop, le nom donné à cette forme de collages expérimentaux au-dessous de toutes étiquette de genre ou de style.

De “Building Stem with a grain of salt” à “Midnight in a perfect world” en passant par “Organ Donor ou What Does your soul look like, DJ Shadow déclare son amour à l’esprit du hip hop et lui offre une nouvelle ouverture d’esprit.

“Endtroducing….” est un “must have”, souvent cité comme le déclencheur de vocation de nombreux acteurs clés d’une nouvelle scène trip-hop”, comme Massive Attack ou Portishead, “Endtroducing….” a largement influencé le hip-hop, la musique électronique et même au-delà des artistes comme Beck, Björk ou Radiohead.

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Retour en 1996

Voilà pour les 13 titres de Endtroducing. Il y en a même 15 sur la version japonaise, ce sont des vieilleries pas des inédits. C’est donc le tout premier album de DJ Shadow. Il sort le 16 septembre 1996 en CD, cassette et vinyle sur le label indépendant Mo’Wax, le label de James Lavelle.

Alors 1996, c’est une super année pour le hip-hop et la musique électronique. Chez les disquaires, on range DJ Shadow entre “All eyes on me” de Tupac et « Richard D James » d’Aphex Twin, « The Score » des Fugees et « Super discount » d’Étienne de Crécy.

1996 c’est aussi l’apparition des films catastrophe avec Twister, Independance Day, et Daylight. Bill Clinton est réélu président des Etats-Unis, la France remporte la coupe Davis et on passe au numéro de téléphone à 10 chiffres !

La story de DJ Shadow

Joshua Paul Davis voit le jour à San Diego le 29 juin 1972. C’est un petit garçon assez solitaire, qui souffre du divorce de ses parents. Très vite, il comprend que la musique possède un pouvoir puissant et elle va très vite devenir son obsession.

Dès l’âge de 9 ans, il ne jure plus que par le hip-hop. Il se souvient qu’à l’époque en 1980, il connaissait par cœur la partie rappée de « Rapture » de Blondie.

On se le réécoute juste parce que ça fait plaisir.

INSERT — Blondie, Rapture

Deux ans plus tard, le petit Joshua de 10 ans à peine a pris l’habitude de se promener en permanence avec un enregistreur cassette afin de capter toutes sortes de sons : des morceaux de conversations, des engueulades de famille, des bruits du quotidien. Il est particulièrement marqué par un reportage sur les effets sonores dans Star Wars, notamment le son des sabres lasers produit en tapant sur des ressorts avec un clé à molette. Un son qu’il a plusieurs fois tenté de reproduire lui-même dans son garage. A la même époque, il s’amuse aussi à enregistrer la radio. Et c’est ainsi qu’il tombe un jour sur LE morceau qui a changé sa vie

INSERT — Grandmaster Flash, The Message]

Ce choc esthétique, c’est « The Message » de Grandmaster Flash and the Furious five, sorti en 1982. C’est une révolution et une révélation ! Il n’a jamais rien entendu de pareil. Évidemment, il appuie directement sur le bouton “REC” et il raconte que sur son enregistrement de l’époque, on entend un dialogue où sa mère lui demande ce qu’il écoute puis la voix du petit Joshua qui lui demande de se taire et de sortir de sa chambre ! J’adore !

En CM2, la mode du hip hop est en train de passer et ses petits camarades trouvent que c’est déjà ringard. Lui ne pige pas et il est toujours à fond dedans.

« Le hip-hop signifie tout pour moi. Culturellement et idéologiquement, cette culture a fait toute mon éducation. J’ai commencé à écouter du rap à 10 ans en découvrant Grandmaster Flash à la radio, avant d’adhérer aux valeurs du hip-hop. Cette culture représente l’unité au travers de la musique. Sa vocation c’est la créativité, l’innovation permanente et l’effondrement de tous les préjugés musicaux. »

Olivia : Et cet amour du hip-hop, il le partage avec un autre garçon de sa classe, un certain Stan Green.

Manu : Alors je fais une petite avance rapide mais, sauf erreur, Stan Green est cité dans le livret de son album Endtroducing. Il a droit à une jolie dédicace.

Olivia : Exact ! C’est assez touchant, je trouve : Shadow remercie son pote sans qui rien n’aurait été possible. C’est vraiment lui qui va l’initier à toute la culture hip-hop, de la musique en passant par le graff dans le métro. Ensemble, ils passent des après-midis entières dans les magasins de disques à acheter des vieux vinyles. Ils piochent aussi bien dans le funk et la soul que dans le blues, le folk, le rock. Il va petit à petit se forger une solide culture musicale et aiguiser sa grande sensibilité rythmique. Il commence aussi à trafiquer des petites compositions sur une console quatre pistes assez simple.

À partir de 1989, Josh Davis anime régulièrement des émissions sur des « college radios ».

C’est Oras Washington, animateur sur KDVS (Kay Di Vi S), et super DJ de hip hop de la région de Sacramento qui va lui mettre le pied à l’étrier en diffusant son premier mix à l’antenne ! Extrait :

INSERT — MIX KDVS

Manu : Ah bah Oras Washington fait aussi partie des remerciements sur son album !

Olivia : Oras, c’est celui qui va lui donner les moyens de produire ses premiers sons. Faut s’imaginer un gars de 23 ans qui va devenir pote avec ce petit gamin de 14 ans un peu bizarre, un peu surdoué.

Josh a l’habitude d’écouter l’émission d’Oras sur KDVS. Le principe était assez simple, Oras demandait à ses auditeurs de l’appeler pour passer des disques. Un jour, Josh appelle et demandent à écouter un truc super pointu et très confidentiel. Oras hallucine et demande qui est au bout du fil ! A partir de là, Josh viendra régulièrement en studio.

Et c’est comme ça qu’un jour Oras va l’emmener avec luir à la sortie d’un concert pour rencontrer Run-DMC et Public Enemy ! Ils vont se perdre dans un mouvement de foule. Gros stress pour Oras mais meilleure soirée de sa vie pour Josh qui désormais en est persuadé : le hip hop, c’est sa vie !

Manu : pour l’anecdote, il y a un 3e gars qu’il remercie dans le livret de son album. Il s’agit d’un certain Paris, un rappeur de San Francisco signé chez Tommy Boy Records, le label de Afrika Bambaataa. Du lourd ! Et évidemment, Josh est super impressionné et ne se méfie pas une seconde. Il va lui faire des prods, trouver des samples de malades mais il ne se fera jamais créditer ni payer. Pas très cool, mais pour le futur DJ Shadow ça lui servira de leçon.

En tout cas, son talent évident pour le mix lui ouvre les portes d’une grosse radio de la côte Ouest, KMEL, où il anime une émission qui, en quelques mois, est écoutée par plus de deux millions d’auditeurs.
Je vous propose d’écouter l’un de ses tout premiers mix :

INSERT — https://soundcloud.com/djshadow/dj-shadow-kmel-mix-1-1991

Cette jolie reconnaissance lui permet d’intégrer la toute nouvelle maison de disques Hollywood Basic. Il ne sort que quelques morceaux assez confidentiels sous le pseudo de Zimbabwe Legit. Mais dès 1993, il a alors à peine 21 ans, les choses commencent à prendre de l’ampleur : Josh Davis crée le collectif Solesides qui regroupe des rappeurs de San Francisco comme Lyrics Born et Lateef the Truthspeaker du groupe Blackalicious ainsi que le producteur Dan the Automator. Leur marque de fabrique : des textes forts et politisés, assez éloignés des clichés « gangsta » du rap « West Coast ».
C’est aussi à partir de cette période que Josh commence à utiliser le nom de Shadow puis de DJ Shadow. Parce que Shadow, l’ombre donc, correspond à la place que doit garder, selon lui, le producteur, celle de l’arrière-plan. Vous l’aurez compris, Shadow n’aime pas trop la lumière.

Pourtant il l’attire : il est contacté par le tout jeune label anglais Mo’ Wax, qui propose des sons à la croisée du jazz, du hip-hop et de la soul. Son fondateur James Lavelle, un petit jeunot de 18 ans, est séduit par les titres de sa première démo « In/Flux » et surtout « Lost and Found ». Particulièrement le sample de batterie de « Sunday Bloody Sunday » de U2, dont on va s’écouter un extrait :

INSERT — Lost and Found

Ces deux titres sont les premiers simples du label et deviennent la carte de visite de Mo’ Wax et de Shadow. A l’origine d’une véritable onde de choc, ces morceaux vont révolutionner la conception de la musique réalisée à base de samples. Il s’agira désormais de poésie sonore, de collage fluide créés à partir de tous les styles et articulés comme une histoire. C’est comme si Shadow inventait un nouveau vocabulaire sonore !

En 1994, la compilation Headz de Mo’ Wax fait connaître au monde entier le hip-hop instrumental, ou comme on l’appelle l’« abstract hip-hop» de DJ Shadow. Ses morceaux lents, sombres, mystiques et mélancoliques donnent naissance à ce qu’on va appeler le « downtempo » et le « trip-hop ».

Manu : On s’en était déjà parlé dans un précédent épisode, mais ce terme de trip-hop apparaît pour la première fois dans un article du magazine spécialisé Mixmag. Et DJ Shadow est souvent considéré comme l’inventeur du genre.

Olivia : Exact, mais la vérité, c’est qu’il déteste ce terme :

« Le trip-hop est un terme totalement vide de sens, il ne m’a pas nourri comme le hip-hop l’a fait ces quatorze dernières années. »

Mais revenons à notre histoire : toujours inscrit à la fac, Josh s’endort un soir de révision sur un de ses bouquins de philo et se réveille sur le chapitre « What does your soul look like? ». Ce titre un peu cryptique donnera son nom à un morceau de 32 minutes qui deviendra vite la meilleure vente du label Mo’ Wax au format maxi. Ce super long format permet à Shadow de révéler tout son potentiel : la variété des ambiances, le travail sur les samples et le placement des scratches. Il devient l’un des grands noms de la musique électronique. Un statut un peu lourd à porter sur ses épaules, lui qui a toujours rappelé ce qu’il doit à la longue tradition de recherche musicale en hip-hop instrumental.

Manu : Nous voilà en 1996 et sort enfin le premier album de DJ Shadow, le fameux Endtroducing….. accompagné d’un premier single “Midnight in a perfect world”

INSERT — DJ Shadow – Midnight in a Perfect World TV 2’50

Olivia : L’accouchement se fait dans la douleur car DJ Shadow est du genre perfectionniste :

« Pour réaliser ce premier album, je me suis quasiment coupé du monde six mois durant, de janvier à juillet dernier. Je devais être imbuvable pour mes proches tant l’enjeu d’un premier album m’apparaissait comme définitif. Avec ce disque, j’espère faire prendre conscience aux auditeurs de l’esprit d’ouverture du hip-hop et de son potentiel illimité »

L’album est un véritable coup de maître tant par la richesse des samples que par la cohésion du projet. Distribué par la major Universal sous le label Mo’ Wax, Endtroducing trouve une audience mondiale bien au-delà du public hip-hop.

Mais ce ne sera pas immédiat. Il va falloir une bonne année pour qu’il devienne un vrai succès. Et étrangement l’album sera surtout plébiscité par les radios indépendantes et les médias branchés en Angleterre. L’Amérique boude celui qui pourtant a été nourri de sa culture et la force de sa mixité. Certains rappeurs considèrent que le hip-hop instrumental tel que l’a défini DJ Shadow participe à l’extinction de cette culture, en la privant de la moelle épinière substantielle qu’est le message. En gros, on lui reproche de ne pas mettre de paroles sur ses sons. Pourtant, la musique de Shadow peut transmettre nombre d’idées subversives en se passant de mots.

« Où est le défi quand on se cantonne à des « fuck you » ou des « I love you » ? Parvenir à l’exprimer sans parole est une tâche autrement plus complexe. Pourtant, à l’instar de n’importe quel instrument, j’aime suffisamment la texture de la voix humaine pour en parsemer régulièrement mes morceaux […] Mais je m’attache toujours plus à ce que la voix véhicule au plan émotionnel qu’à ce qu’elle dit. »

Et justement parce que les mots de disent pas tout, je vous propose de terminer cette chronique par un extrait du live de 97 :

INSERT — DJ Shadow Live 1997

Manu : Building Steam with a Grain of Salt a été un gros succès, c’est le morceau que toutes les marques voulaient s’offrir pour leur spot TV à la fin des 90s. Dans une interview pour Fader il raconte qu’il a refusé un très très gros chèque de Apple pour une synchro parce qu’il ne voulait pas être considéré comme une vendu. Par la suite, il a quand même fini par accepter de céder ses droits à Coca-Cola, Bouygues Télécom, Cadillac ou Chevrolet.

Le making-of de "Endtroducing...."

Manu : Allez maintenant je vous propose d’aller digger des vinyles avec toi Grégoire puisqu’on l’on suffisamment répété depuis le début de cette émission, Endtroducing c’est du sample, du sample et encore du sample…

Grégoire : Et oui Manu et d’ailleurs j’ai appris dans mes recherches que cette manière de faire de la musique en échantillonnant exclusivement des oeuvres préexistantes, cela a un nom : cela s’appelle le plunderphonics, plus qu’un courant musical c’est plutôt un concept inventé par le compositeur canadien de musique électroacoustique John Oswald, qui le définit comme « le piratage audio en tant que prérogative de composition ».

Les œuvres d’OSWALD reposent donc entièrement sur des arrangements réalisés à partir de samples d’autres artistes. C’est un fervent partisan du mouvement anti-copyright selon qui, je cite « Si la créativité est un champ, le droit d’auteur en est la clôture ». Parfait exemple de cette philosophie avec Endtroducing de DJ Shadow, dont la majeure partie est composée d’artistes plus obscurs les uns que les autres. Ce maelström sonore comporte aussi quelques éléments plus connus – notamment des samples de Metallica et de Björk. On retrouve aussi du David Axelrod bien connu des amateurs de hip hop pour avoir été utilisé par Dr Dre sur The Next Episode, ou beaucoup d’extraits sonores notamment celui de la série télévisée culte Twin Peaks qui vient clore l’album de manière inquiétante et mystérieuse.

INSERT — IT IS HAPPENING AGAIN

Manu : Et pour trouver tous ces samples, DJ Shadow a pris ses quartiers dans un magasin de disques de Sacramento…

Grégoire : Oui, même si Endtroducing est son premier album, Josh Davis a déjà sorti plusieurs singles pour des MCs et il a déjà une certaine expérience de l’art du sample. Et pour trouver toutes ces perles musicales, il est devenu le client roi d’un magasin de disques qui s’appelle Rare Records. Je dis client roi car il est devenu tellement un habitué qu’il finit par obtenir l’accès aux réserves du magasin au sous-sol, un gigantesque bordel de vinyles ou plutôt une caverne d’Ali baba aux yeux de Josh Davis interviewé ici dans ce documentaire intitulé Scratche sorti en 2002 :

“Ici c’est c’est mon petit Nirvana, en tant que DJ je prends très au sérieux l’art du digging. Je viens ici depuis 11 ans, c’est vraiment une incroyable bibliothèque de cultures musicales et il y a dans ces piles de vinyles la promesse d’un son qu’il sera possible d’utiliser et la plupart des mes premiers albums ont été construits à partir de disques que j’ai trouvé dans ce sous-sol. Cela relève presque du Karma, je me dis tiens c’était mon destin de trouver tel disque en haut d’une pile et celui-ci aussi que j’ai tiré au milieu d’une autre pile et qui fonctionne si bien avec celui-là. Cela a beaucoup de signification pour moi.”

Fanny : En gros le gars, il écoute des vinyles au hasard et il voit si ça match

Grégoire : Alors pas tout fait, en fait au fil des années il va perfectionner son digging, en repérant des labels, des producteurs qui peuvent potentiellement l’intéresser. Dans une interview accordée à la radio publique NPR il explique aussi que seuls les disques sortis après 1966 l’intéressent, lorsque James Brown a inventé le funk et que le rock ‘n’ roll a commencé à combiner certaines esthétiques jazz, la musique populaire s’est installée dans un groove sur quatre temps sur lequel le hip-hop est basé.

Et donc c’est dans ce magasin qu’il va trouver tous ces sons incroyables comme ce disque de Pekka Pohjola, un multi-instrumentiste, compositeur et producteur finlandais, bassiste du groupe de rock progressif Wigwam, mais qui s’est rapidement lancé dans une carrière solo, devenant une sorte de Frank Zappa finlandais.

INSERT —MADNESS SUBSIDES TC 1’00
INSERT — MORODER TC 0’33

Parmi les artistes qui vont servir aux collages concoctés par Josh Davis, on peut aussi citer Giorgio Moroder et le titre “Tears” qui figure sur “Organ Donor” ou encore le groupe Nirvana, non je vous arrête tout de suite c’est pas celui-là. Bien avant que Kurt Cobain n’apprenne à tenir une guitare, le groupe britannique de pop psychédélique Nirvana créait une litanie de compositions de pop baroque et de rock progressif dans les années 1960.

À la fin de Dedicated To Markos III en 1969, se trouve Love Suite, un morceau de jazz fusion chanté par Lesley Duncan. L’introduction est un pur bonheur, une mélodie délicate qui hante l’auditeur et que DJ Shadow a choisi pour l’introspectif Stem/Long Stem sur lequel figure également ce violon dramatique tiré de Linde Manor du compositeur de musique folk Dennis Linde, un extrait vocal de Blues So Bad de The Mystic Number National Bank et une batterie de RUN DMC rendue folle par les mains expertes de DJ Shadow.

INSERT — STEM /LONG STEM

Manu : Alors comment ça se passe en studio pour parvenir à ce résultat ?

Grégoire :Il aura fallu quand même deux ans de travail pour finaliser l’album. Tout s’est passé chez lui près de San Francisco dans un appartement qui débordait de vinyles évidemment, il y a une vidéo sur YouTube si vous voulez vous déculpabiliser d’avoir un appartement pas super bien rangé.

Comme l’a expliqué Josh Davis au magazine Keyboard en 1997, son installation se composait d’un échantillonneur Akai MPC-60, d’une platine Technics 1200 et d’un multipiste Alesis ADAT – une installation qui, bien que basique, représentait un pas en avant par rapport à l’enregistreur quatre pistes que Davis avait utilisé pour ses premières productions.

Tout cela lui permet d’élargir considérablement le champ des possibles, on peut s’arrêter si vous le voulez bien sur “Building stem from a grain of Salt” qui sans être le morceau le plus complexe de l’album arrive à combiner harmonieusement des éléments de différents genres musicaux qui a priori n’ont rien avoir ensemble mais qui au final forme ce que David appelle un joli « collage d’erreurs »

<<Décorticage Building Grain>>

Au final c’est vraiment un disque qui marque un jalon dans l’histoire du hip hop avec son aspect progressif, méditatif voire symphonique, c’est tout simplement l’un des albums les plus importants des 90’s et qui va influencer de nombreux artistes dont Johnny Greenwood de Radiohead qui cite Endtroducing comme une source majeur d’inspiration pour OK Computer qui sortira l’année suivante.

Manu : Et d’ailleurs Radiohead demandera à DJ Shadow de faire la première partie de leur tournée au Royaume-Uni. Et par la suite la musique de Radiohead a elle aussi inspiré DJ Shadow et James Lavelle pour leur projet trip-hop UNKLE. Ils racontent dans Pitchfork :”Pendant quelques années, c’était comme une véritable camaraderie entre ce que nous faisions et ce qu’eux faisaient.” La boucle est bouclée. Merci Greg pour ces explications !

L'univers visuel de DJ Shadow

Manu : Depuis le début de l’émission, on le voit bien, cet Endtroducing c’est un vrai album de geek, avec des samples pas possibles et une technique incroyable. Pas étonnant que sa pochette vert-de-gris soit dans la même veine. J’ai raison ou pas Fanny ?

Fanny : De ouf! En même temps, dans le livret intérieur il y a une phrase qui annonce la couleur : «This albums reflects a lifetime of vinyl culture. / Cet album est le reflet d’une vie de culture vinyle»

Je crois qu’on va faire vraiment plaisir aux passionnés de musique, aux passionnés de disques vinyles, aux diggers de la première heure et aux fans de découvertes musicales en tous genres. Si comme Manu, tu peux passer des heures chez le disquaire à checker tous les bacs à la recherche de THE disque parfait pour ta collection, reste avec nous, l’histoire qui suit va te plaire.

Encore une fois, on est à Sacramento, la ville natale de DJ Shadow et on se rend sur K Street chez le disquaire Rare Records, dont Greg vient de nous parler. C’est l’endroit où il passe sans doute le plus clair de son temps en dehors du studio. Des journées et des journées entières à arpenter les allées en quête de disques rares et souvent aussi du sample parfait.

Première anecdote marrante, c’est le célèbre dessinateur de comics américain Robert Crumb qui a dessiné le logo de Rare Records ! Crumb avait l’habitude d’y venir pour s’acheter des disques de blues et de musique hillbilly.
Mais DJ Shadow ce qu’il vient faire, lui, c’est digger !

Manu : Oui Olivia et Greg ont chacun parlé de cette passion dévorante qu’il a, mais je suis pas sûr que tout le monde sache ce que « digger des disques » veut dire ! Tu nous expliques ?

Et bien écoute, la pratique du digging, ça vient du verbe anglais “to dig”, creuser. Elle est apparue dans les années 80, au moment de la naissance du hip-hop. Les premiers diggers, c’étaient ces producteurs ou DJ qui fouillaient les bacs de vinyles à la recherche de morceaux à sampler.

Rien de sexy dans ce passe-temps qui est une véritable addiction pour certains. Digger ça consiste avant tout à trier des cartons, des boîtes, des piles de disques, c’est un travail rébarbatif d’archivage, presque de rat de bibliothèque.

J’ai lu un article sur le sujet dans le magazine Trax, y’a des mecs qui parcourent la planète entière, ils vont dans les trous les plus perdus, parfois même dans des pays en guerre, pour trouver des pépites musicales sur vinyle.
Greg nous disait tout à l’heure qu’en tant que meilleur client de Rare Records, DJ Shadow avait finalement eu accès au sous-sol du disquaire. C’est un endroit que je trouve complètement anxiogène ! Je sais pas si vous avez entendu parler du syndrome de Diogène ? C’est un trouble d’accumulation compulsive. Les gens qui en souffrent amassent des affaires du sol au plafond jusqu’à totalement s’emprisonner chez eux. Et ben le sous-sol de Rare Records, c’était ça ! Des milliers et des milliers de disques entassés, pas rangés, qui jonchent le sol et ça dégouline de partout !

Manu : Ce lieu est tellement important pour DJ Shadow qu’il décide de l’immortaliser sur la pochette de son album !

En effet, il demande à Brian Cross alias B+, de réaliser le photoshoot chez son disquaire préféré. C’est l’un des photographes les plus influents de la scène hip hop à Los Angeles dans les années 90. Et l’anecdote marrante, c’est que B+ révèle sur un blog que cette pochette d’album, en fait il l’a complètement foirée ! Il dit : « On a fait la mise au point très rapidement à cause du chat et on a mesuré en pieds alors que le réglage est en mètres. C’est pour ça que le premier plan est flou. Honnêtement, c’était une erreur totale. »

Tout ça à cause d’un foutu chat ! Et oui, regardez au dos de l’album, vous apercevrez Neferkitty, le chat du magasin qui trône le cul posé sur une rangée de disques, aucun respect pour les artistes celui-là ! 

Au recto, on aperçoit trois amis de Shadow : Tom Shimura (Asia Born) avec une perruque blanche, Xavier Mosley alias Chief Xcel avec un paquet de vinyls sous le bras et Beni B au fond avec sa casquette.

Manu : J’adore cette pochette, je pourrais bloquer dessus pendant des heures à jouer à cherche et trouve. Sur le recto on doit être dans le rayon jazz funk, et au recto si on regarde bien on peut identifier les pochettes Byrds, Shawn Cassidy, Elvis Costello ou le Electric Light Orchestra. ça doit être le rayon pop rock US. Au fond on distingue des posters de Lynyrd Skynyrd et Pink Floyd même une affiche de Super Mario Bros le film au-dessus de ce je pense doit être le rayon musique de films 😀

On disait tout à l’heure que c’est un album de geek, et en effet avec cette pochette en forme de mise en abyme, on est 100% là dedans ! Quoi de mieux que de faire figurer des centaines de disques sur une pochette de disque? C’est la meilleure métaphore possible pour cet album qui est fait de collages et de samples..

Cette pochette capture à la fois la joie de la découverte musicale, les moments solitaires de d’épiphanie quand on tombe sur un son à couper le souffle et le plaisir de passer du temps à acheter des disques avec ses amis. On célèbre ici la passion pure, on est dans l’authenticité et on est surtout bien loin des pochettes de hip-hop à gros budget, très stylisées du milieu des années 90.

Manu : Cette recherche d’authenticité, une fois les photos pour la pochette dans la boite, elle va se prolonger avec la production de clips !

On prend la même équipe et on recommence ! Cette fois à l’occasion du tournage du clip de ‘Midnight in a Perfect World’ dont on se réécoute un petit extrait : INSERT MIDNIGHT

Le clip de ‘Midnight in a Perfect World’ est tourné, je vous le donne en mille, chez Rare Records, à la fois à l’étage et au sous-sol. A la réalisation on retrouve encore une fois B+. Tout du long, on voit de nombreux plans en déambulation chez le disquaire. C’est une volonté de l’équipe de décliner le visuel statique de la pochette d’Endtroducing en version film. Les mêmes potes de Shadow sont présents.

Mais ce qui est intéressant, c’est ce qui se passe aussi dans le reste de la vidéo. Visuellement, il s’agit d’une sorte d’exploration pour comprendre l’essence d’Endtroducing. C’est une tentative d’expliquer par l’image en quoi consiste l’art du sampling.

Pour accompagner le morceau, B+ a composé un patchwork d’images avec un gros travail de montage. Chaque plan est une illustration visuelle des samples joués pile à ce moment-là du morceau. B+ cherche en fait à mettre en image les rythmes et les cassures de tempo opérées par Shadow.

Résultat à l’écran on voit parfois un split screen avec 3 ou 4 scènes différentes, dans l’une un piano, dans l’autre une batterie et enfin un clavier. Toujours dans cette même veine geek et cette idée de rendre hommage à la culture vinyle, B+ va aussi aller chercher quelques guests. Comme par exemple le batteur Earl Palmer, qui apparaît au début de la vidéo. Un des pionniers du rock’n’roll, qui avait joué avec Little Richard, Fats Domino’s, Sinatra, Ray Charles, les Beach Boys… une liste de featurings longue comme le bras, qui lui a valu une place de choix au Rock’n’roll Hall of Fame. Au milieu des 90s, Earl Palmer, déjà âgé, est complètement oublié de la jeune génération. Pourtant ses morceaux sont samplés par toute la communauté hip hop. Pour rendre hommage à ce monument de l’histoire du rock, B+ décide de lui faire incarner un petit rôle dans le clip, plutôt que d’embaucher un comédien anonyme.

Tout dans cet album est hommage, finalement, aux centaines de musiciens qui ont pavé le chemin de DJ Shadow, depuis des débuts de la musique moderne jusqu’à 1996. Dans les notes du livret qui accompagnent l’album, il y a toute une page listant des dizaines de noms de chanteurs, de DJs, d’ingénieurs… c’est le panthéon personnel de DJ Shadow, les gens sans qui sa musique n’aurait pas pu voir le jour. Moi je trouve ça beau, cette forme d’humilité, de dire : voilà, moi j’arrive après tous ces gens-là et allez écouter leur musique parce qu’elle m’a nourrie et qu’elle est extraordinaire. Encore une fois, pour revenir sur ce que disait Olivia, Shadow préfère rester dans l’ombre et célébrer tous les musiciens qui lui ont permis d’arriver jusque là.

C’est super classe

Manu : Carrément ! Le disque et le clip ce sont de véritables manuel à destination de tous les apprentis diggers, à une époque où l’histoire du hip hop n’est pas encore écrite, et où Wikipedia et Discogs n’existent pas… Et lui ba il est hyper généreux, il te montre où il va digger, ce qu’il faut chercher, le matos qu’il utilise, platine vinyle et sampler AKAI. Pas étonnant qu’il ait déclenché autant de vocation et influencé autant d’artistes.

Et puis il y a un truc qu’on a pas dit. C’est que Endtroducing… C’est la contraction de “The End” parce pour lui c’est la fin d’un cycle, d’une méthode de travail qu’il a poussé à son maximum, et de “introduction” parce que ironiquement c’est avec ce premier album que le monde va le découvrir…
Et la suite on va l’attendre des années, ce sera The Private Press (que je vous recommande d’ailleurs) qui sortira seulement 6 ans plus tard. C’est une éternité pour les fans dont je faisais parti.

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “