Skip to main content
EN QUELQUES MOTS

Aujourd’hui, on va vous parler de Eddie, Mike, Ament, Dave et Jeff, les cinq membres de Pearl Jam. Mais qui aurait bien pu prédire en 1990 le succès de Pearl Jam !? A l’époque ce n’est qu’un groupe de rock prometteur de Seattle mais il ne lui faudra pas longtemps pour prendre la tête du peloton grunge, ce big bang qui va marquer durablement les nineties.

Dès les premières notes de l’album on sent que la voix de Eddie Vedder, grave et rugueuse, se combine parfaitement avec le son chaud et riche du groupe : un mélange qui s’impose très vite comme LE son de Seattle.

Succès critique et populaire phénoménal, Ten a fait de Pearl Jam un symbole de la nouvelle culture grunge, où il est question de frustration et de colère de toute une génération. Propulsé par l’énergie de tubes comme « Alive », « Jeremy », « Even Flow » et « Ocean », l’album finira par atteindre la deuxième place du Billboard et se vendre à plus 13 millions d’exemplaires dans le monde. 

Écouter · Écouter · Écouter · 

Écouter · Écouter · Écouter · 

Écouter · Écouter · Écouter · 

Disponible sur :

Retour en 1991

Voilà pour les 11 titres de “Ten” ! L’album aurait dû s’appeler “Eleven” en fait, ou plutôt “Twelve” parce qu’il y a un morceau caché sur le CD divisé en 2 parties. La première partie ouvre l’album, avant le début de « Once », et la seconde partie ferme l’album, jouée après « Release ». Les deux sont instrumentales, mais comptent pour 1. Et comme d’habitude, l’édition japonaise à ce petit truc en plus que les autres n’ont pas, là il s’agit d’une reprise de “I’ve Got A Feeling” des Beatles.

L’album sort le 27 août 1991 en CD et Cassette chez Epic Records, un label de Sony. Même pas en vinyle parce qu’en 1991 chez Sony, les sorties vinyles étaient réservées aux artistes les plus bankables seulement et le label ne misait pas grand chose sur le succès de “Ten”. Il faudra donc attendre 3 ans pour que le disque soit enfin disponible en 33 tours. Enfin bref. 

Vous savez comment on a appelé cette rentrée 1991 ? Ce sont “les 60 jours qui ont changé le rock” parce que coup sur coup sont sortis des albums majeurs du rock. Je vous les donne dans l’ordre :

  1. Metallica – Metallica (The Black Album), August 12, 1991
  2. Pearl Jam – Ten, August 27, 1991
  3. Guns N’ Roses – Use Your Illusion I & II, September 17, 1991
  4. Red Hot Chilli Peppers – Blood Sugar Sex Magik, September 24, 1991
  5. Soundgarden – Badmotorfinger, September 24, 1991
  6. Nirvana – Nevermind, September 24, 1991

Bref t’avais intérêt à avoir économisé ton argent de poche ! Moi perso je piquais quelques CDs à mes grandes sœurs. 

La story de Pearl Jam

Manu : Tout commence au tout début des années 1990, à Seattle. Un tremblement de terre  – que dis-je, un tsunami- est sur le point de s’abattre sur la scène musicale US.

Olivia : Le Glam metal de la fin des 80’s règne en maître à la radio, avec Poison ou Mötley Crüe en fer de lance. Et NY et LA restent les deux épicentres de l’industrie. Mais quelque chose se prépare. Et c’est sale, très sale. Et je ne parle pas de leurs cheveux ! En quelques mois à peine, le jeune label Sub Pop devient le fleuron du nouvel underground. Des groupes comme Soundgarden, Green River, Melvins et ces trois inconnus du nom de Nirvana sont en train de renverser la table. Ce son, à la frontière du punk, du metal et du rock garage, s’appelle le grunge…

Et puis, il y a ce groupe aussi : Mother Love Bone, fondé par Jeff Ament, à la basse, et Stone Gossard, à la guitare. À la fin des années 80, Mother Love Bone a acquis une certaine notoriété dans la scène locale de Seattle. Leur musique est un mélange de rock alternatif et de hard rock, porté par la personnalité exubérante du chanteur, Andrew Wood.

On s’écoute un petit extrait de Shine, leur premier EP cinq titres, sorti en mars 1989 : 

INSERT — Chloe Dancer / Crown Of Thorns
https://www.youtube.com/watch?v=9ez5S0FzJog

Hélas Andrew Wood, le chanteur, meurt tragiquement d’une overdose d’héroïne, juste avant la sortie de leur premier album, en 1990.

C’est un terrible coup pour le groupe, profondément affecté par la perte de leur ami. Ils canalisent leur chagrin dans la musique, comme un hommage. Stone Gossard, en particulier, explore des sons plus lourds et plus sombres, influencés par des groupes comme Led Zeppelin et Black Sabbath. Mike McCready, un ami d’enfance de Gossard, les rejoint en tant que second guitariste. Ensemble, ils commencèrent à enregistrer des démos, sans chanteur. Pourtant, le Seattle du début des années 90 ne manque pas de musiciens. Gossard distribue les cassettes autour de lui, en espérant qu’elles finissent entre de bonnes mains.

Manu : Et c’est précisément ce qui va se passer car Jack Irons, l’ancien batteur des Red Hot Chili Peppers, récupère une démo…

Olivia : …et la fait passer à un de ses amis qui vit à San Diego, 1200 km plus loin. Improbable ? Tout à fait ! Eddie Vedder travaille alors de nuit dans une station-service. Son groupe vient de se séparer et Eddie est à deux doigts de raccrocher la guitare et de démarrer une carrière d’assistant manager à la pharmacie du coin.

Inspiré par les démos de Stone, il écrit des paroles sur les trois instrumentaux, “Alive”, “Once” et “Footsteps”. Il va créer ce qu’il décrira par la suite comme un « mini-opéra », intitulé Momma-Son. Il enregistre sa voix en quelques heures et renvoie la cassette à Seattle. Eddie Vedder fera le commentaire plus tard le commentaire suivant : 

« Cela a changé le cours de nos vies. Rien n’a plus été pareil. Ce sont les cinq meilleures heures que j’aie jamais passées ».

INSERT — “Once” demo
https://soundcloud.com/radiospades/pearl-jam-full-demo-once-alive-footsteps
 

Dans cette toute première version d’Alive, la voix profonde d’Eddie Vedder, chargée d’émotion, et ses paroles sombres et introspectives frappent au cœur Gossard et Ament.

Vedder se rend rapidement à Seattle pour rejoindre le groupe. Jeff Ament, le bassiste, comprend tout de suite que quelque chose est en train de se jouer :

« Dès qu’on a commencé à répéter et que Ed a commencé à chanter – c’est-à-dire moins d’une heure après qu’il soit arrivé à Seattle – je me suis dit : « Wow ! C’est un groupe que je pourrais écouter chez moi, sur ma chaîne stéréo. Ce qu’Eddie écrivait évoquait l’univers dans lequel Stone et moi nous vivions : on venait de perdre un ami, qui était victime d’une addiction diabolique. Et Eddie traduisait ce sentiment avec des mots. C’est comme quand tu lis un livre et que tu tombes sur un passage qui décrit exactement une chose que tu as ressentie toute ta vie »

McCready se souvient que Vedder est resté seul dans la salle après la répétition. Il va passer la nuit à écrire des paroles.

« Nous sommes arrivés le matin et une autre chanson était prête. Je n’avais jamais été dans une situation comme celle-là. Entre nous, ça avait immédiatement collé. »

Le groupe commence à se produire d’abord sous le nom de Mookie Blaylock, en hommage à leur joueur de basket NBA préféré. Les choses prennent bonne tournure et ils ont un petit succès dans la région. Et même un peu plus loin puisque le label Epic Records veut les signer. Mais la veille, ils ont un pressentiment : et si tout ça devenait quelque chose d’énorme ? Et si le basketteur éponyme leur faisait un procès…  Mookie Blaylock change donc de nom. Ainsi naît Pearl Jam.

Manu : Et vous savez d’où vient le nom Pearl Jam ? Vedder raconte que c’est un clin d’œil à sa grand-mère, prénommé “Pearl” qui confectionnait une confiture de peyotl incroyable, ces fameux cactus hallucinogènes. 

Quel mytho, cet Eddie ! Désolée mais la vérité est un peu plus banale : en fait le nom Pearl a été suggéré par Jeff Ament au cours d’une répétition. Peu de temps après, certains membres du groupe sont allés voir Neil Young en concert à New York. Ils admirent chez lui cette capacité à transformer chaque morceau en une longue improvisation… une jam en anglais ! Le voilà ce nouveau nom : Pearl Jam. 

Manu : 27 août 1991. Le premier opus de Pearl Jam sort. Il est baptisé « Ten », comme le numéro du maillot de basket de Mookie Blaylock. Bon bah apparemment ils voulaient vraiment lui rendre hommage. Allez on s’écoute un extrait de leur tout premier live à la TV. C’est au Saturday Night Live, présenté ce soir là par… Sharon Stone. 

INSERT — ALIVE Live SNL :
Alive (Saturday Night Live, 1992)

L’album est un mélange saisissant de rock, de grunge, de blues et de hard rock. Vedder explore les thèmes de la mort, la dépression, l’aliénation, et la recherche d’identité : Alive, par exemple, raconte l’histoire de son père biologique qui n’est en fait pas celui qui l’a élevé. Son vrai père, on lui a présenté comme  un ami de la famille. Vedder décrit ce sentiment complexe d’être « vivant » mais émotionnellement déconnecté.

Et petite parenthèse : on a déjà parlé de l’importance des mamans dans le rap des 90s. Je pense qu’il y a aussi une thèse à écrire sur les papas de rockeurs que l’on pense être leur papa mais, oh surprise : assieds-toi faut que je te parle, luke je ne suis pas trop trop ton père … bref, poursuivons.  

Manu : Aujourd’hui Ten est considéré comme l’un des meilleurs premiers albums de tous les temps et le manifeste de toute une génération, mais son succès va mettre un certain temps à arriver.

Et oui, parce qu’à sa sortie, il est largement ignoré par la presse musicale et ne se vend pas particulièrement bien. Rappelez-vous que nous sommes en 1991, et que c’est le rouleau compresseur Nirvana qui écrase tout sur son passage. Nevermind sort un mois plus tard et Pearl Jam passe un peu sous le radar. Mais c’est le bouche-à-oreille qui, lentement mais sûrement, transforme Ten en un phénomène culturel.

En 1992, après des mois de tournées, notamment en première partie des Red Hot Chili Peppers, le groupe commence à capter l’attention des médias. Et comme souvent dans l’histoire des 90s, MTV joue un rôle crucial en diffusant le clip de Jeremy, qui devient un hit instantané. Le message puissant de la chanson, soutenu par une vidéo sombre et obsédante, résonne profondément auprès d’un public jeune qui hurle sa frustration.

Manu : Un clip dont je suis sûr que tu vas nous reparler tout à l’heure, Fanny. Du coup il faut attendre 1 an pour que l’album grimpe à la deuxième place du Billboard, juste derrière Billy Ray Cyrus (le papa de Miley Cyrus) ! Et dans la presse, les critiques louent l’intensité émotionnelle de Vedder et la complexité des compositions du groupe.

Le magazine Rolling Stone décrit Ten comme un « album d’une profondeur émotionnelle et musicale rare ». Le groupe, plutôt discret, est désormais au sommet du mouvement grunge, aux côtés de Nirvana, Soundgarden et Alice in Chains. Le Big Four of Seattle, comme on aime à les appeler. Mais le timide Eddie Vedder commence à flipper. Il ne veut pas de cette notoriété et se méfie du star système. Kelly Curtis, le manager du groupe, raconte en 2001 :

“On a refusé des inaugurations, des émissions de télé spéciales, des tournées de stades, toutes les offres de merchandising auxquelles on peut penser. Un jour j’ai reçu un appel de Calvin Klein, qui voulait qu’Eddie apparaisse dans une pub. Mais on a refusé. J’étais hyper fier du groupe et de son statut.”

Manu : Et ça devient le délire : le disque va se vendre à plus de 13 millions d’exemplaires rien qu’aux États-Unis. Le raz-de-marée ! Le groupe underground de Seattle devient un groupe mainstream. 

INSERT — MONTAGE DOCU zapping TV

Mais déjà les premières voix de la critique s’élèvent. On leur reproche de surfer sur la vague grunge : le magazine britannique NME accuse Pearl Jam de « voler l’argent des jeunes naïfs. ». La presse ne cesse de les comparer à Nirvana. Et Kurt Cobain, lui-même (pardon Fanny) en remet une couche. Pour lui, Pearl Jam est le pionnier d’une fusion commerciale de rock alternatif et de cock rock » (à savoir : un rock valorisant la sexualité masculine sous une forme agressive). Aïe !

Je ne vous cache pas que cette petite phrase acide va déclencher une querelle largement mise en lumière et exagérée par les médias. Mais ce qu’il faut retenir c’est surtout cette tension centrale qui habite et hante la scène grunge, tiraillée entre l’intégrité artistique et le succès commercial. Cobain et Vedder finiront très vite par faire la paix, en se faisant un gros câlin dans les backstages des MTV Video Music Awards de 1992. Larmichette, cœur cœur avec les doigts. Vous irez voir la vidéo.

Manu : Dans une interview en 2011, Eddie revient sur le succès de Ten. Selon lui, il s’agissait surtout d’en sortir indemne.

“Je savais que la façon dont nous gérions cela n’était pas franchement habitée par la grâce ! C’était comme essayer de faire preuve de grâce dans un combat au fond d’une ruelle. Vous essayez juste d’en sortir vivant. Alors nous nous sommes rapprochés les uns des autres. Nous nous sommes raccrochés à la musique.” 

Avec Ten, Pearl Jam a non seulement réussi à capturer l’esprit de l’époque, mais il a également créé un album intemporel, qui traverse les époques sans perdre de sa pertinence. Ten n’est pas seulement une réussite musicale, c’est aussi une catharsis émotionnelle, pour le groupe comme pour ses fans.

Et l’histoire ne s’arrête pas là ! Ten va rester dans le classement Billboard pendant près de cinq ans, et devient le meilleur album rock jamais vendu, certifié treize fois disque de platine.

En trois décennies, Pearl Jam a vendu plus de 90 millions d’albums dans le monde. Ils sont considérés comme l’un des groupes les plus importants des années 1990. Et il aura fallu 7 saisons de Radio K7, la bande-son des nineties donc, pour que l’on daigne ENFIN se pencher sur leur cas ! Ça sent le lobby pro Nirvana, ça !

Aller pour conclure en beauté, je vous propose un petit bout de leur MTV Unplugged en 92, qu’ils ont littéralement déchiré :

INSERT — PORSH live unplugged
https://youtu.be/Jt4yhEdd0-s?feature=shared&t=254

Manu : C’était “Porsh” en session acoustique sur Radio K7. Je sais pas si vous l’avez vu ce MTV Unplugged, mais il est complètement dingue. C’est là où tu te rends compte que le groupe est capable de tout jouer, de sonner country ou heavy metal. 

Un truc marrant à noter c’est que la pause instrumentale pendant « Porch » est allongée pendant les concerts pour qu’Eddie Vedder puisse grimper sur l’échafaudage de la scène. Le mec en concert grimpe, escalade, se suspend à 15m de hauteur comme un singe. Et il fait ça à chaque fois, toujours plus haut, pendant que les autres membres se pissent dessus. Il y a une séquence qui est mémorable, vous irez voir sur internet au Pinkpop Festival de 1992, devant 60.000 personnes, on le voit sauter d’un mât de caméra de télévision directement dans la foule. Bref, ça tue.

Le making-of de "Ten"

M / Merci beaucoup Olivia pour cette story, c’est l’heure maintenant de filer en studio avec toi Greg. On va aller à Seattle dans le studio incontournable du mouvement grunge, le London Bridge studio.

Grégoire : Oui c’est un studio fondé par deux frères, les ingénieurs du son et producteurs Rick et Raj Parashar en 1985 et toujours en activité. En ce début des 90s c’est déjà un lieu bien connu de la scène musicale locale et des membres de Pearl Jam. Y sont passés Soundgarden, Alice in Chains ou encore Temple of the Dog, side project du chanteur de Soundgarden, le beau Chris Cornell et dans lequel on retrouve la colonne vertébrale de Pearl Jam, à savoir le guitariste Stone Gossard, le bassiste Jeff Ament, et même en guest un certain Eddie Vedder sur ce Hunger Strike, autant dire que ce premier et unique album éponyme ressemble à un tour de chauffe avant Ten qui sortira quelques mois plus tard

INSERT — HUNGER STRIKE

M / Pour TEN, les musiciens de Pearl Jam entrent en studio le 11 mars 1991 et l’enregistrement sera bouclé en à peine un mois

Oui c’est effectivement assez rapide, le groupe a déjà beaucoup de matériel avec les démos du duo Gossard / Ament sur lesquels Vedder a déjà écrit les paroles.

Il y a aussi une question de budget derrière ce temps d’enregistrement, le groupe est totalement inconnu à l’époque et personne dans l’industrie musicale ne mise sur un succès immédiat. Le budget de l’album est donc très modeste : 25 000 dollars, près de trois fois moins que le Nervermind de Nirvana qui ne coûtait déjà pas bien cher. Cependant, malgré ce budget limité, le groupe a bénéficié du fait que le producteur Rick Parashar était copropriétaire du London Bridge Studio, ce qui a probablement facilité l’accès à des équipements haut de gamme. Le studio lui-même était équipé d’une console Neve 8048, un choix classique des années 70 et 80, connu pour son caractère analogique chaleureux et sa profondeur sonore.

Dans cette interview Stone Gossard revient en détail sur cet enregistrement express et l’ambiance qui règne en studio 

INSERT —  ITV Stone Gossard 

“C’était un enregistrement très rapide et spontané. On avait presque toute la matière du disque avant d’entrer en studio. En une semaine, on avait déjà enregistré 10 chansons et puis encore une dizaine la semaine suivante. Pour certaines les parties instrumentales ont été écrites et arrangées, d’autres viennent de sessions d’improvisation réalisées avec tout le groupe juste avant qu’on entre en studio. C’est un album qui vient trois quatre mois après la formation du groupe donc il y a quelque de très brut et juvénile dans Ten, c’est exactement là où en était à ce moment-là”, 

La philosophie de Rick Parashar pour Ten c’est d’enregistrer live pour capturer la spontanéité du groupe mais sans renier les overdubs et et des ajouts de reverb et de delay pour créer un album quand même assez produit, une sorte de troisième voie entre une approche directe et des arrangements un peu plus élaborés. A ses côtés, l’ingénieur du son Dave Hillis était responsable des aspects techniques du projet. Le groupe est plutôt à l’aise en studio et les titres s’enchaînent, seul accroc la chanson Even Flow, le titre maudit de Ten, le groupe va faire des dizaines de prises (entre 50 et 70 selon des interviews) avant d’être satisfait, un vrai calvaire et voici le résultat…

INSERT — EVEN FLOW

M / Greg, on peut dire aussi que Ten c’est bien un album rock des nineties avec des guitares omniprésentes

Les guitares ont joué un rôle crucial dans l’identité sonore de Ten. Stone Gossard et Mike McCready ont utilisé des guitares Gibson Les Paul et Fender Stratocaster, deux modèles offrant des sonorités complémentaires. Les amplificateurs Marshall et Fender Twin Reverb ont contribué à ce son grunge signature, avec des distorsions épaisses mais bien définies. Les pédales de distorsion, comme la Boss DS-1, ont aussi été fréquemment utilisées pour ajouter de la rugosité et de la saturation aux pistes.

L’enregistrement des guitares a principalement été effectué à travers des micros Shure SM57 placés près des haut-parleurs des amplificateurs, capturant à la fois les nuances et l’agressivité du jeu. En outre, des microphones à condensateur comme le Neumann U87 ont été utilisés à une certaine distance pour capturer l’atmosphère et l’ambiance de la pièce.

Alors tu l’as dit Manu, c’est un album où les guitares jouent les premiers rôles et où le côté grunge s’estompe souvent derrière un hard rock assez classique,  Mike McCready cite notamment comme influence pour le solo d’Alive le groupe Kiss et son guitar hero Ace Frehley

INSERT — Solo Alive 3’39

Alors en fait c’est plus que de l’inspiration c’est carrément pompé de Kiss qui avait lui-même copié sur les Doors, on s’écoute Waiting for the sun des doors, dressed to kill de Kiss et enfin le solo de Alive

INSERT —  comparaison solo

Et sachez que si le solo a bien été enregistré en studio, le reste de l’instrumental c’est en fait la démo d’Alive qu’on entend sur l’album. Le groupe a été incapable de capter l’énergie de l’enregistrement originel en studio et a donc préféré garder la démo.

M/ Greg parle nous aussi de l’enregistrement de la voix d’Eddie Vedder, reconnaissable entre mille, c’est un peu la signature de Pearl Jam

Oui une voix de baryton puissante et chaleureuse, Vedder a enregistré la plupart de ses pistes vocales avec un microphone Shure SM7, un micro dynamique souvent utilisé dans les studios pour capter des voix rock, en raison de sa capacité à supporter des niveaux de pression sonore élevés tout en offrant une bonne définition.

Vedder a enregistré certaines parties vocales dans une cabine spécialement traitée pour l’isolement sonore, ce qui a permis de maintenir une proximité et une clarté dans les moments plus intimes. Cependant, certains des moments les plus puissants de l’album, comme les crescendos de « Alive » ou « Jeremy », ont été captés dans une pièce plus grande, permettant d’obtenir une impression de grandeur et d’expansion sonore.

INSERT — JEREMY

M/ Un mot maintenant sur le mix de Ten dont une partie a été réalisée en Angleterre !

Oui c’est au Ridge Farm Studios dans une petite ville du Sussex que l’ingénieur du son Tim Palmer a apporté en juin 1991 les derniers ajustements au son de l’album, ajoutant des effets et des couches sonores pour donner au disque sa profondeur et son ampleur caractéristiques. Plus inhabituel, il utilise un moulin à poivre et un extincteur pour des overdubs sur le titre OCEAN. 

En fait, il explique qu’il n’y avait aucun magasin de musique aux alentours et il a fait avec les moyens du bord pour obtenir l’effet désiré. J’ai réécouté le titre et j’ai réussi à identifier le moulin à poivre…

INSERT — Oceans 2’

Enfin, dernière étape le mastering avec l’un des piliers de l’industrie musicale, l’ingénieur du son Bob Ludwig. Mais vous le savez sans doute, Pearl Jam, comme parfois avec les premiers albums, va prendre ses distances avec le mix final de l’album, trop produit selon eux, pas assez fidèle à leur son, c’est pour cette raison que Pearl Jam a sorti une version remasterisée en 2009, avec un mix plus brut signé par Brendan O’Brien, qui a travaillé avec eux sur leurs albums suivants.

INSERT — Titre de la version 2009 

Manu : Alors il y a un truc dont tu n’as pas parlé, c’est l’affaire des batteurs

L'univers visuel de Pearl Jam

Manu : On va maintenant découvrir l’univers visuel de Pearl Jam et je crois que tu as une petite gueulante à passer, Fanny

Fanny : Gueulante le mot est peut-être un peu fort mais disons que je ressens une forme de déception, ouais même que ça me brise vraiment le cœur que la pochette de l’album Ten de Pearl Jam ne soit pas mieux réussie !

La pochette d’un album aussi culte, on voudrait pouvoir la contempler pendant des heures, avoir le poster au mur de sa chambre, on veut pouvoir en redessiner le logo. Là c’est pas vraiment le cas ! 

Déjà, pour paraphraser Cristina Cordula : « La colorimétrie, ça va pas du tout ma chérie ! »

Moi sur le CD que j’ai à la maison, je vois un fond rose fuchsia, le nom Pearl Jam écrit en blanc avec un effet de relief pas très heureux et un gros plan sur un ensemble de mains qui s’érigent en l’air. Une des mains arrive plus haut que les autres avec le majeur pointé vers le ciel, les autres essayent de l’atteindre vainement. On distingue une montre à un poignet, une ribambelle de bracelets à un autre. Je sais pas pourquoi mais ça me fait penser au film World War Z, dans lequel on voit une pyramide de zombies se marcher les uns sur les autres en pleine apocalypse.

Manu : Ouais tu vas un peu loin mais je vois l’idée ! Il faut déplier le livret comme un poster pour voir apparaître l’image complète…

Et là on comprend que ce ne sont pas des zombies en effet, mais les 5 membres du groupe qui sont photographiés, avec un mauvais éclairage qui les laisse dans la pénombre.

La photo des membres de Pearl Jam a été prise par un certain Lance Mercer, au moment de l’enregistrement de l’album. Jeff Ament, le bassiste, a participé activement à la conception de la pochette, en fabriquant les lettres géantes du mot Pearl Jam, découpées dans des panneaux de bois et placées devant le mur en brique qui sert de fond au photoshoot. Ament a dévoilé en interview quelle était l’idée de départ :

« Le concept original était d’être ensemble en tant que groupe et d’entrer dans le monde de la musique comme un vrai groupe… une sorte d’un pour tous et tous pour un »

Le message principal de cette pochette, comme on le devine, c’est l’union. Et pour le coup rétrospectivement je trouve ça touchant parce que Pearl Jam est un groupe encore actif trente-cinq ans après, un groupe qui n’a jamais splitté, qui a su traverser les âges, et les orages. C’est un groupe qui a su faire front avec une entente et une forme de soutien mutuel comme on en voit rarement dans l’industrie musicale.

Malheureusement en 1991 au moment de la conception de Ten, Pearl Jam n’a pas trop de marge de manœuvre et il y a des dissentions avec Sony au sujet de la direction artistique, comme le décrit Jeff Ament : 

Greg « La version de la pochette de Ten que le monde a connu était rose, alors qu’à l’origine elle devait être plus bordeaux et la photo du groupe était censée être en noir et blanc. »

C’est peut-être cela qui pêche finalement, ces mésententes internes qui se soldent par un concept pas parfaitement abouti, peut-être que ça aurait été mieux si Pearl Jam avait eu le mot final, ou peut-être pas, on saura jamais !

Manu : Rien n’est simple pour Pearl Jam au niveau des clips non plus, je crois…

Fanny : Non, c’est vrai. Tout commence bien pour le groupe qui sort en septembre 91 le clip d’Alive, quelques semaines avant la release de l’album Ten. Une captation live tournée par leur pote Josh Taft lors d’un concert à Seattle, ce même été.

Ça se complique ensuite avec le second clip tourné début 92 par le réalisateur Rocky Schenck, pour le titre Even Flow. Pour la faire courte, le batteur Dave Abbruzzese est blessé sur le tournage qui a lieu dans un zoo désaffecté à Los Angeles et le résultat final est un tel fiasco que Pearl Jam décide de ne jamais sortir la vidéo.  Le label Epic met pourtant la pression pour sortir quelque chose et se tient prêt à envoyer le clip de Schenck à MTV mais heureusement Pearl Jam est arrivé avec un plan B : une nouvelle captation live réalisée par Josh Taft sur laquelle ils synchronisent une version studio alternative d’Even Flow. Ouf, l’honneur est sauf et Pearl Jam arrive à défendre son image de bêtes de scène qui lui tient à cœur.

Manu : Les choses vont pourtant changer avec l’arrivée du troisième clip…

Fanny : En 91, Eddie Vedder fait la connaissance du photographe Chris Cuffaro et le recommande à Epic qui autorise Cuffaro à utiliser n’importe quelle chanson de l’album. Ce dernier choisit « Jeremy ». Seulement sur le moment, c’est pas du tout dans les plans d’Epic de sortir « Jeremy » comme single donc ils décident de ne pas financer le projet.

Chris Cuffaro ne se laisse pas abattre, il vend ses meubles, vend une partie de ses guitares et prend un prêt à la banque pour réunir les fonds lui-même. Sa vidéo autoproduite est bien tournée à Los Angeles puis finalisée, mais ni Epic ni MTV ne veulent la diffuser. Elle restera donc dans les oubliettes du rock… 

C’est là qu’arrive le coup de pute… il s’est passé quelques mois et entre temps Epic se dit qu’en fait c’est une bonne idée de sortir « Jeremy » comme single ! Et donc ils embauchent le réalisateur made in MTV Mark Pellington pour un nouveau tournage, dans lequel ils investissent beaucoup d’argent cette fois. C’est censé être le premier clip de Pearl Jam qui ne soit pas une captation de concert, donc l’ambition est grande.

La chanson en soi est assez dure et intense puisque Eddie l’a écrite en se basant sur un fait divers survenu en janvier 91 : le suicide par arme à feu de Jeremy Wade Delle, un adolescent de 15 ans, sous le regard médusé de sa prof et de sa classe de 30 élèves à Richardson, au Texas.

Le clip de Pellington est vraiment très élaboré sur le plan technique, on a un montage rapide et des juxtapositions d’images fixes, de graphiques et textes, par-dessus des séquences d’action en direct, ce qui crée un effet de collage. Il y a des séquences dans lesquelles on voit le groupe jouer et Eddie Vedder chanter qui ont été tournées dans une usine à Kings Cross à Londres, plus des séquences mettant en scène le jeune adolescent et tout ce qu’il a vécu : les brimades, les dysfonctionnements familiaux jusqu’à sa fin tragique.

Dans le montage original visible sur la chaîne YouTube de Pearl Jam, à la fin on voit Jeremy mettre une arme dans sa bouche, puis des splashs de sang éclaboussé sur les fringues de ses camarades de classe.

Craignant un peu les réactions des téléspectateurs, MTV a diffusé une version alternative dans laquelle on ne voit pas l’arme à feu. Cette censure a eu l’effet inverse puisque le montage télé pouvait laisser penser que Jeremy tirait sur ses camarades, plutôt que se tuer lui.

Manu : La vidéo, qui est martelée à la télé, elle remporte un énorme succès et contribue à catapulter Pearl Jam vers la célébrité.

INSERT — Jeremy

Fanny : Oui, en 1993, Jeremy reçoit cinq nominations aux MTV Music Awards et remporte 4 trophées : « Vidéo de l’année », « Meilleure vidéo de groupe », « Meilleure vidéo Métal/hard rock » et « Meilleure réalisation ».

Ce succès écrasant et la controverse autour du clip dégoûte Pearl Jam pendant de longues années. Fin 92, ils sortent tout de même le quatrième et dernier clip de l’album Ten : une vidéo tournée à Hawaï par Josh Taft pour le single « Oceans » en direction des marchés européens et hors US uniquement, parce qu’ils jugent qu’ils sont déjà trop connus aux US et n’ont pas besoin de publicité supplémentaire.

Après ça c’est le blackout pendant 6 ans où malgré les sorties de 3 autres albums, ils ne tournent aucune vidéo. En 98 ils reviennent de manière détournée avec un petit film  d’animation dans lequel ils n’apparaissent pas, pour le morceau « Do the Evolution » sur leur 5ème album « Yield ».

Il faudra attendre 2002, soit 10 ans après la sortie du clip de Jeremy, pour revoir à nouveau Pearl Jam en chair et en os dans le clip du single « I Am Mine » sur leur 7ème album « Riot Act ».

C’est un cas assez unique dans l’industrie musicale, d’avoir un groupe aussi intègre qui dit « on aime pas être obligés de sortir des vidéos, on aime pas les tournages, on aime pas que l’image influence l’interprétation qu’on peut avoir de la musique donc on ne tourne pas de clips, à moins qu’on en ait vraiment envie ». Franchement bravo les mecs !

C’est un vrai acte de résistance, et ça c’est rare !

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “