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Buena Vista Social Club “Buena Vista Social Club”

(1997)

EN QUELQUES MOTS

Dans cet épisode on va vous parler d’un boys band de 4 papys cubains ! Cumpay Segundo, Eliades Ochoa, Rubén González et Ibrahim Ferrer. A la fin des années 90s, le monde entier découvre le Buena Vista Social Club et se passionne tout à coup pour la musique cubaine. Il faut dire que le célèbre film documentaire de Wim Wenders y est pour quelque chose.

Si leur musique s’est répandue dans le monde entier, c’est d’abord grâce à un gros fan de musiques, Nick Gold, et au bluesman Ry Cooder, qui décide un jour de réaliser un rêve : réunir d’authentiques musiciens cubains, des légendes oubliées pour produire un putain d’album !

Ce disque, paru en 1997, pourrait bien être l’album le plus important de la musique cubaine de la fin du 20e siècle, et à coup sûr celui qui a permis à ses membres de devenir mondialement reconnus.

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Retour en 1997

Voilà pour les 14 morceaux de “Buena Vista Social Club”. C’est donc le seul et unique album du Buena Vista. Il sort le 16 Septembre 1997 en CD et vinyle sur un label britannique, World Circuit, spécialisé dans la musique cubaine et ouest-africaine, fondé par Nick Gold.

Les 90s c’est aussi l’explosion de la world music, ce terme un peu paresseux et un carrément fourre-tout censé ouvrir nos oreilles à un nouveau monde musical. Je pense aux tubes des l’été “Tic Tic Tac” de Carrapicho, “Yeha noha” de Indian Sacred Spirit, “Seven seconds” de Youssou N’dour & Neneh Cherry, ou encore à Deep Forest, la musique de la pub Ushuaïa qu’Olivia chante le dimanche matin sous la douche.

Mais cet exotisme affiché va finir par créer une telle distance que David Byrne s’offrira en 99 une tribune dans le New York Times pour dénoncer “cette manière pas très subtile de réaffirmer l’hégémonie de la culture pop occidentale. Qui ghettoïse la plupart des musiques du monde.”

La story du Buena Vista Social Club

Manu : Quand on prononce le nom du BVSC, on pense tout de suite aux premières mesures de Chan, Chan…

Jamais Compay Segundo, son auteur, n’aurait imaginé que ce morceau, composé il y a plus de trente ans et inspiré par un conte pour enfants, ferait un jour le tour du monde. Et encore moins que celui-ci lui permettrait de voyager hors de Cuba et de jouer dans la salle mythique du Carnegie Hall de NY !

INSERT — Chan Chan live @ Carnegie Hall

Mais revenons un peu sur cette histoire incroyable ! Comme tous les miracles, celui-ci a surgi de manière tout à fait imprévisible. En tout cas, c’est la preuve que parfois quand les choses ne se passent pas exactement comme elles devraient et bien c’est peut-être même encore mieux ! Personne ne pouvait prévoir que Buena Vista Social Club deviendrait un phénomène mondial, popularisant l’incroyable patrimoine musical de Cuba.

A l’origine c’est l’Anglais Nick Gold, patron du label World Circuit qui avait un projet spécial à la Havane : réunir des musiciens cubains et maliens pour enregistrer un disque. World Circuit avait déjà sorti en 1993 un album au succès inespéré : Cet album, c’est Talking Timbuktu une collaboration inédite entre Ali Farka Touré et Ry Cooder
On écoute un extrait de Bonde :

INSERT — Blonde

Manu : Ry Cooder, tiens, tiens, ça me dit quelque chose… Ry Cooder et Nick Gold se connaissent donc depuis longtemps !

Oui et Nick Gold savait que ce projet d’amener à Cuba des musiciens du Mali et de les faire enregistrer avec des musiciens de l’île séduirait Ry… qui lui répond dans l’heure que bien sûr, il sera de la partie.

Ry Cooder, pour vous le présenter rapidement, c’est un musicien et producteur américain. Il est considéré par le magazine Rolling Stone comme l’un des dix meilleurs guitaristes au monde ! On est sur du gros gros niveau !

Au milieu des années 70 déjà, il avait fait son premier voyage à Cuba pour s’initier au Laoud, un luth à 12 cordes très particulier dont on joue sur l’île. Mais depuis, Ry n’avait jamais pu revenir à la Havane et c’était un vrai regret. Dans le film de Wim Wenders, il évoque aussi une cassette de musique cubaine qu’il écoute et qui le hante depuis des années.

Nick et Ry arrivent donc à Cuba. Ils ont réservé les studios mythiques de la EGREM pour deux semaines et ils attendent les musiciens maliens. Mais rien ne se passe comme prévu : les Maliens n’ont jamais obtenu le visa qu’ils attendaient pour voyager. Les services postaux du Mali ont réussi à perdre leur passeports !

L’ironie de l’histoire, c’est que plus tard, ils se rendront compte qu’ils n’avaient en fait pas besoin de visa pour voyager à Cuba !

Manu : Ry Cooder et Nick Gold se retrouvent donc à Cuba avec un projet d’album qui vient de capoter, ils ne savent plus quoi faire… Moi perso j’aurais filé boire un rhum à La Havane et faire la tournée des bars pendant 15 jours !

Alors, oui, c’est peut-être ce qui s’est passé au début mais l’histoire ne le dit pas…

Un peu démunis, ils se laissent guidés par leur instinct et écoutent toutes les suggestions autour d’eux.

Notamment celles du musicien cubain Juan de Marcos Gonzalez qui a un grand projet depuis plusieurs années dans ses tiroirs. Il s’est fixé une mission : préserver des styles cubains anciens tombés en désuétude, ces musiques traditionnelles qui ne sont plus jouées et que personne ne connaît plus. Il souhaite les enregistrer pour que quelque chose reste de cette époque et de cette musique – qui sans ça, aurait disparu.

Juan de Marcos Gonzalez n’aura pas trop de mal à convaincre Ry Cooder, qui garde toujours en mémoire cette fameuse cassette qu’il avait ramenée de Cuba dans les années 70.

Commence alors une sorte de jeu de piste pour retrouver la trace de certains de ces vieux musiciens. Et notamment ceux du Buena Vista Social Club.

Manu : Mais alors c’est quoi le BVSC, au départ ?

Olivia : En fait, au départ c’est un club privé réservé aux gens de couleurs, ouvert au début des années 30 dans la banlieue de la Havane. C’était une sorte de maison associative où l’on pouvait se rassembler, socialiser, partager et s’amuser. Le point fort de ces fameux Clubs, c’était l’interaction très particulière qu’il y avait entre les orchestres et le public.

C’était vraiment des laboratoires musicaux, des lieux d’expérimentation et d’improvisation. Le BV était, lui, très populaire, en raison aussi de son emplacement : les gens qui ne pouvaient pas entrer dans le club parce qu’il était complet se garaient à l’extérieur et écoutaient leurs groupes préférés depuis leur voiture.

Pour se replonger dans l’ambiance je vous propose d’écouter un titre d’Arsenio Rodriguez, c’est le père fondateur du mamba et de la salsa.

INSERT — Dundunbanza – Arsenio Rodriguez

Mais après la révolution cubaine, en 1959, le gouvernement communiste fait fermer le club. Les musiciens se sont retrouvés sans boulot du jour au lendemain. Et petit à petit, on a fini par les oublier, eux et leur musique.

Manu : Jusqu’au jour où Nick Gold, Ry Cooder et Juan de Marcos Gonzalez commencent à réunir un casting improbable de vieux musiciens des années 40 et 50, des papys tombés dans l’oubli

Oui, alors d’abord on a Ruben Gonzales, pianiste de 77 ans, qui souffre d’arthrite et qui n’a pas joué depuis des décennies parce que son piano a été détruit par les termites.

Et ensuite Ibrahim Ferrer, chanteur à la voix de velours, qui est devenu cireur de chaussures dans la rue et qui ne veut plus jamais rien enregistrer, un peu dégouté par ses expériences passées.

Ry Cooder est subjugué par ces musiciens. Pour lui, Ibrahim Ferrer c’est le Nat King Cole cubain et Ruben Gonzales, c’est tout simplement le meilleur pianiste qu’il ai jamais entendu de sa vie. Il n’en revient pas !

Ry Cooder insiste pour faire venir Compay Segundo, la star du son cubain, alors âgé de 89 ans et enfin la chanteuse et danseuse Omara Portuondo.

Si certains, comme Omara Portuondo et Compay Segundo, ont déjà joué ensemble, d’autres ne se sont jamais croisés. Cet ensemble disparate va pourtant faire l’histoire, ressuscitant des musiques tombées dans l’oubli depuis leur âge d’or dans les années 50 : le son, le cha cha cha, le boléro…

Aucun d’entre eux n’avait la moindre idée que les enregistrements qu’ils allaient produire changeraient la vie de nombreuses personnes, y compris la leur, et changeraient à jamais l’histoire de la musique cubaine.

Manu : Quand l’album sort, en septembre 97, ce que l’on appelle la world music est considéré comme une niche dans l’industrie. Ry Cooder mise sur une vente de 10 000 exemplaires. Mais, en Europe, la musique – et l’histoire du groupe – connaît immédiatement le succès. Les ventes de l’album s’envolent !

Aux États-Unis, le disque est totalement ignoré par la radio hispanophone. Mais Nick Gold met intelligemment l’album sur le marché des amateurs de musique blancs qui ont un haut niveau d’éducation. Via le bouche-à-oreille, il est aussi découvert par les Américains blancs de la côte Est. L’album se vend ainsi cette première année à un million et demi d’exemplaires dans le monde. Détail intéressant : c’est souvent aussi le premier album latino que les amateurs de rock achètent. Le nom de Cooder en tant que producteur sur la pochette fait son petit effet…

Et en février 1998, victoire : le disque remporte un Grammy Awards, c’est un énorme coup de projecteur sur le groupe. Cette récompense agit comme un déclencheur : une année après l’enregistrement de l’album, les musiciens partent en tournée en Europe et aux USA. Pour certains, c’est la première fois qu’ils quittent Cuba. Et inversement, c’est la première fois que le monde les découvre. Il faut dire que le blocus imposé par le gouvernement américain a pendant des décennies refusé aux musiciens cubains l’accès aux marchés internationaux.

Le Buena Vista Social Club ne se produira au complet, soit 15 musiciens sur scène, qu’en trois occasions, en 1998. Les deux premières à Amsterdam, les 11 et 12 avril, et la dernière au Carnegie Hall de New York, le 1er juillet. Un concert entré dans la légende pour sa charge symbolique et émotionnelle.

INSERT — Film Chan Chan final
1’36”45

Manu : Alors voilà l’histoire pourrait s’arrêter là mais non ! Ce n’est qu’un an plus tard que le succès devient vraiment phénoménal : quand le film du même nom Buena Vista Social Club sort dans les salles. Et ouais parce que ça fait un petit moment maintenant que Ry Cooder se dit que l’histoire incroyable des papys cubains est taillée pour le cinéma…

Il pense à son ami Wim Wenders, pour qui il a composé la musique de Paris, Texas en 1984 et de The End of Violence en 1997.

Et c’est ainsi qu’au printemps 1998, les deux vieux copains arrivent à Cuba pour l’enregistrement cette fois de l’album solo d’Ibrahim Ferrer. Le tournage n’est pas simple : les musiciens ont du mal à se faire à la présence des caméras dans leur studio de répétition et d’enregistrement, estimant qu’elles les distraient trop pour qu’ils puissent jouer correctement. Malgré tout, Wenders quitte Cuba avec plus de cinquante heures de rush. Il décide d’ajouter des images du concert du Buena Vista Social Club au Carnegie Hall ainsi au Théâtre royal Carré à Amsterdam. Il ne reste plus alors qu’à monter le film.
Après avoir fait de ce boys band de papys des stars internationales de la musique, le cinéma en fera des vedettes sur grand écran ! Et le film sera nommé pour l’Oscar du meilleur film documentaire, en 2000.

De son côté le disque va connaître un second souffle et va s’écouler plus de 12 millions d’exemplaires à travers le monde. Le groupe ira même jusqu’à se produire au Vatican devant Jean-Paul II qui paraît-il était leur plus grand fan 🙂

Ce disque du Buena Vista Social Club a redonné à la musique cubaine la place qu’elle avait perdue sur la scène internationale, dans l’esprit et le cœur des gens. Son impact, à l’échelle mondiale, a été monumental. Comme l’a dit Ry Cooder, ils étaient «les derniers des meilleurs », la fin d’une comète ». Une occasion rêvée :

“Si votre musique est bonne, les gens l’aimeront forcément ; mais uniquement à condition que vous arriviez à leur faire écouter. L’histoire que les médias ont raconté, celle de ces musiciens géniaux sortis de l’oubli, a rendu les gens curieux. Qui aurait pu parier que les papys cubains octogénaires deviendraient à ce point si populaires ? Personne. Ni moi, ni eux. mais la morale de cette histoire c’est que si quelque chose est vraiment bon, il peut toujours trouver son public.”

Les succès du disque et du film vont profondément changer l’image de Cuba, que le monde avait un peu oublié à cause de l’embargo et des mesures du gouvernement. Les participants au projet graveront tour à tour des albums solo qui les verront triompher aux quatre coins du monde. Ils continueront à tourner pendant plusieurs années.

Dans le film que Wim Wenders, on peut entendre Ibrahim Ferrer demander à Dieu quelques années supplémentaires pour « profiter ».Ferrer sera entendu et savoura des moments qu’il n’aurait jamais pensé vivre, telle que la nuit qui suivit le triomphe au Carnegie Hall passée à rouler dans New York à bord d’une limousine en sirotant du champagne.

Le making-of de "Buena Vista Social Club"

Manu : Allez on va parler maintenant de l’enregistrement à proprement parlé de ce disque culte des 90’s, un enregistrement qui s’est déroulé Grégoire dans des studios historiques de la Havane

Oui ces studios, ce sont les studios Egrem qui sont à la fois un lieu d’enregistrement et une entreprise d’édition musicale nationalisée en 1964 dans la foulée de la révolution cubaine lorsque toutes les maisons de disques ont été regroupées en une seule entité. Ainsi, Egrem est longtemps resté le seul label de l’île et représentait encore au milieu des années 2010 plus de 90 % du marché. Autant vous dire que tous les grands musiciens sont passés par ces studios mythiques. Sans surprise, c’est donc à Egrem et plus précisément dans les salles Areito 101 et 102 que nos pays cubains vont reprendre du service.

Certains n’ont pas mis les pieds en studios depuis des années comme le chanteur Ibrahim Ferrer, devenu cireur de chaussures. Pourtant, dès le premier jour d’enregistrement, ce dernier fait preuve d’une assurance et d’une aisance à toute épreuve et amène dans ses bagages, comme tous ses compères, ce répertoire tombé dans l’oubli après avoir connu son heure de gloire dans les années 40 lorsque le « latin jazz » était créé à New York par les immigrés cubains et que tous les night clubs ne juraient plus que par le mambo et le cha cha cha. C’est aussi la grande époque du boléro cubain, exemple avec la chanson dos gardenias popularisé à la fin des années 40 par le chanteur Daniel Santos. On écoute d’abord la version de 1948 puis celle d’Ibrahim Ferrer qui vous allez l’entendre est beaucoup langoureuse et romantique…

insert DOS GARDENIAS

Manu : Greg, on va s’arrêter peut-être une minute sur le lexique de la musique cubaine, tu as parlé de « boléro » mais en fait il y a plein de styles musicaux dans cet album…

Oui avec Buena Vista social Club, on explore une grande variété de style, Cuba c’est un carrefour culturel entre les musiques espagnoles du XIXème, les rythmes africains ou encore le jazz. Dans cet album, on retrouve on l’a dit du boléro mais aussi du danzon ou Contradanza, version créolisée de la contredanse européenne, on peut aussi citer le guajiara, ou chanson paysanne dont Chan chan de Compay Segundo est l’exemple le plus célèbre, on peut aussi citer le filin’ qui vient directement de l’anglais « feeling », et qui mélange les styles traditionnelles avec le jazz américain. C’est extrêmement riche et c’est ce mélange qui fascine le guitariste Ry Cooder, grand passionné de musique folklorique et traditionnelle, interrogé ici à la télévision américaine en 1999.

2 ITV Ry Cooder “C’est un mélange de musique de danse européenne du 19ème siècle associé à des rythmiques africaines. Et ces musiciens cubains combinent ces deux influences musicales d’une manière incroyable. Non seulement ils interprètent des chansons magnifiques et moi j’adore les belles chansons mais ils le font avec cette grâce, presque mystérieuse… la manière dont il danse, dont il bouge dont ils se comportent les uns avec les autres, c’est quelque chose de très marquant”

 

Manu : Greg justement comment Ry Cooder va s’y prendre pour capter et restituer cette “grâce” dont il parle

Alors il faut imaginer le studio Egrem un peu comme un laboratoire où tous les membres du Buena Vista, un peu chacun dans leur coin, vont commencer à jouer leur répertoire. Ry Cooder lui laisse traîner un enregistreur et se balade de petits groupes en petits groupes pour sélectionner les titres qui vont figurer sur l’album.

Ensuite l’idée est d’enregistrer sans même que les musiciens s’en rendent compte. Ry Cooder et l’ingénieur du son, Jerry Boys, connu notamment pour son travail avec Pink Floyd, REM ou encore Ali Farka Touré laisse beaucoup tourner les bandes pour un résultat le plus naturel possible.

Il faut dire qu’ils sont bien aidés par le talent et la grâce de ces musiciens hors du commun, à commencer par Compay Segundo, le roi de l’armonico, une guitare traditionnelle à 7 cordes, qui par sa connaissance encyclopédique du répertoire cubain fait office de leader naturel tandis que le chef d’orchestre Juan de Marcos Gonzalez en est le leader technique.

Parmi les musiciens qui sortent du lot, on peut aussi aussi citer l’incroyable bassiste Orlando « Cachaito » López et que dire du pianiste Ruben Gonzalez, “le croisement cubain entre Thelonious Monk et Félix le Chat”, selon les mots Ry Cooder et que l’on entend ici sur le morceau instrumental, Buena Vista Social Club

INSERT Buena Vista piano solo

Manu : Greg, tu nous a parlé de l’ambiance en studio mais concrètement comment l’album est enregistré

En fait, Ry Cooder et Jerry Boyz vont littéralement tomber amoureux du studio Egrem, ce plafond très haut, de grands panneaux en bois, une acoustique merveilleuse que le duo va restituer en plaçant simplement deux micros d’ambiance, le plus près du plafond, à presque six mètres de hauteur. C’est peu intrusif pour les musiciens et cela donne à l’auditeur l’impression d’être au milieu de la pièce. une idée géniale, selon Nick Gold le producteur, même son de cloche du côté de Juan de Marcos Gonzalez, le directeur musical du Buena Vista interrogés ici dans le making of du documentaire de Wim Wenders…

Insert ITV GOLD

MANU : A l’époque, les Cubains séparaient tous les instruments et réalisaient des prises de son de proximité autant que possible. Donc l’idée d’enregistrer avec des micros d’ambiance était très inhabituelle. Dans les années 50, on aurait enregistré de cette manière

“Pour l’auditeur c’est comme se retrouver dans un night club de l’époque. On est chez soi mais avec l’impression que tous ces vieux musiciens incroyables sont présents dans la pièce et chantent pour vous pendant que vous siroter un verre ou fumer un bon cigare”

Insert – Enchaînement Candela

On vient d’écouter un extrait du titre Candela, enregistré en live comme le reste de l’album grâce à ces micros d’ambiance perchés en hauteur. Il y aura tout de même quelques prises de son en proximité (close mic) : les voix évidemment, difficile de faire autrement mais aussi quelques instruments seront réenregistrés de cette manière quand la prise d’ambiance n’est pas suffisante à restituer le son avec clarté. Et au final, la magie opère en un rien de temps. En seulement six jours, l’album du Buena Vista Social Club est mis en boîte avec le résultat que l’on connaît, ces basses profondes et riches, cet équilibre naturel entre les différentes familles de guitares et les cuivres et ce sens de l’espace dont on a parlé, une alchimie quasiment miraculeuse pour ce disque lumineux qui a œuvré comme aucun autre à la préservation du patrimoine musical de Cuba.

Insert – Veinte anos

 

L'univers visuel du Buena Vista Social Club

Manu : Merci Greg pour ce petit détour en studio. C’est marrant y’a un des musiciens dont tu ne parles pas, un petit stagiaire aux percussions, un certain Joachim Cooder. J’sais pas vous mais “Cooder” ça me dit quelque chose…

Le mec il a 18 ans, il vient faire son malin à Cuba, qui est juste La Mecque des percussions, avec un udu, cette percu africaine qui fait “gloump gloump”. Alors du coup tu le vois de temps en temps poper comme ça et faire des sons bizarres. Pour remplir une case quoi.

Allez, je crois qu’il serait temps maintenant de prendre ce disque et de regarder un peu de plus près cet objet. C’est un joli étui en carton qui renferme un CD et un joli livret bien épais avec pour pochette cette photo devenue ultra célèbre.

Fanny : Nous sommes à La Havane en 1996, un homme marche seul au bord du trottoir, le visage baissé et une cigarette pendue aux lèvres. Il porte une casquette gavroche claire sur la tête, une chemise à rayures oranges et un pantalon marron. On devine à son visage buriné qu’il est vieux. Ça pourrait être un cubain parmi cent autres. Pourtant cet homme n’est pas n’importe quel homme, c’est Ibrahim Ferrer, le phénix qui s’apprête à renaître de ses cendres.
Il semble figé dans un espace temps qui n’est propre qu’à ce pays. Parce qu’on le sait tous, au début des années 60 un embargo commercial et diplomatique est décrété par les Etats-Unis sur fond de guerre froide. Cuba connaît soixante années difficiles durant lesquelles il est très compliqué d’importer des biens sur l’île. C’est le cas notamment du parc automobile, composé soit de voitures américaines importées avant l’arrivée au pouvoir de Fidel Castro, soit de voitures russes des années 70 et 80. Il est courant dans les rues de la Havane de voir de somptueuses vieilles voitures, rafistolées décennies après décennies, puisqu’il est juste impossible d’en acheter de nouvelles.

Sur la pochette de l’album du Buena Vista Social Club, on aperçoit dans la partie droite de la photo plusieurs de ces voitures anciennes garées dans la pénombre.

On aperçoit aussi au fond tout un tas d’autres passants à pied ou en mobylette. Le cadrage de la photo met en valeur un jeu de perspective dans les règles de l’art. On a un point de fuite quasi pile au centre de l’image, renforcé par la lumière très tranchée du milieu de journée. La chaussée au centre et la cime des immeubles sont baignés de soleil, tandis que les façades et trottoirs de chaque côté sont pleinement dans la pénombre.
Et au milieu de ce clair obscur à la limite de l’abstraction, l’œil s’arrête sur Ibrahim Ferrer dont la silhouette se détache au premier plan.

Cette photo en couleur de Susan Titelman immortalise un instant de vie spontané, un fragment du réel cubain et sans s’en rendre compte elle capte toute l’âme de la ville.

La photo a été prise en 1996 donc, le deuxième jour d’enregistrement de l’album du Buena Vista Social Club, juste en bas du studio Egrem avant qu’Ibrahim ne franchisse la porte. La veille Juan de Marco était venu le chercher chez lui alors qu’il était en train de cirer des chaussures. Il lui avait dit “suis-moi tout de suite !”. Pas le temps de se laver, pas le temps de se changer, tout de suite. Ibrahim s’était alors pointé chez Egrem tout pouilleux, le pantalon plein de cirage. Le lendemain par contre, c’est avec de belles chaussures blanches et une chemise bien repassée que Susan Titelman, l’épouse de Ry Cooder, va le photographier 🙂 Il ne le sait pas encore mais le destin est en marche !

Manu : Wow, c’est trop bien d’avoir les backstages ! Il y a d’autres photos de Titelman dans l’album ?

Oui, au dos on a une autre photo montrant une de ces fameuses voitures anciennes en train de tourner à l’angle d’une rue. L’image est floue, prise sur le vif, très vivante. ça pourrait presque être le screenshot d’une vidéo, un extrait du documentaire.

A l’intérieur de l’album, selon l’édition du CD que vous avez à la maison, vous trouverez peut-être un livret très fournis de presque 50 pages qui regroupe les paroles des chansons, des notes explicatives sur leur origine historique et leurs interprètes, tous les crédits liés aux musiciens et de nombreuses photos en noir et blanc qui montrent les coulisses de l’enregistrement. Compay Segundo, Ry Cooder et son fils Joachim, Eliades Ochoa… ils y sont tous !

Manu : Ce qui est beau sur ces images mais aussi dans le documentaire c’est la joie communicative qu’ils dégagent tous, les mecs vivent leur meilleure vie !

Oui, je pense que c’est assez bien expliqué dans le docu de Wim Wenders, cette sensation qu’ils ont eue de faire partie d’un projet unique, le genre de moment de grâce qui ne t’arrive qu’une seule fois dans la vie. Pourquoi ça arrivait à ce moment ? Pourquoi en 1996 alors qu’ils étaient pour la plupart âgés de 80, 90 ans ?

Compay Segundo dit cette chose magnifique qui m’a beaucoup touchée, il dit « Les fleurs de la vie tôt ou tard finissent par arriver à toi. ». Ibrahim Ferrer fait écho à cela, un peu plus tard en déclarant « Mais pourquoi maintenant ? Alors que ma voix est éraillée et que j’arrive à peine à marcher ? C’est maintenant que ma carrière va s’envoler ? ».

C’est hyper émouvant. Parce que justement en 1996 avec l’album, puis en 98 avec le documentaire, ils pressentent qu’ils participent à un projet extraordinaire mais ils n’ont pas forcément conscience d’à quel point leur vie va basculer.

Ça, la suite, on la découvre dans le documentaire « BVSC Adios » de Lucy Walker sorti en 2017. Ce docu là, je l’ai adoré. Peut-être encore plus que le Wim Wenders, parce qu’il est mieux produit, il est plus complet. On y voit des images d’archive des années 50 et 60 pour aider à retracer la carrière des uns et des autres dans leur jeunesse. On a une dimension de fresque historique qui est encore plus poussée, avec le contexte politique qui est bien expliqué. Là où chez Wenders on a un docu un peu brut avec des images au camescope qui sont maintenant très datées, là on est dans un docu digne d’arte ou de la BBC. Enfin j’dis ça pour celles et ceux qui aiment les docu sur la musique !

Et puis ce qu’on avait aimé chez Wim Wenders, découvrir toutes ces personnalités attachantes, c’est un plaisir de les retrouver à nouveau, d’apprendre quel a été leur chemin après 98 jusqu’au décès des figures les plus emblématiques au début des années 2000.

Manu : Et tu peux nous résumer ce qui s’est passé pour eux alors ?

En 1998, il y a le premier concert qui réunit tous les membres pour la première fois au Théâtre royal Carré d’Amsterdam, suivi de plusieurs concerts au Carnegie Hall de New York. Ça on le voit dans le docu de Wenders, la découverte des USA, le choc culturel que ça représente. Très rapidement ensuite, les principaux musiciens Ibrahim Ferrer, Omara Portuondo, Compay Segundo, Eliades Ochoa, et Ruben Gonzalez enregistrent chacun des albums solo.

En 1999, ils se retrouvent sur le projet Afro-Cuban All Stars de Juan de Marco, intitulé « Distinto, Diferente ».

Dans un genre différent, en 2001, Ibrahim Ferrer participe au premier album de Gorillaz, le temps d’un titre au groove très latino, forcément :

Insert : Gorillaz Feat. Ibrahim Ferrer – Latin Simone (Que Pasa Contigo)

Le morceau qu’on vient d’écouter s’appelle Latin Simon (¿Qué Pasa Contigo?) pour celles et ceux qui voudraient le retrouver.

Je reviens à mes moutons. A partir des années 2000, les musiciens les plus âgés, fatigués, ne peuvent plus participer à toutes les tournées et le groupe commence à embaucher de nouvelles recrues plus jeunes pour assurer une forme de continuité. Cela n’empêche pas Compay Segundo de se produire jusqu’en 2003, dans le docu « Adios » on a des images de son dernier concert d’ailleurs, seulement 2 semaines avant sa mort.

Idem pour Ibrahim Ferrer qui se produit encore sur scène au festival Jazz in Marciac à peine 4 jours avant sa mort. Il est malade, en fin de course, à tel point qu’on doit lui donner de l’oxygène tous les 2 morceaux pour qu’il arrive à terminer son set. Et pourtant, c’est lui qui insiste pour le faire, il ne veut pas annuler.

Ce qu’ils ont créé, tous ensemble, perdure et rayonne à travers le temps. En 2015, une dernière grande tournée emmène les membres encore vivants de l’Orquesta Buena Vista Social Club jusqu’en Europe, en Asie, en Australie… dans le docu ‘Adios’ on les voit donner à manger aux kangourous, l’image est improbable tant on sait l’isolement de Cuba pendant des années.

La tournée passe aussi par les Etats-Unis, alors présidée par Barack Obama, qui est le premier président américain depuis la guerre froide à rétablir des relations diplomatiques avec Cuba. Alors pour marquer le coup, il invite le Buena Vista Social Club à se produire à la Maison Blanche. L’événement est historique, c’est la première fois depuis 50 ans qu’un groupe de musique cubaine joue là-bas.

Obama déclare dans son speech :

« Lorsque le documentaire sur le Buena Vista Social Club est sorti, autour de 1998, j’ai acheté le CD. Pour ceux d’entre vous qui sont trop jeunes pour s’en souvenir, c’était ce truc rond qu’on devait glisser dans un appareil ! 🙂 J’espère que les musiciens vont apprécier leur séjour. Et j’espère que j’aurai autant d’allure qu’eux dans quelques années ! C’est merveilleux de vous avoir ici. »

Voilà je trouve que le symbole est beau et fort. Il montre la puissance et le pouvoir de la musique au-delà des dissensions politiques. Il montre la magie du Buena Vista Social Club, terminons là dessus !

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “