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Nirvana “Nevermind” avec Greg Cook (Culture 2000)

(1991)

EN QUELQUES MOTS

Dans cet épisode on vous parle de guitares distordues, de chemises à carreaux, de jean crados et de cheveux gras. Vous l’avez deviné : Nirvana et leur deuxième album Nevermind, sorti en 1991.

C’est LE plus grand succès du rock alternatif, un des disques les plus vendus au monde et il aura surtout marqué au fer rouge les nineties.

On l’a réécouté pour vous et on vous raconte son histoire avec Greg Cook, animateur de 2 Heures de Perdues (https://www.2hdp.fr/) et Culture 2000 (http://culture-2000.lepodcast.fr/)

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Retour en 1991

Voilà on vient d’écouter dans l’ordre les 12 titres de Nevermind, et même les 13 titres parce qu’en fait il y a une piste cachée héhé. L’album sort le 24 septembre 1991 en vinyle, cassette et compact disque sur un label indépendant qui s’appelle DGC Records — pour David Geffen Company — et qui pour la petite histoire a depuis été racheté, et appartient maintenant à Universal ! 🙂

La story de Nirvana

Manu : Okay on va rentrer un peu dans le sujet et revenir sur la folle histoire de Nevermind parce qu’au départ le label prévois à un petit succès sur le petit marché du rock alternatif OK et puis finalement il va devenir un des albums les plus vendus et les plus acclamés de tous les temps… Alors Grégoire Sauvage est-ce que tu pourrais nous raconter un peu comment Kurt Cobain est devenu le héros de toute une génération ?

Greg Sauvage : Faut bien comprendre qu’à la sortie de Nevermind à la fin du mois de septembre 1991, Nirvana n’est qu’un groupe modeste de rock alternatif de la scène de Seattle. Ils ont eu un certain succès d’estime avec Bleach leur premier album, 40 000 exemplaires vendus en Amérique du Nord et qui a plutôt bien marché aussi en Grande Bretagne mais clairement, ce n’est pas le grand public qui est visé avec Nevermind, en témoigne les ambitions de la maison de disque qui table sur 250 000 exemplaires, le chiffre atteint par l’album GOO de Sonic Youth sorti l’année précédente.

Nevermind fait son entrée dans le Billboard en octobre à la 144ème place, commence alors une ascension fulgurante dans les charts américains notamment grâce au clip de Smell Like Teen spirit qui passe en boucle sur MTV et devient rapidement le tube de cette rentrée musicale.

La semaine du 9 novembre, l’album passe de la 35ème à la 17ème place mais s’il y a une date à retenir c’est celle du 11 janvier 1992. Vous savez pourquoi ?
Parce que Nirvana détrône le roi de la Pop, détrône le Dangerous de Michael Jackson (petit clin d’œil à notre épisode précédent) de la première place du Billboard. Il se vend alors 300 000 exemplaires de Nevermind par semaine. En 20 ans, Nevermind s’est écoulé à plus de 30 millions d’exemplaires. Une révolution culturelle est en marche, celle qui bientôt aller permettre à des millions de jeunes du monde entier de porter des vêtements sales et troués tout en restant cools. En tout cas succès inattendu laisse les membres de Nirvana incrédules, très surpris et un peu gêné aux entournures de se retrouver de manière aussi brutale sous le feu des projecteurs.
C’est un peu l’un des paradoxes de Nevermind, un album qui a révélé au monde entier la scène grunge de Seattle, qui a été la bande-son de la génération X, Au début des années 1990, de grands médias comme Radio-Canada présentent des documentaires sur cette génération qui peine à entrer en masse sur le marché du travail, assiste à l’effondrement des grandes idéologies, NO FUTURE mais en même temps un album maudit pour Kurt Cobain, qui ne s’est jamais vraiment remis de la surexposition médiatique qui a suivi la sortie du disque.

On sait qu’il n’aimait pas beaucoup Nevermind, il l’a dit et redit à longueur d’interview, exemple dans Come as You are the story of Nirvana, écrit par le journaliste Michael Azerad sorti en 1993 « Maintenant que j’ai du recul sur la production de Nevermind, je me sens terriblement mal à l’aise, cela ressemble à un disque de Motley Crue, qu’à un disque de punk rock ! » Motley Crue je le rappelle est un groupe de Glam Rock qui devait déjà être ringard en 1993 donc dans la bouche de Kurt Cobain ce n’est pas vraiment un compliment.

C’est tout le paradoxe de Nevermind, tout étant révolution que malédiction pour Nirvana qui n’avait pas prévu une seule seconde de devenir cet objet d’adoration voire de consommation à travers le monde. C’est difficile de ne pas s’imaginer que Nevermind n’a pas participé à la descente aux enfers de Kurt Cobain, lui le garçon timide et paumé, un brin misanthrope et qui finira par se suicider d’un coup de fusil dans sa maison de Seattle le 5 avril 1994 à l’âge de 27 ans.

Manu : C’est une histoire de fou…

Le making-of de "Nevermind"

Manu : Quand j’ai réécouté l’album moi ce qui me frappe c’est la puissance du son ! C’est la guitares saturées, la batterie sauvage et puis des mélodies assez imparables. Dès les premières mesures de Smell like teen spirit j’ai mon coeur qui s’emballe je te jure on a l’impression d’être indestructible qu’on peut tout péter. Du coup je me tourne vers toi Greg Cook, comment ça s’est passé en studio ? Comment ils ont fait pour enregistrer Nevermind ?

Greg Cook
(…)
Alors….. pour votre plus grand plaisir, à Radio K7 on a réussi a mettre la main sur les multipistes, et ça va nous aider à comprendre le son de cet album.

Du coup on va s’écouter un petit bout de morceau
On commence par la basse et je suis étonné parce que parfois elle est bouge un peu, ça rassurera tous les bassistes.

insert 3

On a la batterie qui rentre, batterie simple qui en fait pas trop

Ensuite 2 ème extrait vous voulez des guitares : et bah ok on va écouter les guitares :

Ils en enregistraient plusieurs qu’ils mettent à gauche et à droite pour aérer et alourdir le son, on va en écouter deux en solo.

insert 4

Et enfin 3 eme extrait les voix de kurt, en solo.
Même technique : on double les voix !
il aimait pas trop doubler les prises : mais butch lui dit que John Lennon le faisait et comme il était fan il s’est exécuté :
Selon butch ; il le fait super bien quasi du premier coup :

insert 5

On entend aussi les back de Dave, pareil même technique on les doubles

(…) A chaque fois que j’écoute Nevermind, je redécouvre des trucs, et il est encore dans mon walkman, même si pendant 10 ans je l’avais oublié.

Manu : Merci Greg d’avoir déterré ces enregistrements…

L'univers visuel de Nirvana

Manu : Il reste un truc dont on n’a pas encore parlé mais qui est devenue iconique : c’est la pochette de Nevermind avec le bébé nageur le plus célèbre du monde. 🙂 Il est là tranquille la quéquette à l’air avec un gros billet vert devant les yeux… okay c’est génial, mais on comprend pas bien pourquoi ? Et mon ptit doigt me dit Fanny que tu vas nous l’expliquer 🙂

Ils font ça parce que Kurt Cobain l’a décrété ! Cette pochette, c’est son idée. Il avait vu à la télé au printemps un reportage sur les accouchements dans l’eau et en a parlé à Robert Fisher, le directeur artistique de DGC Records. Kurt voulait des images de bébés extraites de ce docu mais un accouchement avec le sang, le placenta et tout, c’étaient forcément trop trash visuellement. Fisher est tombé sur le travail du photographe Kirk Weddle, spécialisé dans les prises de vue sous l’eau. Il l’a embauché. Weddle a demandé à des amis à lui de faire poser leur bébé âgé de 3 mois en échange de 200 dollars. La séance photo a eu lieu dans une piscine à Pasadena en Californie, ça a duré 15 minutes. Mais il fallait autre chose qu’une simple photo de bébé nageant sous l’eau n’est-ce pas ?

Kurt a eu l’idée d’ajouter en photomontage un hameçon au bout d’un fil de pêche pour rendre l’image plus menaçante. Et puis après, quoi mettre au bout du hameçon ? J’ai trouvé une interview du DA dans laquelle il explique les coulisses : « On a passé l’après midi à réfléchir à tous les trucs marrants qu’on pourrait accrocher au hameçon. On a eu l’idée d’un morceau de viande cru, genre un bon gros steack. Ou bien un CD ou quelque chose qui symbolise la musique. On est partis déjeuner et on pensait genre « Oh, et pourquoi pas un burrito ? » ou « Regarde ! un chien ! pourquoi pas un chien ? » ça a continué pendant des heures. Je me rappelle plus qui a parlé du billet d’un dollar mais tout le monde a pensé que c’était une bonne idée donc on s’est mis d’accord là dessus. »

Et la voilà notre image culte, un bébé qui nage sous l’eau à la poursuite d’un billet. Et soudain ce brainstorming absurde devient un symbole anticapitaliste. Pas sûre que Nirvana ait eu ça en tête dès le départ… Mais toujours est-il que cette pochette culte fait aujourd’hui partie de la collection du Musée d’art moderne de NY.

Manu : Relance bébé Spencer Elden 25 ans après

Et tu disais tout à l’heure Manu que sur la pochette on voit la zigounette du bébé, ça a évidemment posé problème à la maison de disque qui a essayé de censurer le truc ! Kurt a refusé la censure mais il a proposé une alternative qui était de placer un sticker sur la quéquette pour la cacher. Sauf que sur ce sticker, il voulait écrire un message qui disait : « Si cela vous choque, c’est que vous devez être un pédophile refoulé. » Du coup la maison de disque a fait marche arrière et n’a rien censuré du tout ! haha

L’autre anecdote marrante, c’est la typo du mot Nevermind, qu’on voit sur la pochette, une écriture noire ondulée qui rappelle l’ambiance sous marine. Fisher, le D.A., toujours lui, a fait imprimer le mot Nevermind sur une feuille qu’il a placée dans une photocopieuse. A mesure que la machine scannait, il a bougé la feuille dans un sens, puis il a re-scanné et trifouillé la feuille dans l’autre sens pour créer cet effet de vagues. C’est fait à la mano le truc! Aujourd’hui avec photoshop en 2 clics ça serait plié mais à l’époque obtenir ce genre d’effet était super avant-gardiste ! Bien joué Bobby !

Manu : Dans le cadre de la sortie de cet album, il n’y a pas que la pochette qui est devenue culte, il y a aussi un clip…

Oui avec la sortie du single Smells like teen spirit (dir. Samuel Bayer), la jeunesse du monde entier s’identifier à mort à cet hymne de la révolution adolescente. Le clip va jouer pour beaucoup là dedans. Il a été tourné en aout 1991 dans un studio de cinéma à Los Angeles (culver city) dans lequel le gymnase d’un lycée a été reconstitué. On y voit des dizaines de figurants qui jouent les lycéens et des pompom girls habillées en noir avec un beau logo anarchiste rouge sur la poitrine. Il y a aussi un homme de ménage qui passe la serpillère et à la toute fin du clip on aperçoit le proviseur qui a été ligoté. Le tournage a duré 8 heures pendant lesquelles Nirvana joue Smells like teen spirit en live comme lors d’un concert. Les lycéens assis dans les gradins qui font office de public sont censés regarder le concert tranquillement puis de moins en moins tranquillement mais ce que personne n’avait prévu c’est qu’après des heures à poireauter, c’est parti en cacahuète pour de vrai ! Tu demandes à des jeunes de mimer une ambiance de concert rock, au bout d’un moment y’en a 2, 3 qui décident que c’est l’heure de foutre le bordel, et pis c’est tout ! Donc ça part en gros pogo, y’a des instruments qui volent partout, c’est le chaos total ! Et c’est évidemment ces scènes spontanées là qui ont été gardées au montage.

Manu : Le clip sort le 27 août 1991, le single sort le 10 septembre, l’album le 24, et dès la mi-octobre MTV se met à diffuser le clip quotidiennement sur les ondes…

MTV a eu un rôle primordial dans le succès de Nirvana. Pendant 9 semaines, ils matraquent le clip plusieurs fois par jour. Tous les projecteurs se braquant sur Nirvana et profitent aux autres : Soundgarden, Alice in Chains, Pearl Jam, Mudhoney… En un battement de cil, le grunge passe du statut de niche underground à courant majeur de la musique de l’époque. Pourquoi c’est un événement important ? Simplement parce que c’est la première fois qu’un groupe de la scène indépendante arrive au sommet des charts. C’est la première fois que la radio et la télé diffusent à grande échelle entre guillemets « de la vraie musique » et non des produits standardisés habituels. Je veux dire, les mecs vont détrôner Michael Jackson de la première place des meilleures ventes, c’est dingue !

Le clip de Smells like teen spirit a eu un impact considérable, tout à coup Nirvana est devenu LA voix à travers laquelle toutes les frustrations d’une génération se matérialisent. Ce qui est marrant, c’est que la grogne flottait dans l’air depuis un moment. On marche encore sur les braises fumantes du mouvement punk et si Nirvana a vendu 10 millions de disques, c’est qu’il y avait une audience énorme pour cette musique. Mais de la fin des années 70 et tout au long des années 80, la scène punk et la scène hardcore qui étaient tentaculaires sont restées dans l’ombre. Nirvana c’est les premiers à avoir accédé aux spotlights avec ce style de musique pop rock inspirée du punk.

D’ailleurs cette énergie, cette colère qu’on voit dans le clip, ça date pas non plus de 1991, à vrai dire la principale source d’inspiration c’est un film de 1979 qui s’appelle « Violences sur la ville » (dir. Jonathan Kaplan), dedans il y a Matt Dillon âgé de 15 ans qui joue son tout premier rôle! Ça raconte l’histoire d’une bande d’adolescents qui décident de saccager leur petite ville de province suite à une bavure policière, ils retiennent les adultes en otage dans le lycée et profitent du manque de surveillance pour aller tout péter, j’ai vu la bande annonce ça a l’air super ! Kurt était fan, son idée de base pour le clip d’ailleurs c’était de filmer des lycéens qui vont enlever le proviseur avant de le faire brûler vif dans un gymnase. Hardcoooreeee ! Encore une fois, c’est comme l’histoire de la photo d’accouchement en couv’ de Nevermind, il a fallu lui calmer les ardeurs au petit ! On peut pas tout montrer si on espère vendre quelques disques 🙂

Le succès de la mouvance grunge va arriver jusqu’en France bien sûr, où Nirvana a joué à plusieurs reprises dès 1989. Pour finir en beauté, j’avais envie de partager avec vous une archive complètement WTF qui date de 1993, on est sur France 2 dans le JT présenté par Paul Amar, qui lance un sujet dédié au grunge. C’est cadeau :

Insert sonore : https://www.ina.fr/video/CAB93038009
0’00 à 0’33

 

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Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “