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Smashing Pumpkins « Mellon Collie & the Infinite Sadness »
(1995)

EN QUELQUES MOTS

Dans cet épisode, on va vous parler de Billy, Jimmy, James et D’Arcy alias les Smashing Pumpkins. Lorsqu’en 95, les Pumpkins annoncent la sortie d’un double album, presque tout le monde, de la presse à leur maison de disque, crie au suicide commercial. Et bien ils avaient tort.

Non seulement Mellon Collie and the Infinite Sadness représente le point culminant de leur carrière mais il marquera à jamais l’histoire comme étant le dernier grand élan du rock alternatif et de la génération X.

Portés par des titres commes “Zero”, “Tonight, Tonight”, “1979” ou “Bullet with Butterfly Wings”, Mellon Collie mérite amplement son succès. C’est un disque incroyablement varié, qui mélange grunge, heavy métal, pop électronique et pas mal de ballades au piano ou avec des cordes auxquelles même les fans n’étaient pas habitués. ça aurait été dommage de passer à côté.

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Retour en 1995

Voilà pour les 28 titres de Mellon Collie and the Infinite Sadness. C’est donc le troisième album des Pumpkins. Il sort le 24 octobre 1995, en vinyle, Cassette, CD et Minidisc sur le label Hut, une division plus ou moins indépendante de Virgin Records.

L’année 1995 c’est bien sûr l’année de la guégerre Blur-Oasis et l’explosion de la britpop. Blur avec “Parklife” et Oasis avec “Morning Glory”. D’ailleurs au passage D’Arcy va tacler les frères Gallagher aux MTV Awards quand les Pumpkins seront sacrés meilleur groupe rock de l’année « C’est Oasis qui aurait dû gagner ce titre, vu qu’ils sont le meilleur groupe depuis les Beatles et tout et tout” 🙂

En 95 c’est une grosse année pour les people aussi ! Pamela Anderson épouse Tommy Lee, le batteur de Motley Crue, Tupac Shakur passe l’année en zonzon pendant que son album “Me against the World” caracole en tête des ventes et Michel Sardou squatte l’Olympia pendant… 5 mois ! Véridique, le mec a fait 118 concerts…

La story des Smashing Pumpkins

Nous sommes en 1985. Billy Corgan travaille chez un petit disquaire de Chicago et fait la rencontre par le biais d’un de ses amis de James Iha. Ils commencent à faire de la musique ensemble : James joue de la guitare et Billy de la basse. Mais les débuts sont difficiles, Billy a une idée précise de ce qu’il souhaite faire mais est extrêmement critique vis-à-vis du travail de James. On verra qu’avec le temps, ça ne va pas trop trop s’arranger !

On écoute pour le plaisir leur toute première cassette démo Nothing Ever Changes :

Très vite, Billy va choisir le nom de Smashing Pumpkins (Les citrouilles éclatées). Il explique qu’il a eu l’idée de ce nom dans un rêve où il aurait entendu Gene Simmons, le bassiste du groupe Kiss, hurler cette phrase improbable : « Joe Strummer (le chanteur des Clash) is a drunk and smashing pumpkins».

Le groupe a du mal à démarrer, les débuts sont difficiles. Il leur faut un bassiste ! Un soir après un concert dans un bar, Billy se prend la tête avec une fille à propos de Dan Reed Network, un obscur groupe de funk rock.
La fille pense qu’ils sont super bons. Billy trouve que le groupe est complètement nul et formaté pour passer sur MTV.
Cette fille, c’est D’arcy Wretzky. À l’époque, elle commence à jouer de la basse et revient d’Europe où son premier groupe fut un échec. Après s’être chaleureusement insultés, Billy donne son numéro à D’Arcy. Quelques semaines plus tard, ils lui font passer une audition qui sera catastrophique. D’Arcy est super nerveuse. Mais Billy aime bien ce petit caractère fougueux et l’engage malgré sa prestation ratée.

Ils commencent à jouer dans des clubs locaux avec en guise de percussions une simple boîte à rythme. Pendant des semaines, le groupe essaie d’obtenir un concert au Cabaret Metro, un des haut-lieux de la musique à Chicago, mais le propriétaire refuse de les laisser jouer tant qu’ils n’auront pas un vrai batteur. Un de leurs amis leur présente alors le batteur de jazz fusion Jimmy Chamberlin, dont le style ne ressemble pas vraiment au leur. Chamberlin les rejoint quand même, il sent qu’il se passe quelque chose avec ces trois-là !

Le concert du 5 octobre 1988 au Métro marque donc le début du groupe dans sa formation complète. On s’en écoute un petit extrait.

insert – She live ‘88

Manu : D’ailleurs ils vont quand même rester par la suite très attachés à cette salle, et y jouer régulièrement. Et je crois que c’est aussi là-bas qu’ils donneront leur tout dernier concert en décembre 2000.

Olivia : Exactement ! Mais poursuivons notre histoire …
Dès le début, Billy Corgan a une idée précise du son qu’il veut donner à sa musique. Pour lui, je cite, « les guitares des Smashing Pumpkins sont une mixture à base de heavy metal et de rock alternatif des années 80. Je pense à The Cure et Siouxsie and the Banshees ». Vous l’aurez compris, Corgan c’est la tête pensante des Pumpkins et il a du mal à laisser de la place aux autres.

En parallèle de leur début scénique, ils sortent deux singles avec un joli succès, puis signent, en 91, avec le label Caroline pour enregistrer leur premier album Gish (en référence à l’actrice de cinéma muet Lillian Gish). Un album ambitieux, produit par Butch Vig, qui coûtera quand même 20.000$. Les critiques sont très bonnes mais hélas, sa sortie est complètement éclipsée par l’album Nevermind de Nirvana qui arrive quelques mois plus tard.

On écoute Billy Corgan qui revient dans une interview à Rolling Stone sur cette relation à Nirvana :
« Soudain, boum, Nirvana . Nous sommes passés du statut de presque futures stars à celui de has-beens, les gens disant: « Eh bien, si vous étiez si bon, cela vous serait arrivé. » (…) Nous sommes passés de la révélation du passé à l’arnaque de l’avenir. »

Pour la petite histoire, le conflit avec Nirvana ne va pas s’arrêter au domaine de la musique. Billy Corgan a eu une relation avec Courtney Love avant qu’elle ne fréquente Kurt Cobain. Et ils auraient même continué à se fréquenter alors que plus tard elle était mariée avec Kurt. Ils se remettront officiellement ensemble dans les années 2000.
Bref… it’s complicated !

Mais revenons à 1993 : les Pumpkins enregistrent Siamese Dream, leur deuxième album. Le succès tend attendu arrive enfin : Siamese Dream se classe direct dans le TOP 10, toutes les critiques sont unanimes, et le groupe sera dès l’année suivante la tête d’affiche du célèbre festival Lollapalooza.
Ils commencent aussi à se faire connaître par le grand public pour leurs productions qui superposent les pistes avec plein d’effets. La chanson « Soma » contient à elle-seule plus de 40 pistes de guitares.

insert – Today

Manu : Il y a une autre raison pour laquelle ils commencent à devenir célèbres, c’est leurs engueulades et les tensions !

Olivia : Billy Corgan est fréquemment décrit dans la presse comme un vrai tyran. Les répétitions durent des heures. Billy laisse peu de place aux autres membres du groupe : il se dit que toutes les pistes de guitare et de basse ont été réenregistrées par Corgan, reléguant James Iha et D’Arcy Wretsky au second rang, chose entre nous que Billy n’a jamais officiellement démentie.

La période d’enregistrement de Siamese Dream est assez douloureuse pour lui, il est en pleine dépression et vit difficilement la séparation avec sa petite amie de l’époque (pas Courtney Love, donc). Corgan avouera plus tard que la plupart des chansons de cet album font référence à cette relation et à ses idées suicidaires.
Il a aussi le sentiment que les autres membres ne s’intéressent pas assez au groupe. Le groupe ne fonctionnerait correctement que sous une pression permanente. En plus, Jimmy Chamberlain, le batteur, est devenu complètement accro à l’héroïne ce qui ne fait qu’augmenter les tensions. Jimmy disparaîtra même pendant plusieurs jours sans donner de nouvelles aux autres membres.

Malgré tout, Siamese Dream leur ouvre la voie du succès commercial et se vend à plus de quatre millions d’exemplaires dans le monde, dont trois millions aux États-Unis. Et heureusement, car ils étaient vraiment à deux doigts de tout arrêter : Billy Corgan annonce même que si le disque ne se vend pas, il mettra fin au groupe.

« Après Siamese Dream, j’ai vraiment senti que nous n’avions plus d’avenir, que c’était la fin de la ligne pour le groupe, émotionnellement et créativement. Je sentais que j’avais complètement étiré mes capacités au-delà de l’au-delà (…) Alors j’ai dit : « Abordons cet album comme si c’était notre dernier album. » Parce que soit ce sera vraiment le dernier soit ce sera le dernier album des Smashing Pumpkins tels que les gens nous connaissent. Et ce fut une décision très libératrice à prendre. »

Manu : Et un beau jour d’automne 95, les Pumpkins sortent un double-album complètement fou. Il a pour thème central (je cite) “la peur de la mort” et dure plus de deux heures ! Bon courage les gars ! Et contre toute attentes il va se vendre à plus de 20 millions d’exemplaires, et il deviendra selon la critique l’équivalent de “The Wall” pour la génération X. Magneto :

insert – pub INA ‘95
https://www.ina.fr/ina-eclaire-actu/publicite/pub412482002/smashing-pumpkins-version-20-secondes

Mellon Collie and the Infinite Sadness entre directement numéro un au Billboard 200, un exploit inédit pour un double album à plus de 20$.

L’album est acclamé par la critique. Le Time parle de « l’œuvre la plus ambitieuse et la plus accomplie du groupe à ce jour » et désigne Mellon Collie comme le meilleur album de l’année 1995. La plateforme IGN lui donne la note quasi parfaite de 9,5 sur 10 et déclare que l’album « a à lui seul changé le visage du rock alternatif. Ce n’est pas seulement de la musique, c’est une œuvre d’art ».

On peut aussi parler de leur prestation au Saturday Night Live le 11 novembre 1995 pour promouvoir le disque. C’est la toute première fois que l’on voit Billy Corgan avec le crâne rasé, un style qui va bientôt devenir sa signature.

insert – Bullet Live SNL

L’année suivante, ils partent en tournée mondiale. Enorme succès, les tensions s’apaisent, ils sont dans une dynamique plus sereine, chacun trouve sa place. Tout va pour le mieux donc, Jusqu’au 12 juillet 1996 : le claviériste Jonathan Melvoin meurt d’une overdose pendant un trip avec Jimmy Chamberlin (le batteur) dans une chambre d’hôtel à New York. Jimmy échappe de peu à la mort, mais son implication dans l’affaire lui vaudra une arrestation pour détention de drogues. Il est envoyé en cure de désintoxication au cours du mois de juillet. Billy Corgan décide d’écarter le batteur de la tournée pour plusieurs mois.

En 97, Les Smashing Pumpkins seront nommés dans sept catégories aux Grammy Awards. Ils remportent celui de la meilleure performance hard rock avec voix pour « Bullet with Butterfly Wings ». Mellon Collie est très régulièrement cité dans les listes des meilleurs albums de tous les temps et reste à ce jour l’un des disques les plus vendus de l’histoire des États-Unis.

Il faut aussi noter que le groupe va apparaître en 96 dans un épisode des Simpsons et ça c’est quand même la consécration ultime ! En tout cas pour moi parce que j’étais complètement dingo des Simpsons et comme j’étais aussi fan des Pumpkins. Cet épisode, sans déconner, je l’ai matté au moins 20 FOIS en VHS

L’épisode en question s’appelle Homerpalooza, oui celui dans lequel il y a aussi Cypress Hill et nos copains de Sonic Youth. Homer emmène Bart et Lisa au festival Lollapalooza, découvre les Smashing Pumpkins sur scène et va finir par être pote avec Billy Corgan. Je vous fait écouter un petit extrait :

insert – Homerpalooza

Le making-of de "Mellon Collie & the Infinite Sadness"

Manu : C’est parti avec toi Greg pour l’enregistrement de Mellon Collie, mais d’abord on va parler de la gestation de cet album culte qui commence dès 1994…

Oui en fait dès la fin des 13 mois de tournée qui suivent la sortie de Siamese Dream, Billy Corgan s’attèle à ce qui allait devenir son grand projet, aussi grand dans son esprit que le White Album des Beatles ou The Wall des Pink Floyd.

Le groupe bouillonne alors de créativité, beaucoup de compositions sont déjà prêtes mais plutôt que d’entrer en studio directement, le groupe commence à répéter d’arrache pied et à se chauffer avec une série de trois concerts intimistes devant 500 personnes au Double Door Club, un club de Chicago devenu mythique mais qui vient alors juste d’ouvrir ses portes, son propriétaire, Joe Shanahan, est l’un des premiers fans et un soutien inébranlable des Smashing Pumpkins. Sur scène, le groupe joue plusieurs morceaux qui apparaîtront ensuite sur Mellon collie, dont le titre Love, à noter qu’une partie de ces sessions live sont à retrouver sur le coffret Aeroplane flies high.

insert – Love live

Parallèlement, le groupe commence à enregistrer la structure des morceaux au début de l’année 1995 à Pumpkinland, leur espace de répétition à partir des premières démos issues des “sadlands studio” (en fait le domicile de Billy Corgan, exemple avec le titre 33

insert – 33

Bon ça y est, les citrouilles sont bien chaudes et peuvent entrer entrer dans le vif du sujet au “Chicago Record Company”

Entre le mois de mars et le mois d’août 1995, le groupe arrive dans le studio « Chicago record company », studio célèbre dans lequel Michael Jackson, Sting, les Red Hot Chili Peppers ou encore The Cure enregistreront à plusieurs reprises. Objectif : compléter les enregistrements déjà effectués à Pumpkinland et mettre dans la boîte des nouveaux morceaux.

Pour insuffler une nouvelle dynamique, le groupe change de producteur : exit Butch Vig, le monsieur qui a produit le Nevermind de Nirvana, cette fois ce seront Flood et Alan Moulder qui s’occuperont de la direction artistique. Corgan et Iha apprécient tout particulièrement le travail de Flood effectué pour U2, Depeche Mode ou encore My Bloody Valentine.

Changement de producteur, changement de méthode aussi

Oui l’idée de Flood c’est d’éviter l’écueil d’un enregistrement un peu trop raide et formaté : il encourage donc le groupe à continuer à jammer pendant les sessions qui commencent tous les matins par une heure de répétition.
L’autre nouveauté c’est que l’enregistrement est divisé en deux parties, l’une pour Corgan et Flood, l’autre pour Iha et Moulder, cela permet à la fois d’éviter les tensions mais aussi d’être plus efficace : les musiciens savent qu’attendre plusieurs heures que ses petits copains finissent leurs prises peut être assez frustrant à la longue.
Flood se rend également compte que Corgan chante beaucoup mieux sans casque sur les oreilles, il le fait donc chanter dans un micro Shure SM58 avec un retour enceinte pour permettre à Billy de donner son maximum.

En fait l’idée de Flood c’est de faire un disque vivant

Oui comme si le groupe jouait live, je dis bien « comme si » car l’album est en fait un festival d’overdubs comme sur ce THROUGH THE EYES OF RUBY qui contient environ 70 pistes de guitare.

insert – Through the eyes of Ruby

Dès les premières secondes, on peut entendre toute la variété des sons de guitare utilisés, une masse de matériel sonore traité grâce au logiciel Pro Tools. De manière générale, Mellon Collie est un habile mélange entre l’utilisation du numérique et des techniques d’enregistrement analogique avec l’utilisation à Pumpkiland d’un enregistreur 24 pistes Otari MTR 90, donnant cette patine vintage à l’album.

L’autre particularité de cet enregistrement, c’est le volume auquel le groupe joue pendant les sessions…

Oui Flood veut reproduire l’effet « mur de son » et retraduire l’énergie du groupe sur scène et pour cela, il veut que les citrouilles fassent du bruit, beaucoup de bruit en studio, explique Billy Corgan dans cette interview accordée à l’occasion des 25 ans de la sortie de l’album

insert – ITW Billy

Et Greg, pendant cet enregistrement c’est 1979 qui sera l’un des derniers titres enregistrés

Oui un titre culte que Corgan trouve un peu trop bluesy, il va donc y apporter une série d’influences que l’on va essayer d’identifier avec ce multipiste que je vous ai concocté

insert – 1979 Multipiste

Ce titre représente bien l’ambition des Pumpkins de faire un album hybride, bourré d’influences art rock, pop, métal, hyper riche et foisonnant, fruit d’un travail monstrueux : le groupe passe quatorze heures par jour et six jours sur 7 en studio. Pour l’anecdote, les SP finissent avec 57 chansons à la fin de l’enregistrement ! Un nombre réduit à 32 puis finalement au 28 qui composent la tracklist de l’album.

L'univers graphique des Smashing Pumpkins

Manu : Alors on était en studio il y a un instant, on va boucler nos ceintures et partir un peu plus haut avec toi Fanny, direction les étoiles… 🙂

Et oui les amis, aujourd’hui je vous emmène pour un petit voyage interstellaire à la fois dans les coulisses de la pochette de Mellon Collie et le clip de Tonight Tonight ! Commençons par cette pochette qui n’ayons pas peur des mots, est l’une des pochettes culte des nineties : au recto dans le centre droit on voit l’image d’une jeune ingénue un peu rêveuse dans une robe drapée, les yeux levés vers le ciel. Elle lévite au milieu du cosmos, dans un beau paysage bleu nuit où flottent des astres, le corps fiché dans une étoile.

En haut à gauche de ce personnage on a respectivement le nom du groupe et en dessous le titre de l’album inscrits sur 4 lignes. La police d’écriture choisie pour cette pochette s’appelle Victorian Swash et elle a été créée par l’entreprise P22 Type Foundry en se basant sur d’anciennes polices de l’ère victorienne à la fin du 19ème siècle. Ce thème victorien est vraiment crucial, il est au cœur de toute la direction artistique de cet album, qui a été conçue d’ailleurs par Billy Corgan, en collaboration avec le designer Frank Olinsky. Le nom d’Olinsky ne vous dit peut-être rien pourtant son travail on le connait tous parce que c’est lui, figurez-vous qui a dessiné le logo de MTV !

Manu : c’est quand même le meilleur logo du monde non ? En tout cas on s’en est un peu inspiré pour le logo de cette émission.

Donc Corgan sait exactement ce qu’il veut, il a toutes les idées et images en tête et Olinsky est chargé de trouver des artistes pour les réaliser puis de mettre tout ça en forme. Au départ pour la pochette, Corgan veut une peinture inspirée de l’époque victorienne, une commande est passée à une artiste mais le résultat n’est pas satisfaisant. OK, next. La deuxième piste c’est la photographie. Ils contactent un photographe en France (j’ai pas réussi à trouver de qui il s’agit sorry), il est question que le mec vienne aux Etats-Unis, construise un décor de ouf d’inspiration victorienne et fasse poser les Pumpkins en costume au milieu de ce décor. Le projet super excitant sur le papier, mais un peu moins dès que le photographe envoit son budget à 50 mille balles. Ils ont dit ‘Merci but no meurci’ et sont donc passés à leur troisième et dernière piste, qui va donner la pochette que l’on connait tous.

Manu : Donc j’imagine qu’après la peinture et la photo, ils sont finalement partis sur quoi ? Sur l’illustration ?

Affirmatif mon cher Watson. En fait dès le début du projet, ils se sont mis à travailler avec un illustrateur qui s’appelle John Craig et qui fait des collages surréalistes un peu à la Max Ernst, à partir de livres ou de journaux anciens. Ils lui avaient commandé 5 illus pour le livret intérieur. Mais quand Craig a entendu parler des galères avec la pochette, il a dit « bah pourquoi est-ce que vous me laisseriez pas essayer ? », ça coutait pas grand chose. Corgan a dit ok, après tout il était content des premiers collages que le mec avait livrés.

Tout au long du process déjà, Corgan envoyait par fax à John Craig des croquis sommaires mais précis avec tous les éléments à placer dans sa composition et des indications genre « je veux une imagerie céleste avec une figure féminine légèrement penchée comme une figure de proue à l’avant d’un bateau ». Ces croquis ont été publiés dans des coffrets de luxe pour l’anniversaire de l’album, pour celles et ceux qui nous suivent sur les réseaux sociaux, vous verrez, on vous en publiera quelques uns. Grâce à une interview de John Craig donnée en 2012 à la National Public Radio américaine, on découvre tous les secrets de fabrication de cette pochette :

« Le collage a été fait avec une photocopieuse couleur, ce qui me donnait de la souplesse pour ajuster les couleurs ou la taille. Le fond est une image céleste qui vient d’une vieille encyclopédie pour enfants. Pendant que je cherchais le corps et le visage, je cherchais aussi quelque chose pour porter la figure, qu’elle ne soit pas juste plantée là. Et j’avais cette pub pour du whisky sur laquelle on voyait des verres flotter sur des étoiles. Si vous regardez de plus près, vous pouvez voir qu’à l’endroit où le corps est inséré dans l’étoile, il y a un petit rebord, c’était le pied du verre à cocktail. Le visage vient d’une peinture de Jean-Baptiste Greuze, j’en avais une belle litho très détaillée du tournant du siècle dernier. Ce visage était étalé sur ma table avec probablement une douzaine d’autres visages. Et puis le corps vient d’un tableau de Raphaël qui représente Sainte Catherine d’Alexandrie. »

Voilà, c’est ça la magie du collage : une pub pour du whisky, une encyclopédie, deux tableaux de maîtres, tu mets dans un chapeau et hop, kamoulox ! tu as la pochette de Mellon Collie. Tout le reste de l’album est parsemé de compositions surréalistes similaires, téléguidées par Billy Corgan, avec par exemple un couple en tenue de mariés à tête de chat ou des oiseaux casqués qui pilotent un avion-hirondelle. On est à mi-chemin entre Beatrix Potter, Lewis Carroll et les Préraphaélites. Je pense que j’aurais pu faire toute une émission sur le sujet tellement il y a à dire mais je vais m’arrêter là et je vous propose de continuer notre trip ensemble dans les étoiles avec le clip de Tonight Tonight…

On va parler de ce clip car c’est l’une des plus grandes réussites des Smashing Pumpkins : une nomination aux Grammy Awards en 1997, et 6 trophées remportés au MTV Video Awards en 1996 : Vidéo de l’année, Meilleure vidéo révolutionnaire de l’année, Meilleure Réalisation, Meilleurs effets spéciaux, Meilleure direction Artistique et Meilleure direction de la photographie. On s’imagine aisément que pour arriver à un tel succès, il faut réunir une équipe de choc, et je vous réponds OUI,je suis allée de surprises en surprises en découvrant qui a bossé sur ce clip.

On va s’attarder sur le casting technique déjà : à la réalisation on trouve Jonathan Dayton et Valerie Faris, un duo dont le nom ne me disait absolument rien et pourtant en épluchant leur filmo je vois que c’est eux qui ont réalisé le génialissime Little Miss Sunshine avec Steve Carrell, Toni Collette et Paul Dano en 2006. Quelques années plus tard, ils signent le film Ruby Sparks, toujours avec Paul Dano. Ils ont réalisé une liste de clips longue comme le bras, si je vous dit ‘Californication’ des Red Hot Chili Peppers, ‘All Around the World’ d’Oasis ou encore ‘Sing’ de Travis, vous me dites ‘mais oui mais c’est bien sûr’

Manu : Mais oui mais c’est bien sûr !

Merci Manu, j’apprécie ta sollicitude. Bon, on a les réalisateurs qui sont cool, on a aussi un couple d’acteurs pour jouer les 2 personnages principaux du clip, Tom Kenny et Jill Talley, qui sont un vrai couple à la ville, pas très connus à l’époque mais qui vont gagner une célébrité mondiale quelques années plus tard en devenant les voix officielles du dessin animé Spongebob !

Manu : Pensez-y la prochaine fois que vous regarderez le clip, le voyageur intergalactique que vous voyez à l’image, c’est la voix de Bob l’éponge himself !
Je trouve l’anecdote super drôle… Et enfin, dernière personne dont j’avais envie de souligner le travail dans ce clip, c’est l’artiste Wayne White. Quand j’ai vu son nom, j’ai tiqué de suite en me disant « hmm je connais, c’est un peintre qui fait des tableaux super chouettes mais ça peut pas être le même mec » et en fait si, c’est bien le mec que j’avais en tête, dont j’ai dû connaître le boulot y’a une dizaine d’années grâce au magazine Juxtapoz. Avant de se consacrer à sa carrière dans la peinture, Wayne White a travaillé comme set designer et marionnettiste pendant des années sur l’émission télé Pee-Wee’s Playhouse. Il a oeuvré aussi en tant que dessinateur pour la presse, directeur artistique, illustrateur, bref un vrai touche-à-tout.

Sur le clip de Tonight Tonight, c’est lui qui a conceptualisé et peint tous les décors inspirés de Georges Méliès car oui, on va commencer par là : le clip est un hommage au film muet « Un Voyage dans la Lune » de Méliès, sorti en 1902. Ce Voyage dans la Lune, c’est une œuvre majeure de l’histoire du cinéma, c’est le tout premier film de science-fiction et l’un des premiers à avoir recours aussi massivement aux effets spéciaux et autres trucages. Depuis sa sortie il y a 120 ans, on ne compte plus les citations et hommages à ce court métrage, tiens citons par exemple la bande-originale composée en 2012 par mes chouchous du groupe AIR, dont on a chroniqué le Moon Safari dans un précédent épisode.

Manu : Et donc Méliès revu à la sauce citrouille ça donne quoi ?

Et bien ça donne une super-production qui a bien failli ne jamais voir le jour ! Déjà l’idée de départ c’était pas du tout l’hommage à Méliès mais un hommage au réalisateur de comédies musicales Busby Berkeley, célèbre pour ses mises en scènes dansées qui reproduisent des formes de kaléidoscope. On devait être sur une histoire plus à la Gatsby, 1930 avec des gens qui nagent dans des coupes de champagne. Seulement problème, au moment même où ils s’apprêtent à tourner, les Red Hot sortent le clip d’Aeroplane et vla t’y pas que ce clip est lui même inspiré de Busby Berkeley ! Du coup patatra, tout tombe à l’eau, on part sur une deuxième idée, puis une troisième, Méliès, qui sera la bonne.

Le clip est donc tourné sur trois jours à Los Angeles, exclusivement caméra au poing, dans un esprit film muet du début du 20è siècle, avec des effets spéciaux rudimentaires, des décors peints en trompe-l’oeil comme au théâtre et de beaux costumes moitié style édouardien moitié steampunk. L’anecdote marrante c’est que la production a galéré de ouf pour obtenir ces costumes car à l’époque au même moment avait lieu le tournage de Titanic de James Cameron et tous les costumes fin 19è, début 20è siècle de la place de Los Angeles étaient réservés pour le film ! Du coup ils ont dû récupérer ce qui restait et embaucher des couturiers pour sortir des fringues qui aient un minimum de gueule. Au final, ils s’en sont pas trop mal sorti et ont pu tourner toutes ces scènes d’aventure à la Jules Verne avec ce couple qui part en un trip sur la Lune en zeppelin, qui rencontre des aliens pas très sympa qui vont les kidnapper et finir par s’évader direction un merveilleux monde sous-marin accueilli par une sorte de Poséidon himself. Le tout pendant que Billy Corgan et ses acolytes jouent Tonight Tonight, suspendus dans les nuages d’un beau ciel étoilé tels des petits anges partis trop tôt…

Et pour bien enfoncer le clou avec Méliès au cas où on aurait pas la ref, la bateau qui vient les sortir de l’eau à la fin s’appelle… le “Melies” ! Merci Fanny pour cette nouvelle enquête !

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “