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Manu Chao “Clandestino”

(1998)

EN QUELQUES MOTS

Dans cet épisode on ressort “Clandestino” de José Manuel Tomás Arturo Chao, alias Manu Chao. 4 ans après la fin de la Mano Negra, le chanteur-musicien-voyageur revient en 98 avec un album solo en forme de carnet de voyage. 

C’est un disque malin, dépouillé et engagé — assez loin musicalement de l’énergie punk à laquelle il nous avait habitué avec la Mano. Clandestino efface les frontières entre l’Europe et l’Amérique du Sud, mélange aussi bien le reggae et la rumba que le rock et les musiques latines traditionnelles.

Bonnet péruvien vissé sur la tête et guitare à la main, le petit bonhomme va réussir un exploit formidable : celui de faire de “Clandestino” l’album le plus vendu en France pendant les nineties, juste derrière Francis Cabrel !

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Retour en 1998

Voilà pour les 16 titres de Clandestino.
C’est le 1er album solo de Manu Chao, il sort au printemps, le 17 avril 1998 en CD, Cassette, vinyle et MiniDisc chez Virgin.

Je ne sais pas si vous vous souvenez, 1998 c’est l’année où la France remporte la coupe du monde et pendant quelques jours on est tous français et on s’aime. On arrive à coincer Pinochet, le sous-commandant Marcos est toujours planqué au Chiapas et en France on créé l’asso ATTAC chère aux altermondialistes.

En France on va voir Titanic, le film le plus cher de l’histoire, on découvre Garou dans Notre-Dame de Paris et 200.000 personnes participeront à la première techno Parade.

La story de Manu Chao

Manu : On va maintenant revenir un peu en arrière, et revenir sur le parcours incroyable de Manu Chao.

Olivia : On s’attaque ici à monument de mon adolescence révoltée. Manu Chao est un peu la bande-son de l’année de mon BAC, quand j’allais manifester dans la rue avec mes copines contre le G7 et le Président Bush. Moi à l’époque, je pensais que c’était mai 68… merci de ne pas se moquer.

Clandestino c’est surtout 1,8 million d’exemplaires vendus en France ; plus d’1,2 million dans le monde, sans compter les cassettes pirates en Amérique du Sud.

L’album remporte en 1999 une victoire dans la catégorie musiques traditionnelles ou de musiques du monde de l’année.

A l’époque, voilà comment France 3 le présentait dans le JT d’Elise Lucet

INSERT — JT Elise Lucet

Mais revenons un peu en arrière. Nous sommes en 1993.

Manu est alors encore le chanteur de La Mano Negra, groupe mythique de rock alternatif qu’il a fondé dans les années 80 avec ses potes, son frère Tonio et son cousin, Santi. La Mano Negro, c’est, je cite Manu, “de la musette avec des paroles apaches et l’esprit chorizo ». En gros, un joyeux bordel festif, de la bonne humeur, les copains et la vie comme elle vient.

INSERT — Mala Vida

Je l’ai dit, on est donc en 1993, et ils partent tous ensemble pour plusieurs mois de tournée au fin fond de la Colombie. Ils traversent le pays en train, et s’arrêtent non pas les grandes villes mais dans les tout petits villages de campagne. La plupart du temps sur des possessions de Pablo Escobar ou des Farcs (les Forces armées révolutionnaires de Colombie). Ils vont à la rencontre des paysans, des ouvriers, d’une populations qui n’a pas l’habitude de voir ce genre de troubadours débarquer chez eux. Il sont accompagnés par des musiciens mais aussi des acrobates, des tatoueurs, des marginaux et même le père de Manu Chao qui suit le périple en tant que journaliste (et le racontera dans l’ouvrage Un train de glace et de feu)… bref une joyeuse petite bande. Mais au final, pas si joyeuse que ça.

Beaucoup de concerts, beaucoup de rencontres, beaucoup de galères. Pour Manu Chao, le périple colombien qui deviendra l’album Casa Babylon (le dernier album de la Mano Negra, sorti en mai 1994) est l’une des plus belles expériences de sa vie. Pour le reste de la Mano Negra, c’est peut-être l’une des pires. Certains quittent l’aventure très vite et finalement c’est tout le groupe qui va disparaître.

Il en parle lors d’une interview accordée aux Inrocks en 1998 .

«Les tensions, devenues inévitables vers la fin, étaient proportionnelles à l’amour qu’il y avait entre nous. Nos relations n’ont en tout cas jamais été tièdes. Que ce soit dans les moments d’engueulade ou de bonheur, c’était toujours intense, comme dans un couple. C’est déjà passablement compliqué de s’entendre à deux, alors lorsqu’on est douze, les problèmes sont multipliés par autant»

Manu va avoir du mal à se relever de cette séparation d’avec ses amis d’enfance. L’utopie collective de la Mano Negra se termine ici dans la peine et l’amertume. Plusieurs morceaux de l’album Clandestino racontent d’ailleurs cette séparation comme une rupture amoureuse.

La Mano c’était sa vie, il faut en trouver une autre. Quelques mois de déprime, une traversée du désert comme on dit dans le vocabulaire journalistique.
Puis, il décide de reprendre la route. Mais seul cette fois. Il part sans trop savoir où il va, ce qu’il cherche. Il erre.

Logé par des potes ou au gré de ses rencontres, il traîne son spleen en Amérique latine, au Sénégal, au Brésil… Il ne le sait pas encore, mais cette errance qui va durer presque 4 ans va constituer le terreau de Clandestino. Il cherche l’inspiration, écrit des textes et continue à enregistrer des morceaux dans un studio mobile. Il devient le « Desaparecido » (le disparu) qu’il chantera plus tard. Ce qu’il décrit dans les paroles de Clandestino, Manu Chao l’a vu ou vécu.

«Lorsque tu voyages beaucoup, les problèmes de frontières et de visas apparaissent de façon très tangible. Moi, si on m’enlevait le droit de circuler, ce serait dramatique. Pendant ces quatre ans, ma situation s’est un peu rapprochée de celle des clandestins, même si je suis bien sûr un clandestin de luxe, parce que je peux choisir de partir ou de rester, et parce que je n’ai pas de soucis matériels»,

…explique-t’il aux Inrockuptibles, toujours en 1998.

Virgin, sa maison de disque depuis la Mano, veut le faire signer pour un disque et avance 650 000 francs pour qu’il retourne en studio.
Manu finit donc par rentrer avec dans ses valises 67 chansons composées pendant son périple. Il enregistre ce qu’il pense être le tout dernier album de sa carrière. Et fait appel à Renaud Letang, un jeune producteur, qui a déjà travaillé avec Alain Souchon notamment.

L’album est quasiment prêt mais, coup du sort, un bug informatique fait capoter l’enregistrement. Un album tout entier de foutu !
Il a un peu la scoumoune, le Manu !

Greg nous en parlera plus longuement mais on va voir que ce sera finalement peut-être une chance. Renaud Letang va en effet remixer l’entièreté du disque, ce qui lui donnera cette couleur et sonorité assez unique et nouvelle.

Manu en est persuadé, ce disque signe son adieu à la musique. En effet, encore quelques jours avant la sortie du disque, en avril 1998, il disait aux gens qu’il croisait que « Clandestino est juste une maquette ». Mais à sa grande surprise, le disque est un énorme succès et sa carrière prend un nouveau départ.

Avec ce disque, Manu Chao surprend et va à la rencontre d’un autre public, plus porté vers la musique latine.
Il va aussi décevoir certains fans de la Mano Negra, les amoureux du patchanka (mélange de punk, de rock, de rap, de reggae, de ska, de raï, de soul music, de samba, de ballade, soit le style musical défini par la Mano Negra).
Mais en ramène de nouveaux : ceux qui trouvent dans la « Malegria », un mélange entre la Mala Vida (la « mauvaise vie ») et « l’Alegría » (« la joie »), une raison de s’accrocher aux chansons tristes, joyeuses, pleines d’espoir et de détresse.

Manu chante ceux qui n’ont pas de papiers, les frontières où l’on attend et on joue son destin, la marijuana encore illégale, les guerriers qui combattent la grande Babylone, les racines qu’on chérit mais qu’il faut savoir transcender, les peines de cœur, les copains, la vie un peu foutraque mais belle à laquelle on cherche à donner un sens.

Manu Chao sans la Mano, c’est la pop, reggae, rock, électronique, latino. Le son qui vient de Bogotá, de La Havane, de Rio de Janeiro, de Mexico, d’Algérie, de Buenos Aires, de Galice, de Barcelone, de la banlieue de Paris, de Tijuana. Manu Chao est de partout. “Il est comme la raie dans la mer, courir est son destin” (ouais, je sais, bilingue espagnol).

L’album connaît un énorme succès en France, en Espagne, en Italie, au Québec et en Amérique du Sud. Le disque devient le deuxième album le plus vendu en France (derrière notre ami Francis Cabrel), et ce malgré les refus initiaux de NRJ, de RTL2 et d’Europe 2 de programmer Clandestino, trouvant que « les chansons ne rentraient pas dans leur format ». Pour la première fois depuis des années, Manu Chao arrive à poser ses valises quelque part et se fixe alors à Barcelone, répétant beaucoup avec son groupe Radio Bemba.

Pour sa promo, Manu se fait rare, choisit ses médias et adopte une stratégie marketing discrète. Et ça lui réussit puisque le disque est numéro 1 pendant plus de 180 semaines. Clandestino s’installe durablement parmi les meilleures ventes françaises pendant des années. Et surtout, il devient un porte-drapeau, le visage de l’altermondialisme et de tous ses combats. Un rôle qu’il n’aime pas beaucoup.

Dans Courrier international, il explique :

« On m’a collé cette étiquette de porte-drapeau du mouvement altermondialiste parce que je suis allé manifester à Gênes et que les « alter » aiment bien mes chansons. La presse avait besoin de trouver une tête d’affiche et c’est tombé sur moi, mais je ne suis ni un symbole ni un porte-parole. Je suis musicien. »

Et puis, on n’oublie pas que Manu Chao est signé chez Virgin, une maison de disques puissante. Le système, Manu l’a intégré et en fait partie. Il le sait et répond à ses détracteurs. On écoute un extrait d’”Envoyé spécial” qui a suivi Manu Chao en tournée en Russie en 2002

INSERT — ITW Envoyé Spécial
(de 9’30 à 10’27)

Manu : Ouais sauf que quand il enregistre des sons à la volée de musiciens croisés sur les routes, il ne les crédite pas sur l’album ! C’est un malin Manu !

Le making-of de "Clandestino"

Manu : D’ailleurs Grégoire je me tourne vers toi parce que tu vas nous raconter l’enregistrement de Clandestino, une histoire assez dingue qui commence en Amérique latine.

Oui on est après 1994 et la rupture avec la Mano, Manu Chao, guitare sur le dos commence à bourlinguer entre Rio, Buenos Aires, La Havane, Mexico ou encore Bogota, une ville qui l’a beaucoup inspiré. Pendant 4 ans, Manu va se créer une sorte de carnet voyage sonore avec un mini studio portatif, on le rappelle on est dans les années 90, le home studio se démocratise et Manu Chao qui veut s’émanciper de l’enregistrement studio classique trouve ici la liberté qu’il recherche. Petit point sur son matos (je sais que Manu apprécie) : DAT (c’est un format cassette amélioré, un micro, un huit pistes, une boîte à rythme, 1 casque et un radiocassette pour écouter immédiatement ce que l’on vient d’enregistrer) et enfin un ordinateur portable. ET donc c’est avec ce matériel que Manu se balade pour chasser l’instant, enregistrer des musiciens de rue, des émissions télé, des conversations dans des bars, il explique d’ailleurs cette manière de travailler à Anne Sinclair dans une émission qui s’appelait le choc des cultures sur France 3, c’était en en 2002

INSERT — ITW Anne Sinclair

Manu : Et donc Greg, Manu Chao se retrouve avec toute cette matière première accumulée pendant 4 ans, c’est le méga bordel, il va falloir — faire du tri là-dedans !

Oui exactement et cette phase se déroule à Sèvres, dans sa banlieue natale dans un studio que Manu Chao bricolé, une petite pièce tapissée de vieux tickets de concerts des Clash et d’affiches de combats de catch au Mexique. La partie mixage elle aura lieu au studio Ferber dans le 20ème. Pour l’aider à faire le tri dans cette masse d’enregistrements, Manu Chao appelle à la rescousse le jeune ingénieur du son Renaud Letang, également natif de Sèvres et qui s’est fait un nom en travaillant sur l’album « c’est déjà ça » d’Alain Souchon ou encore sur les concerts de Jean-Michel Jarre. Les deux compères vont extraire 40 morceaux de cette matière première, des titres qui seront également utilisés pour l’album suivant, Proxima estacion.

A l’époque Manu Chao veut faire de cet album un disque d’électro, il est passionné depuis plusieurs années par la techno hardcore, d’ailleurs après la fin de la Mano Negra il va à Londres pour collaborer avec le groupe LEFTFIELD, un groupe qui fusionne house, dub et reggae, mais l’expérience ne donnera rien :et donc Clandestino aurait dû ressembler un disque électro un peu sale et énervé sauf qu’un bug informatique va en décider autrement. Non pas le bug de l’an 2000 mais le bug Clandestino. Renaud Letang perd tous les beats électroniques qui devaient habiller l’album, ne reste que l’ossature des morceaux, des maquettes dira Manu Chao de manière un peu ironique, ne reste que l’essentiel, de courts morceaux un peu naïfs et bricolé qui fleurent bon le charango et les cuivres mariachi qui rappellent aussi le côté un peu déglingué de certains morceaux de la Mano Negra, comme King of the Bongo repris sur Clandestino.

Manu : Malgré tout Clandestino emprunte des éléments à la culture électro

Oui comme l’utilisation de samples, on peut citer par exemple citer celui du titre “Tell me is it true” groupe de reggae britannique UB 40 utilisé sur “Mentira”.

INSERT — UB40 vs Mentira

Et puis il y a tous ces éléments sonores qui vont agir comme des gimmicks et que l’on va retrouver sur plusieurs morceaux avec cette impression de voir défiler devant nos yeux un seul et même film sonore, un grand mix ininterrompu… Finalement, derrière ces allures de disque acoustique, on a en fait affaire à disque d’électro, du pur collage explique Renaud Letang, on prend un bout de percussionniste de Rio dont on fait une loop avant de les faire jammer avec des musiciens mexicains, on ajoute des cuivres et des basses avec pro tools et on progresse de cette façon un peu comme du lego. D’ailleurs, c’est comme cela qu’est construit Clandestino, avec cette superposition de voix qui finissent par s’entremêler, le tout enveloppé avec ce grain sonore très marqué, un peu comme si on écoutait un vieux 78 tours sur un gramophone.

Et ce patchwork sonore, il traduit bien aussi l’époque dans laquelle est crée Clandestino, Selon Véronique Mortaigne dans son livre intitulé « Un nomade contemporain » Manu Chao illustre avec ce disque l’émergence de la société de l’information, d’une planète bavarde qui sans cesse digère des flux continu de mots, de bruits et de communications.

INSERT — Mentira fin

Manu : Et Greg cet album Manu Chao le décrit comme un disque de « malegria », c’est quoi la malegria ?

La malegria c’est un néologisme inventé par Manu Chao qui signifie littéralement la « maljoie », une sorte de saudade à l’heure de la mondialisation. C’est une manière de décrire un son à la fois festif et pessimiste car derrière ses airs nonchalant, Clandestino met évidemment au centre de son discours la question des migrants, des villes frontières où les illusions s’envolent comme dans Tijuana. Le disque parle aussi de rupture amoureuse avec le célèbre « je ne t’aime plus » chanté en duo avec Anouk Khelifa, son amour de jeunesse, ancienne choriste de la Mano Negra et avec laquelle il renoue à cette époque.

Et puis Clandestino on peut dire que c’est aussi un autoportrait de Manu Chao, une série de cartes postales nostalgiques de la vie de ce nomade insaisissable, une vie qu’il décrit dans el desaparecido, le disparu.

INSERT — Desaparecido

L'univers visuel de Manu Chao

Manu : Alors on vient de voir un patchwork d’influences dans la musique de Manu Chao, est-ce qu’on reste sur la même tonalité niveau image, Fanny ?

Fanny : Oui je crois qu’on peut dire ça. Le côté nomade de Manu Chao, son côté « voyageur sans frontières » est plutôt bien retranscrit dès la pochette de Clandestino, qui est d’ailleurs très bien composée visuellement. Dans la moitié gauche on peut voir un portrait en pied de Manu Chao adossé à un vieux mur fissuré. Il porte un baggy noir, une chemise rayée rouge et blanche ouverte jusqu’au nombril et un bonnet péruvien. Derrière lui sur le mur on devine une vieille peinture qui semble représenter de grandes feuilles d’arbre vertes, couleur que l’on retrouve dans la moitié droite de la pochette où le nom du chanteur est comme peint au pochoir sur le mur. Sous ce nom, en plus petit on a le titre de l’album et un sous-titre qui dit «Esperando la ultima ola… » : en attendant la dernière vague.

Quand tu vois cette image, tu te dis que tu es en Amérique latine, le vieux mur rappelle Cuba, les couleurs choisies sont celles du drapeau mexicain. Il y a déjà visuellement une volonté de s’ancrer dans l’idée du voyage, voire même du vagabondage. Il manque plus qu’un petit ballotin avec ses affaires au bout d’un bâton ! Grâce à cet artwork, on peut citer aussi un gros point commun entre Manu Chao et Rage Against the Machine, est-ce que quelqu’un sait ce que c’est ?

les autres : (…)

Et bien figurez-vous qu’on retrouve par-ci par-là des petites étoiles rouges ou noires, qui sont le symbole de l’armée zapatiste mexicaine de libération nationale ou EZLN, fameux courant politique anarcho-communiste cher à Zach de la Rocha et dont on a parlé dans notre épisode sur RATM ! Le petit côté altermondialiste n’était pas pour déplaire non plus à Manu Chao, qui nous glisse donc des petites étoiles rouges partout discrétos. Enfin pas tellement discrétos puisque dans les remerciements à l’intérieur du livret, y’a écrit que l’album est « dedicado a EZLN (Mexico) » en premier, puis la Caravane des quartiers (FR), une asso qui va dans les quartiers avec des spectacles de toutes sortes pour recréer du lien et de la solidarité, puis le mouvement musical galicien Galizia Bravu. Une manière claire et nette de montrer son soutien aux causes qui lui sont chères.

Manu : 2ème point commun avec RATM ? Manu Chao a fait leur première partie à Coachella en 2007 avec son groupe Radio Bemba devant plus de 70 000 spectateurs dont quasi aucuns ne le connaissaient ! Pas mal !!

Grave ! Bon refermons la parenthèse zapatiste pour revenir à l’artwork de l’album qui contient aussi plein de collages et dessins fait à la main par Manu Chao, dans un style très folk art facilement reconnaissable aux couleurs vives, jaunes, rouges pur qui semblent sortir tout droit du tube de peinture. Ça pique un peu les yeux mais c’est aussi très joyeux. Créditons maintenant ceux qui doivent être crédités : au graphisme, je cite Monsieur Frank Loriou, qui a été chef du service graphique de Virgin entre 1997 et 2000. Depuis 1999, c’est aussi lui qui gère la direction artistique des couv’ du magazine Rock’n’Folk. Un nom connu du graphisme dans l’industrie musicale, et à qui l’on doit de très nombreuses pochettes pour Yann Tiersen, Air, JL Murat, Higelin père et fils, Dominique A, bref beaucoup de beau monde.

Les photos de la pochette, elles, ont été prises par le photographe français Youri Lenquette, qui a une très belle carrière dans la photo de rock, les Clash, le Gun Club, Noir Désir, Iggy, Pop, Lou Reed, Nick Cave tous les grands sont passés devant son objectif. Quand j’ai vu son nom d’ailleurs j’ai tiqué, ça me disait quelque chose ! Et effectivement, je suis déjà tombée sur le travail de Lenquette y’a quelques années parce que c’est lui qui a pris les toutes dernières photos pro de Kurt Cobain en février 1994, quelques semaines avant son suicide. La fameuse séance prémonitoire où il joue avec un flingue. C’est fou !

Je vous conseille de faire un petit tour sur son site officiel, y’a plein de super portraits à découvrir. Youri Lenquette a beaucoup suivi la Mano Negra pendant les années 90, il est parti avec le groupe lors d’une traversée de la Colombie en train où ils faisaient des stops dans plein de petits bleds perdus pour jouer. C’est donc un personnage familier dans l’entourage de Manu Chao, qui naturellement fait appel à lui pour son album solo.

Manu : Il a l’air plutôt fidèle dans ses choix de collaborateurs le Manu, et il me semble que ça se confirme avec le réalisateur du clip Clandestino…

Oui tout à fait. Le réa s’appelle François Bergeron, c’est un cinéaste indépendant qui a pas mal oeuvré dans le rap, il a bossé avec IAM, NTM, Doc Gynéco, avec les Béruriers noirs aussi dans un autre style. Et surtout, il a bossé à plusieurs reprises avec Mano Negra dès le début des années 90, c’est lui par exemple qui a fait le documentaire Amerika Perdida en 92 qui suit le groupe en tournée. Il a fait d’autres projets avec la Mano et retrouve donc Manu Chao quelques années plus tard pour le clip de Clandestino.

INSERT — Clandestino

La vidéo de Clandestino est une illustration assez littérale des paroles scandées par le chanteur, qui font référence à la migration des populations pauvres du Sud vers l’hémisphère nord pour trouver du travail. Cette main d’oeuvre illégale, sans papiers, clandestine qui travaille au noir, l’expression mano negra vient d’ailleurs de là.

Dans le clip on peut voir une succession de plans rapprochés sur les visages de personnes du monde entier qui semblent marcher dans notre direction, en suivant Manu Chao. Certains brandissent des papiers à la caméra, des passeports, des cartes d’embarquement, des photos de famille. Autant de preuves de leurs origines, de leur identité. La vidéo comme la chanson questionnent la liberté de circulation, la violence des systèmes judiciaires qui décident de ce qui est légal ou non. Mine de rien, en quelques courtes minutes, Chao et Bergeron arrivent à faire passer un message politique fort à l’Union Européenne d’alors. Quelle politique d’accueil voulez-vous mettre en place ? Voulez-vous être dans le rejet ou l’acceptation de l’autre ? C’est un vaste sujet, mais avec cette chanson et ce clip Manu Chao remplit avec brio sa mission d’artiste, qui utilise modestement l’audience qui lui est donnée pour faire passer des messages.

Pour terminer, je fais une mini parenthèse sur les autres clips extraits de l’album Clandestino, qui sont nombreux puisqu’il y en a 5 en tout mais qui tous parlent à leur manière de voyage, de diversité, de multiculturalisme et qui célèbrent la beauté du monde. Une manière de dire qu’on est plus forts quand on est ouverts sur les autres, curieux, tolérants et qu’on laisse nos préjugés au placard. Oups là c’est moi qui en profite pour faire passer un message. Peace everyone, on sera toujours tous le Clandestino de quelqu’un !

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “