Voilà pour les 10 titres de L’Autre. C’est donc le troisième album studio de Mylène Farmer. Il sort le 8 avril 1991, en vinyle, Cassette, CD et Minidisc chez Polydor, une division de Polygram qui deviendra plus tard Universal.

Alors en 1991, on retrouve Mylène dans les bacs aux côtés de l’album “Engelberg” de Stephan Eicher, aux côtés aussi du triple live de Francis Cabrel, de “Si ce soir” de Patrick Bruel ou de la new age d’Enigma, qui mélange de la dance et des chants grégorien. C’est la grosse tendance du moment. Il y a aussi Lagaf, Les Inconnus et les Musclés mais le plus marrant cette année-là c’est pas la Zoubida, c’est “Ocarina”, l’album instrumental de Audin et Modena qui se classe pendant 32 semaines ! Vous voyez ce que c’est ou pas ?

Côté cinéma en 91, on va voir des vrais gars bien musclés : Schwarzy dans “Terminator 2” et “Un flic à la maternelle”, Kevin Costner dans “Danse avec les loups” et “Robin des bois, prince des voleur, et Gérard Jugnot dans “Une époque formidable” ! Moi à cette époque j’ai 6 ans.

Manu : On va donc vous raconter l’histoire de Mylène, avec toi Olivia. Et autant mettre tout suite les choses au clair hein : Si elle est depuis des années l’une des chanteuses françaises les plus populaires, Mylène Farmer est pourtant née… au Québec !

Mylène Jeanne Gautier naît le 12 septembre 1961 à Pierrefonds dans la région de Montréal. Elle passe ses huit premières années au Québec où son père, Max, ingénieur des ponts et chaussées, a été muté pour travailler à la construction du barrage de la Manicouagan. En 1969, la famille retourne vivre en France et emménage à Chaville, en banlieue parisienne. A peine rentrée, la petite Mylène demande à ses parents de lui payer des séances chez l’orthophoniste pour gommer son accent québécois.

Adolescente, elle est plutôt solitaire et garçon manqué. Elle rêve de devenir prof d’équitation et de créer un centre hippique pour les enfants handicapés, à qui elle rend régulièrement visite à l’hôpital. Hélas, une chute à cheval va l’empêcher de poursuivre son rêve.

Deux jours seulement après la rentrée en terminale, elle quitte le lycée et déménage à Paris. Elle s’inscrit au cours Florent pour devenir comédienne. Elle aurait notamment joué le rôle de zézétte dans une reprise de la pièce « Le père Noël est une ordure »… on a un peu de mal à imaginer ! C’est une période où elle enchaîne les petits boulots dans le mannequinat pour des catalogues ou des publicités.

J’en ai maté quelques unes d’ailleurs, c’est chant-mé elle fait la promo de la Caisse d’Epargne, le Chat Machine, le Loto… Et puis, elle va faire LA rencontre qui va tout changer : un certain Laurent Boutonnat

Jérôme Dahan et Laurent Boutonnat cherchent une interprète pour leur chanson Maman a tort. Ils organisent un casting pour lequel une dizaine de jeunes filles se présentent. Selon Boutonnat, je cite, « ça a été elle tout de suite. (…) On aurait juré qu’elle sortait de l’hôpital avec ses cheveux longs, à la limite de la psychose ».
La chanson devient le succès de l’été 1984 avec plus de 100 000 exemplaires vendus en quelques semaines. Avec l’argent qu’elle gagne grâce à ce succès, elle s’achète …. un singe qu’elle baptiste ET !

Insert – Maman a tort TV Jour J

Son premier album, Cendres de lune, paraît en 1986, porté par le titre que l’on a tous en tête Libertine. Mylène Farmer apparaît avec les cheveux roux pour la première fois. Cette couleur va devenir sa signature, ce qui va la distinguer des autres chanteuses. Libertine, appuyé par un clip inspiré du film Barry Lyndon de Kubrick dans lequel elle apparaît nue fait scandale. Énorme succès : elle entre alors pour la première fois dans le Top 50 où Libertine restera classé pendant six mois !
INSERT – Libertine

Fin 87, son tube Sans contrefaçon atteint directement la deuxième place du Top 50. Mylène qui écrit désormais ses textes s’impose comme une valeur sûre. Et ça va se confirmer quelques mois plus tard au printemps 1988 avec son 2e album, Ainsi soit je….: no 1 des ventes, il devient le premier disque de diamant remis à une chanteuse et s’écoule à 1 800 000 exemplaires, notamment grâce au single Pourvu qu’elles soient douces, qui devient son premier single no 1 : il s’en écoule près de 100 000 exemplaires par semaine. Mylène Farmer remporte la Victoire de la musique en tant qu’artiste de l’année.

Il faut attendre mai 1989 pour que Mylène Farmer entame sa première tournée, Tour 89. Un vrai show à l’américaine, dans un décor de cimetière ! Après une semaine au Palais des sports et une trentaine de dates en province, elle dévoile un titre inédit, À quoi je sers…. Elle termine sa tournée par deux soirs à guichets fermés à Bercy. Je rappelle que c’est sa toute première tournée et qu’il n’y avait quasiment aucun artiste français qui remplissait Bercy à l’époque.

Tout est allé très vite et très intensément pour Mylène. Il s’ensuit une période de doutes et de remise en question. Un passage à vide dont elle va avoir du mal à se remettre. C’est à cette période qu’elle va aussi changer de manager.

Elle part se ressourcer à Capri et à Bali, se passionne pour le dessin, la peinture et la poésie. Et puis, enfin, elle se remet à l’écriture d’un nouvel album toujours avec Laurent Boutonnat, son alter ego créatif.
Ils se remettent donc au boulot. L’enjeu est important : en à peine 5 ans, elle est devenue l’artiste féminine numéro 1 en France. Elle est attendue au tournant pour son grand retour. D’autant qu’elle a gardé un silence total avant la sortie de ce troisième album. Créer le manque et se faire rare, une technique qu’elle va continuer de mettre en place tout au long de la suite de sa carrière.

Manu : Alors à ce moment-là, nous sommes début 1991. Metallica, REM, Nirvana, Guns n roses, U2 ou encore Lenny Kravitz squattent le sommet des charts. Et puis, le 7 mars, une bombe débarque sur les radios :
INSERT – Désenchantée

Bien qu’elle se soit toujours défendue de toute allusion politique, cette chanson fait écho au contexte assez morose de l’époque. C’est l’heure des désillusions : Mitterrand a été élu pour un second mandat deux ans auparavant avec pour slogan de campagne « Génération Mitterrand ». On est en pleine guerre du Golfe ; on commence à parler du scandale du sang contaminé ; les étudiants manifestent contre la loi Jospin… bref, c’est pas la joie !
Mylène parle de chaos, de solitude, de nihilisme et de renoncement. Cet état d’esprit fait résonance à un ressenti général. Elle devient alors la chanson d’une génération, un hymne fédérateur.

Et son plus grand tube en France : figurez-vous que Désenchantée est la chanson la plus diffusée en 1991. Le single se vendra à plus de 1 300 000 exemplaires ! Mylène s’installe simultanément à la première place des tops singles et albums respectivement neuf et vingt semaines consécutives. Une prouesse très rare en France ! A l’étranger, elle est n°1 en Belgique, n°3 aux Pays-Bas, n°16 en Autriche…

Je vous ai fait un petit tour de ce que la presse de l’époque avait écrit sur cette chanson :

« Jamais un 45 tours n’aura provoqué autant d’émoi dès sa sortie. » (Top secrets)
« Une pépite. Un titre à rendre nerveux les éléphants du PS. » (L’Humanité)
« Lisse, droite, synthétique et disco, cette chanson est désarmante d’immédiateté et monstrueusement tubesque. » (Star Music)
« Peut-être la plus efficace des chansons de Mylène. » (Picsou Magazine)

Et puis l’album, L’autre… , va suivre quelques semaines après, le 8 avril. C’est aussi évidemment un énorme succès : Il sera numéro 1 du TOP ALBUM pendant 5 mois c’est du délire !

Il demeure la meilleure vente d’albums de la chanteuse avec plus de 2 millions d’exemplaires écoulés. Les singles Regrets (en duo avec Jean-Louis Murat), Je t’aime mélancolie et Beyond My Control, atteignent eux aussi les sommets du Top 50, et Mylène Farmer obtient le titre de « Meilleure artiste française » aux World Music Awards.

Mylène persiste dans son style original, impose des morceaux de plus de 5 minutes très loin des formats radio. Elle apparaît avec sa nouvelle coupe de cheveux coupé court à la garçonne. Elle devient cette héroïne asexuée à la gavroche.

On remarque bien sûr une certaine continuité avec les précédents albums mais aussi une rupture dans son écriture : après la poésie et les illusions, Mylène donne une touche plus intime, plus existentialiste à ses textes. Si par le passé, ses paroles étaient volontairement provocatrices (La sodomie dans Pourvu qu’elles soient douces, l’homosexualité dans Maman a tort, l’identité et le genre dans Sans contrefaçon… ), Mylène fait désormais le choix de la subtilité et des double sens.

L’autre, le titre de cet album donc, c’est aussi une évocation à la schizophrénie, à la double personnalité qu’elle va beaucoup utiliser lors de la promo.

A l’époque, Mylène accepte encore de jouer le jeu de la presse : elle fait les couvertures de Télé 7 jours, de OK !, de Télé Poche, de Podium… Elle va défendre son album chez Sabatier, chez Foucault, chez Nagui sur RTL. Elle acceptera aussi de participer à la toute nouvelle émission de Laurent Boyer, Pour un clip avec toi, qu’elle reçoit sur le tournage de la vidéo de Désenchantée.

Elle fera également son tout premier JT du 20h, le 11 avril 91 présenté alors par PPDA. On s’en écoute un court extrait :
INSERT – ITW PPDA

Manu : Bon c’est toujours un peu laborieux avec Mylène en promo vous allez le voir, on vous fera écouter d’autres extraits. Olivia, et si tu nous parlais maintenant de la tournée qui a suivi la sortie de cet album ?

Olivia : Et bien, ça va aller assez vite car … il n’y en a pas de tournée ! Je l’ai rapidement évoqué tout à l’heure mais Mylène est ressortie assez éprouvée des deux lives à Bercy en 89. Elle avait même dit qu’elle ne remonterait probablement plus sur scène tellement elle a ressenti les choses intensément. Du coup pour faire patienter les fans, elle sortira en novembre 92, « Dance remixes », un album de remix qui reprend tous les singles de ces trois premiers albums en version longue. Elle en vendra tout de même plus de 400 000 copies !
C’est aussi à partir de cette époque qu’elle va commencer à se faire de plus en plus rare dans les médias, on ne la voit plus qu’au JT de 20h. A chaque fois c’est un évènement. Une stratégie mise en place par son nouveau manager Thierry Suc et qu’elle continue d’appliquer avec succès aujourd’hui.

Il faut aussi évoquer un tragique événement qui lui fera prendre pas mal de distance vis-à-vis de son personnage public : en novembre 1991, Laurent Berger, un fan obsédé par Mylène, s’introduit dans les locaux de sa maison de disques et tue d’un coup de fusil le réceptionniste de Polydor, Jean-François Pigaglio, car celui-ci refusait de lui donner l’adresse de son idole. Mylène Farmer est profondément choquée par ce drame et ne souhaitera plus s’exposer autant par la suite.

Manu : Ca me rappelle un peu ce que Björk a vécu

La suite, vous la connaissez : Mylène Farmer est aujourd’hui encore et toujours l’artiste féminine française qui a vendu le plus de disques depuis 84. C’est la seule chanteuse française à avoir rempli deux fois le Stade de France. Elle détient le record du nombre de NRJ Music Awards (9 trophées à ce jour) pour une chanteuse ; le record du nombre de disques de diamant pour une chanteuse.
C’est elle aussi qui possède le record de rapidité pour la vente de deux concerts en France (160 000 places vendues en moins de 3 heures pour deux concerts au Stade de France).

C’est complètement fou, surtout en France où on a pas l’habitude. Mylène Farmer elle s’est contruite une image ultra maîtrisée et des tournées XXL, à l’américaine quoi ! Je ne sais plus qui disait ça, c’est Mylène à cette époque c’est l’équivalent de Michael Jackson à l’échelle de l’hexagone.

Et aujourd’hui après 40 ans de carrière elle est partout ! Tu as toute une génération d’artistes qui n’était même pas née à l’epoque « Désenchantée » qui reconnaissent son influence. Je pense par exemple à Joanna, à Regina Demina ou encore Muddy Monk ! Il y a Pomme, Rebecca Warrior, Juliette Armanet aussi qui l’ont reprises

Bref la Mylène c’est devenu un mythe.

Manu : Allez, on va maintenant faire un tour avec toi Greg dans l’obscurité des studios, à l’âge d’or des synthétiseurs. Et quelque chose me dit que ce n’est pas pour te déplaire !

On va donc parler de la réalisation de l’autre.. On l’a compris il sort pendant une période charnière, c’est-à-dire 1991, c’est le futur même si ça sent encore un peu les années 80… Mylène est déjà une star elle sort de sa première tournée

Mais on sait pas encore s’ils vont être capable de se réinventer et d’anticiper avant tout le monde le son des années 90

Petit rappel au début de sa carrière, Boutonnat et Jérôme Dahan son pote compositeur, sont pas d’accord sur la direction à suivre pour l’artiste… Jérôme Dahan veut plutôt l’orienter vers du Lio… D’ailleurs la chanson maman à tort avait été écrite pour Lio, ça s’entend un peu..
Mais Boutonnat et Mylène ont plus d’ambition et visent plutôt Jeanne Mas….

Insert – Jeanne Mas “en rouge et noir”

Aujourd’hui ça nous paraît cul cul, ça sent la fête de village…. Mais Jeanne Mas elle était rock and roll, elle avait un groupe de punk, elle est sapé en cuir avec du maquillage, elle a une attitude et c’est un petit peu un exemple pour eux… Mylène et Boutonnat vont donc se séparer de Jérôme Dahan pour faire du Jeanne Mas avec Mylène…

Et ils vont plutôt bien le faire : en 1986 y’a le single “Libertine » qui sort, et puis dans l’album d’après on a « sans contrefaçon » « pourvu qu’elle soient douces » « ainsi soit-je » « sans logique »
Bref tous les plus grand tubes de Mylène, ceux qui passent encore sur Nostalgie, ceux qui sonnent encore le passé, ceux qui sonnent pas encore 90

Insert – Pourvu qu’elle soit douce

Bon alors… Encore alors encore une fois si c’était Jeanne Mas qui chantait on verrait pas spécialement la différence…. Ecoutez bien comment est traitée la voix de Mylène on en reparlera après….

Voilà le bilan de la carrière de Mylène fin 80.. on a des super titres, une Mylène qui s’est affirmé en tant qu’artiste, plus besoin de ressembler à Jeanne Mas. Mega succès, elle sort de sa première tournée alors qu’à la base c’est pas une artiste qui s’est faite en écumant les petites scènes mais plutôt en studio…

Manu : Alors on en a parlé tout à l’heure, après sa première tournée c’est un peu la baby blues pour Mylène mais elle finit par repartir en studio pour s’attaquer à la réalisation de ce qui deviendra “l”autre”…

Mylène qui écrit les textes et qui chante mais elle reste très présente en studio.
A la réalisation on a évidemment Laurent Boutonnat, qui compose et programme… Et l’ingénieur du son Thierry Rogen qui va se greffer cette fois-ci à la réalisation auprès de boutonnat et je trouve que ça va s’entendre un petit peu…

Un petit mot sur Thierry Rogen, c’est un ingé son, qui a bossé avec plein de monde, notamment William Sheller, et Eric Serra pour la BO du Grand Bleu…

Et il se trouve que Thierry a déjà bossé sur « sans contrefaçon » avec Mylène et Laurent dans le studio qu’il a monté en 1986 le studio Mega construit dans un ancien bunker près de Boulogne.. Ambiance…. Le studio existe toujours mais il a emménagé et il s’appelle Omega maintenant il est très très beau….
A l’époque de sans contrefaçon Thierry est vraiment technicien. Mais les 3 s’entendent bien. Ils ont ce côté un peu dark tous les 3 et visiblement ils deviennent potes….
En toute logique : ils le rappellent pour le nouvel album..

Retour au studio mega dans le Bunker….. Pour 4 mois….

Pourquoi 4 mois ? parce qu’ils ne composent pas les titres avant dans leur home studio, ils ne font pas de maquettes…
En général Boutonnat arrive les mains dans les poches, et avec Thierry ils branchent des machines, ils rebondissent tous les deux sur leurs idées et ils avancent pas à pas.. Ils composent, ils programment, et ils enregistrent quelques musiciens…

Quand on regarde les crédits, on se dit qu’il y’ a pas eu beaucoup de passage dans le bunker… Y’a juste quelques requins de studios qui viennent vite fait pour enregistrer : Slim Pezin qui va faire des petites guitares rythmiques mais surtout pas le guitar hero, Bernard Paganotti quelques fretless basses, et Philippe Drahi qui vient faire uniquement de la caisse claire sur la fin de y’a pas d’ailleurs. Je pense qu’ils avaient la flemme de la programmer…

Après c’est vrai que dans les années 80 y’a pas mal de musiciens se sont fait voler leur travail par les synthétiseurs… Et les syndicats n’ont rien pu faire… De toute façon les batteurs étaient relous… affaire réglée…
Contre exemple avec la seule caisse claire de l’album faite à la main..

Insert – y’a pas d’ailleurs…

Est-ce que vous avez été attentifs aux voix ??? Vous auriez dû : je vous avais dit d’être attentifs quand on a écouté le premier extrait…

Manu : Une fois les compos faites, ils passent au travail des voix.

Et là, Thierry Rogen et Mylène passent beaucoup de temps ensemble pour faire plein plein de prises. A ce moment là Boutonnat va acheter des clopes parce que ça le gave cette partie, mais c’est pourtant très important
C’est un peu à ce moment-là qu’ils mettent en place ensemble un processus pour les voix de Mylène..
C’est à dire qu’elles chantent plusieurs fois les pistes qu’on dispose à droite à gauche dans l’espace stéréo, on noie de reverb.

Et ça fait le son de Mylène Farmer : c’est a dire qu’il y a plus vraiment de voix lead comme dans pourvu qu’elle soient douce.
Le lead est mélangé avec les backs pour donner ce son très aérien, angélique, diffus… Trouver l’adjectif que vous voulez…
Moi perso, je trouve que sur la longueur ça fait un peu la chorale du catéchisme de Vaucresson… Mais il faut reconnaître que ça marche pour Mylène.

Quand ils finissent un titre, les deux copains se retrouvent à faire des remix…direct… c’est étonnant mais selon la légende… Ils se dépêchent parfois de finir un morceau pour passer aux remix….
Coup de chance avec l’apparition du laser disc qui vient de sortir, ils peuvent faire de très longs titres…. D’ailleurs dans l’album y’a pas une chanson qui fait moins de 5 minutes…

Étape inattendue dans leur processus de travail : Ils reprennent les bonnes idées qu’ils ont trouvé dans les remix pour les incorporer aux versions single… En gros ils revoient la copie…

Manu : Bon on imagine que tout ça prend pas mal de temps…. 4 mois dans le bunker comme tu le disait pour faire la composition, les arrangements, la prise de son, le mixage. Et puis l’album sort et tout le monde est content quoi !

En me renseignant sur la création de cet album je me suis senti inspiré. Il pleuvait, il faisait froid dehors, j’écoutais Mylène pour préparer l’émission, j’ai eu le cafard. J’ai fermé les volets et j’ai allumé mes machines parce que j’ai voulu refaire chez moi le titre Désenchantée pour qu’on s’amuse tous ensembles à le décortiquer et juger s’il sonne différemment des albums des années 80…

J’ai trouvé des bouts de partition que j’ai réussi à coller dans mon ordi…On écoute le début soyez indulgents ça sonne pas exactement pareil….
1- Mega piano droit qui tient tout le morceau : Boutonnat fait souvent des intros qui vont droit au but….. là c’est le cas

2- Batterie, grosse boite à rythme type Roland TR909 on met plein de reverb dessus.. D’ailleurs on peut en rajouter tiens

3- la basse. Bon là on a viré le bassiste on l’a remplacé par le preset « lately bass » du Synthé yamaha DX7 qu’on connaît bien, c’est la basse de ace of base, haddaway, whigfield, bref toute la dance….

Là y’a une petite histoire sur cette basse, boutonnât à l’habitude de faire des basses de new wave à la croche… Et c’est Thierry Rogan l’ingé son qui travaille souvent sur de la Dance, et ça s’entend qui va faire groover un peu cette basse sur le refrain. La mettre à contre temps…. Donc il apporte vraiment quelque chose

4- Du coup quand on écoute le refrain avec juste basse batterie et piano…
Bah… Qu’est ce qu’on écoute là c’est Mylène farmer ou Paradision !!! Attendez on comprend plus rien y’a des accords majeurs, c’est de la Dance….

5- Voix de Mylène : ah bah non quand elle dit désenchantée, on entend plus du tout la dance ni les accords majeurs, on a juste le cafard : ok

On peut écouter vite fait les voix en solo…. C’est un truc que j’ai trouve sur YouTube c’est pas dingo mais on se rend compte qu’il y a pas de lead…

6- Bonus Boutonnat, c’est cette petite trompette…. Plus généralement c’est des sons aigues qui va utiliser avec un arpégiateur pour que ça casse la tête….

Ma conclusion perso c’est que je trouve que cet album il sonne encore complètement 80…. Il sent la new wave… Il est encore complètement dans la lignée des deux autres…. On sent vraiment l’ambiance du studio sans fenêtre avec des gens pâles…
Thierry Rogen, on vient de le comprendre il apporte un petit côté house music, voire Dance… Mais encore là encore on s’imagine plus dans un cimetière qu’à ibiza….

J’ai pas de problème avec ça, mais c’est leur troisième album et en gros il font toujours un peu la même chose.. Pour moi ils ont raté le coche des 90’s sur ce côté là, ce qui prouve que c’est pas hyper hyper original…

Je pense qu’ils ont eu un coup de flippe très peu de temps après. En 1992, un an après la sortie de l’autre ils font leur virage 90 alors que l’album le présageait pas du tout avec « que mon coeur lache ». Là y’a des guitares électriques, des batteries, y’a moins de reverb sauf sur les voix…. Même le clip fait par Luc besson est 90 y’a Jesus christ qui fait tomber un crucifix sur Michael Jackson. Y’a des guitares électriques là c’est vraiment 90….

Insert – Refrain que mon coeur lâche

Manu : Waa nan mais quel boulot ! Merci Greg. C’est génial maintenant tu vas pouvoir recomposer tous les albums des 90s. On se lance un défi, tu lances sur quoi pour le prochain ? de la hard-tech ? du néo-métal ? Larusso ? 🙂

Et je confirme sur Anamorphosée, genre sur l’instant X ça n’a plus rien à voir. C’est très rock, il y a un petit côté Sheryl Crow sans toute cette reverb sur la voix. Moi j’aime bien.

Manu : Allez on va maintenant s’atteler à un vaste sujet avec toi Fanny, à savoir l’image de Mylène Farmer et son univers visuel !

Vaste sujet effectivement, ma mission ça va être de synthétiser les dizaines, les centaines de ressources que j’ai trouvé sur le sujet et pour ça d’emblée j’ai envie de saluer très sincèrement le travail hallucinant effectué par la communauté de fans de Mylène Farmer sur internet, qui vont recenser le moindre photoshoot, le moindre article, la moindre info sur sa carrière. C’est un niveau de précision que j’ai jamais vu sur AUCUN autre des artistes sur lesquels on a travaillé en plus de 40 émissions. Donc chapeau bas, je suis vraiment littéralement bluffée.

Donc dans toute cette formidable matière documentaire, j’ai trouvé plein de choses à vous dire ! Commençons par le commencement : l’importance de l’image chez Mylène Farmer. On a là une artiste qui vient du théâtre comme l’a dit Olivia. Et c’est sans doute pas anodin dans le fait que la mise en scène soit une dimension aussi importante de sa carrière. Mylène, c’est quelqu’un qui véhicule et développe une esthétique gothique et sulfureuse très forte à la fois dans les paroles de ses chansons, dans ses choix physiques, dans l’imagerie de ses clips et dans ses pochettes d’album.

Manu : On pourrait dire que ce côté gothique, c’est vraiment le fil rouge de toute sa carrière, dans toutes les dimensions de l’univers “Farmerien”…
Oui, un fil rouge, et même rouge sang ! Bon, moi qui aime bien la subtilité, j’avoue que chez le duo Boutonnat/Farmer, on fait pas dans la dentelle. Le gothique, ils vont le déployer à travers ses symboles les plus clichés : la mort, la brume, le sexe, le corbeau, le sang, les vampires, la noirceur… après tout, Mylène chante et clame tout haut sur cet album « Je t’aime mélancolie », même Robert Smith n’avait pas osé ! C’est la digne héritière du spleen baudelairien. La meuf est plus emo que l’inventeur du mot emo.

D’ailleurs, plus que gothique, je pense qu’on peut vraiment l’inscrire dans la tradition du Romantisme noir qui prospère dans les arts et la littérature au 19ème siècle. La première chose à laquelle j’ai pensé en regardant la pochette de l’album, c’est le poème Le Corbeau d’Edgar Allan Poe, qui est selon moi LE poème goth par excellence. Et la 2ème chose à laquelle j’ai pensé du coup, c’est ce passage sur la symbolique du corbeau que j’avais lu dans un de mes livres préférés : le Noir de Michel Pastoureau. C’est entre autre un historien des couleurs qui a écrit des ouvrages passionnants sur plein de couleurs, pas que le noir, mais si comme Mylène et moi vous avez une appétance un peu prononcée pour le darkness, alors il FAUT absolument que vous lisiez ce livre.
Dedans, j’vous résume, Pastoureau il dit en gros que le corbeau est devenu un oiseau diabolique synonyme de mort et de traîtrise au moment de la christianisation de l’Europe. Le corbeau était admiré du temps des Romains pour sa très grande intelligence et vénéré par les Germains dont c’était l’animal totem et qui lui vouaient un véritable culte. Quand les missionnaires chrétiens sont arrivés pour évangéliser ces peuples païens, ils ont fait la liste de tous les trucs animistes à discréditer, et en number one dans la liste des animaux sacrés, y’a eu le corbeau. Il est passé du roi des oiseaux au volatile de l’enfer real quick, c’est vraiment une sale histoire.

Manu : Pas cool pour les corbacs ! Et chez Mylène, il symbolise quoi le corbeau ?

On va écouter la principale intéressée nous en parler. Le 10 avril 1991, elle répondait à une question de Patrick Poivre d’Arvor sur le sujet, dans le JT de TF1 :
insert – JT TF1 corbeau

Bon comme PPDA a fait la description de pochette la plus claquée au sol de l’histoire du PAF, je vais la reprendre rapido pour vous : au recto on a un portrait de Mylène pris en studio à Paris par sa proche collaboratrice et photographe attitrée de l’époque Marianne Rosenstiehl.

Mylène apparaît dans le tiers bas de l’image, le visage posé au sol et le regard rivé droit vers nous. Le fond est blanc immaculé, elle même est habilée tout en blanc dans un costume du couturier japonais Issey Miyake. Pour rappel, au japon le blanc c’est la couleur du deuil. Seules 2 choses contrastent : le roux flamboyant de sa chevelure et le noir profond du corbeau posé sur son épaule.

Au verso de l’album, on peut voir le même portrait mais avec Mylène aux yeux fermés. A l’intérieur du livret qui a été designé par Com’N.B, alias Henry Neu, on retrouve la photo du corbeau détourée sur fond noir, passée en négatif et retouchée de manière à ce qu’il soit d’un orange incandescent, presque comme en flammes. Une drôle de prophétie autoréalisatrice quand on sait que le corbeau empaillé utilisé pour cette séance photo avait été loué chez le naturaliste Deyrolle, situé rue du Bac à Paris, et dont la boutique a brûlé en 2008. Le corbeau de Mylène était apparemment toujours présent dans la boutique à ce moment-là et a disparu dans cet incendie.

Manu : Alors faut quand même préciser un truc pour les auditeurs : on enregistre chez toi Fanny, on est entourés de papillons sur les murs et d’oiseaux empaillés sur la cheminée. Je vous jure c’est un truc de ouf ! Tu les as acheté où tes oiseaux, chez Deyrolle ?

Hahaha mais grave en plus, Deyrolle c’est une de mes boutiques préférées ! L’esprit de Mylène est parmi nous. J’ai moi-même été rousse pendant quelques années, je commence à nous trouver un peu trop de points communs, je commence à me demander si je suis pas un peu sa fille spirituelle.

Mais bon, sur ce, je continue ma chronique : on parlait de l’image de Mylène, on parlait de ce roux mais on a pas parlé de ce truc qui a fait couler beaucoup d’encre en 1991 : Breaking news, Mylène a changé de coupe de veuch ! Le truc marrant c’est que cette transformation a été documentée par Marianne Rosenstiehl. Sur le site Mylene.net on peut voir une vingtaine de photos prises en janvier 1991 dans le salon de Jean-Marc Maniatis et qui documente le moment où Mylène a troqué le catogan de Karl Lagarfeld pour son nouveau look androgyne moitié manga-moitié David Bowie. En décembre 1989 dans le magazine « Coiffure Beauté Internationale », elle prévenait d’ailleurs ses fans :
« Je vais peut-être couper mes cheveux ! La décision n’est pas facile à prendre mais j’aime beaucoup le style garçonne qu’avait Jane Birkin au temps de ‘Je t’aime moi non plus’. Vous me verrez avec des cheveux courts mais pas avant un an.

Je ne suis pas certaine que les médias se seraient arrêtés aussi longtemps sur cette histoire de cheveux si Mylène avait été un homme, mais toujours est-il que vraiment beaucoup d’interviews de l’époque parlent de ça. En plus les cheveux courts c’était hyper répandu dans les années 80, début 90, vraiment faudrait laisser les meufs tranquilles avec ça. Moi j’voudrais plutôt revenir sur ce roux, très théâtral, expressionniste même, qui est une vraie prise de position. La rousse dans l’histoire de l’art et à travers les âges, c’est la séductrice, la femme-démon, la sorcière. C’est la tentatrice qu’on retrouve chez les peintres Degas, Courbet, Toulouse Lautrec, c’est le vampire d’Edvard Munch. Une iconographie que ne se prive pas d’utiliser Mylène Farmer, dans le clip de « Beyond my control » où on la voit tour à tour sur un bûcher en mode Salem puis au lit en train de ken en mode liaisons dangereuses. Le clip est franchement érotique, j’me demande si sa diffusion sur M6 c’était pas tard le dimanche soir… si vous avez grandi dans les années 90, vous voyez exactement à quoi je fais référence !

Manu : Ouh yeah ! Oui c’est un clip très erotique et provoc dans la lignée de “Libertine”.

Bon en dehors du clip olé olé de Beyond my control, on a 3 autres clips réalisés par Laurent Boutonnat qui ont été tournés pour accompagner la sortie des 45 tours ‘Regrets’, ‘Je t’aime Mélancolie’ mais aussi et surtout celui sur lequel on va s’attarder et que vous attendez tous, j’ai nommé ‘Désenchantée’ !
pause pour insert désenchantée

La vidéographie de Mylène Farmer, c’est un élément incontournable de sa carrière et de son image. A l’époque, Mylène est la seule artiste avec Michael Jackson à proposer des objets vidéo qui ne sont pas seulement des clips mais de vraies productions cinématographiques avec un scénario, presque des courts métrages. Et c’est le cas depuis 1985, dès son 2ème clip pour la chanson Plus grandir. Donc oui la vidéo c’est vraiment un moyen d’expression privilégié pour Farmer et Boutonnat qui vont utiliser ce médium pour vraiment déployer leur univers visuel et rendre hommage aux cinéastes ou aux œuvres qui les inspirent. On va tout de suite écouter Mylène révéler à Laurent Boyer de quoi parle le clip de Désenchantée, puisque le journaliste était venu pour un reportage exclusif sur le plateau de tournage, l’émission date d’avril 91. Allez magneto Lolo !

insert – itw L. Boyer/ M. Farmer

Voilà on l’a entendu, le tournage de Désenchantée a lieu en Hongrie, à la fois sur le site d’une ancienne usine désaffectée en plein Budapest, puis à 50 km de là dans une plaine au nom trop compliqué pour que je m’aventure à le charcuter. C’est une grosse machine qui fait intervenir environ 50 personnes dans l’équipe technique et 120 figurants. L’histoire en quelques mots : c’est la misère !
Mylène est amenée en zonzon, elle se fait martyriser par une horde d’ados pouilleux, elle se fait martyriser par les gardes tout droits sortis du goulag, elle est au bout du roul’ mais heureusement ya son nouveau pote le gamin de 8 ans qui vient fumer une clope avec elle pendant que les rats s’éclatent sur son lit. Le lendemain, c’est le travail forcé, les coups et la cantine dégueulasse. Mylène trouve un cafard dans sa bouillie, elle la renverse sur la table et va demander une autre assiette à la gardienne qui lui répond :
« Silence la gueuse, prend ça et va ton chemin » !

ah non ça c’est dans Les Visiteurs, désolay j’ai confondu ! Bon dans le clip elle lui répond avec une bonne grosse claque dans sa tronche. Comme Mylène est de plus en plus désenchantée et que tout est chaos à côté, elle décide de lancer la révolution et fout la cantine sans dessus dessous avec tous ses petits camarades éclopés. C’est le dawa dans la prison, les gamins butent les gardes à coup de mitraillette et foutent le feu en courant partout. Ils finissent par s’échapper dans une scène épique qui rend hommage au tableau ‘La Liberté guidant le peuple’ d’Eugène Delacroix.

Alors là, soit option 1 : vous regardez le clip dans sa version courte de 6 minutes et ça se termine sur youpi on s’évade, on est libre !

Soit option 2 : vous regardez le clip dans sa version intégrale de 10 minutes et en fait une fois évadés, les prisonniers déboulent sur une grande plaine enneigée et désertique. Ils se déchauffent un peu, c’est le cas de le dire, mais décident de continuer quand même leur route vers peut-être la famine et la mort par moins 38 degrés. Elle nous avait prévenu Mylène qu’elle aime les fins tragiques !

Manu : C’est beau, mais c’est triste un peu. T’as pas un truc plus joyeux pour finir, une blague ou un truc ?

Alors non, j’ai pas de blague mais une dernière réflexion que je me suis faite pour clore ce chapitre sur l’image de Mylène Farmer. Y’a un truc que j’ai pas abordé, c’est son côté secret, en mode ‘pour vivre heureux vivons cachés’. A l’époque en 1991, Mylène est encore assez présente dans la presse mais j’ai été frappée en découvrant l’album d’entendre les paroles du tout premier morceau « Agnus Dei » dans lequel elle chante : Je m’éloigne de tout / Je suis loin de vous… Je parlais tout à l’heure de prophétie autoréalisatrice avec le corbeau de la pochette qui a fini brûlé, là c’est vraiment troublant, je trouve, d’avoir cette chanson qui annonce, j’ai l’impression, son futur retrait du monde médiatique. Peut-être que Mylène est véritablement une sorcière capable de prédire l’avenir. Ou peut-être comme le dit-elle souvent, qu’elle n’a pas besoin de s’exprimer davantage car tout est dit dans ses chansons…

Mais grave, on t’aime Mylène !