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The Notorious B.I.G “Ready to Die”

(1994)

EN QUELQUES MOTS

Biggie Smalls a mis du temps à se laisser convaincre par la carrière de rappeur. Il faut dire que les avances en dollars étaient ridicules au regard de ce que la vente de crack lui rapportait alors.

À cheval entre l’impératif de survie et la possibilité d’une île, Notorious B.I.G va enregistrer en 1994 ce que beaucoup considèrent comme l’album parfait. Il s’agit de “Ready to Die”, une réponse poids lourd au Gangsta Rap californien, produit par Puff Daddy. Le flow de Biggie fait des merveilles et le disque enchaîne les tubes de “Big Poppa” à “One more chance”, en passant “Warning” et bien sûr l’imparable “Juicy”.

Malgré un physique hors-norme, le personnage de Notorious BIG a fini par devenir une véritable légende. On peut le comparer aujourd’hui, 27 ans après sa mort, à Miles Davis, Bob Dylan ou Aretha Franklin, bref des artistes dont l’influence est si immense qu’elle s’apparente à une forme d’iconographie sonore fondamentale.

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Retour en 1994

Voilà pour les 15 titres de l’album original “Ready to Die”. 17 titres si on compte les plages dialogues et les interludes et 18 titres pour nos petits copains japonais, eux ont droit à un remix bonus. “Ready to Die” sort en CD, K7 et vinyle chez Bad Boys Records, le tout nouveau label créé par Sean “Puffy” Combs, qui se fera connaître plus tard du grand public sous le nom de Puff Daddy.

Alors revenons en 1994 on est en pleine rivalité east coast / west coast. C’est une véritable guerre à base de clashs qui commence en 1991 avec le “Fuck Compton” du New Yorkais Tim Dog et qui se terminera en 1997 avec le meutre de Notorious Big à Los Angeles.

1994 est une grosse année pour le rap, marquée par quelques poids lourds à l’est avec “Ill Communication” des Beastie Boys dont on a déjà parlé ici, “Illmatic” de Nas ou “Tical” de Method Man. Mais tout le monde a les yeux rivés sur Los Angeles et la côte ouest américaine, qui propose un son totalement nouveau avec “Regulate” de Warren G, “Gin and juice” de Snoop Doggy Dogg et le premier album de Coolio.

Au cinéma cette année-là, on va voir Forrest Gump, The Mask ou La Cité de la Peur. Moi je suis abonné au journal de Mickey et je commence l’album Panini du Roi Lion !

La story de Notorious B.I.G

Manu : Ready to Die sort en septembre 1994. Il reste à ce jour l’un des albums les plus importants de l’histoire du rap. Notorious Big a transformé la musique comme aucun autre rappeur ne l’avait fait. Presque 20 ans après son meurtre, il continue d’être une référence. Certains n’hésitent pas à le comparer à Bob Dylan, aux Beatles ou à Aretha Franklin, des artistes qui ont profondément et durablement changé leur monde.

Olivia : Ready to die, Prêt à mourir donc, est un album hanté par l’ombre de la mort. Obsédé par une fin que personne ne pouvait imaginer aussi rapide et fracassante – mais qui va s’avérer n’être que le début pour l’immense artiste qu’a été BIG. Et dès les premiers mots de l’album, le ton est donné :

INSERT — montage punchlines

« When I die, fuck it I wanna go to hell / cause I’m a piece of shit it ain’t hard to fuckin’ tell» // « Quand je mourrai, je veux aller en enfer, putain/parce que je suis un tas de merde, ça c’est certain.
«My baby momma kissed me but she’s glad I’m gone / She knows me and her sister had something going on» // « Ma meuf m’a embrassé, mais elle est bien contente que je meure / Elle sait bien que dans son dos, je me tape sa sœur »

On rit, on pleure. C’est triste, drôle, lugubre, brillant !
Laissez-moi vous parler de Notorious BIG !

Christopher Wallace est né le 21 mai 1972 à Brooklyn, dans une famille d’origine jamaïcaine. Il est le fils de Violetta Wallace et George Letore. Son père les abandonne rapidement.

Petite parenthèse : le nombre de pères absents dans l’histoire de la musique, c’est impressionnant ! Dans les films de Disney, les héros sont orphelins. Dans le rock et le rap des 90’s, les pères se sont barrés. Et les mères ont juste géré derrière. Bravo les mamans ! Enfin là, c’est un poil plus compliqué mais on va en reparler.

Son quartier, c’est St. James Place, C’est pas l’endroit le plus secure de Brooklyn, on va pas se mentir.

Christopher est l’un des meilleurs élèves de sa classe et remporte plusieurs prix en anglais. En surpoids, il est surnommé « Big » dès l’âge de 10 ans.
Il explique avoir commencé à vendre de la drogue à 12 ans. Sa mère, souvent absente à cause de son travail de prof, ne s’en rend pas tout de suite compte.
À 17 ans, il abandonne ses études et s’engage dans le business du crack. Un choix de carrière un peu …dangereux, qui va le faire passer par la case prison dès l’âge de 17 ans. Il prendra pour neuf mois. A sa sortie, il préfère se tourner vers la musique, sous le nom de «Biggie Smalls», pseudo emprunté à un personnage du film Let’s Do It Again, avec Sidney Poitier et Bill Cosby. Mais aussi en raison de sa stature : le grand gaillard mesure tout de même 1,91 m pour environ 150kg. Belle carrure !

Les ayants droit du film apprécient peu l’hommage et vont très vite lui demander de changer de nom. C’est ainsi qu’il devient Notorious BIG.

Il se lance donc dans la musique et réalise une démo avec un musicien du coin, Hit Man 50 Grand. Le son parvient aux oreilles de Mister Cee, un DJ de NYC en vogue, qui est emballé. Il fait passer la démo à Matteo Capoluongo (Matty C), qui s’occupe alors de la rubrique « Unsigned Hype » du magazine The Source, rubrique consacrée aux jeunes artistes non signés :

“Si tu veux te lancer dans le rap et que tu sais que tu as le goût et le potentiel pour faire de bons disques, tu n’as pas besoin d’aller en studio et de dépenser des sommes folles pour faire une démo. Tu n’as même pas besoin d’un 4 pistes ; il te suffit de deux platines et d’un micro, d’appuyer sur record sur le magnétophone et c’est parti.

B-I-G en est la preuve vivante. Venu tout droit de Brooklyn, le copain B-I-G balance la sauce avec un talent de malade. Ses textes sont encore plus énormes que lui.

Ses quatre premières prod étaient en fait une démonstration de freestyle. Il est bien évident que pour se faire connaître en tant que MC, il faut bien plus que des rimes, mais aussi des compétences qui sont l’ingrédient principal d’un véritable succès dans le hip-hop, et en ce qui concerne ces compétences, B-I-G en a à revendre.”

Ces quelques lignes attirent l’attention d’un certain Sean «Puffy» Combs, jeune producteur de hip-hop qui s’arrange pour le rencontrer. Sean Combs fait tout pour le faire signer avec Uptown Records. Au cinéma, le film “Notorious BIG” sorti en 2009 nous raconte justement comment Puff Daddy a réussi à embarquer Biggie. On s’écoute un extrait.

INSERT — extrait film 2009
https://www.allocine.fr/video/player_gen_cmedia=18897121&cfilm=130524.html

Dans la vraie vie, quand Diddy évoque sa première rencontre avec Biggie, on découvre que ça ne s’est pas tout à fait passé comme ça :

« La première fois que j’ai rencontré B.I.G., je l’ai amené chez Sylvia’s, un resto dans le Harlem Uptown. La première chose qui me frappe c’est qu’il était vraiment très grand et très noir. Je me souviens de lui en train de s’asseoir et ne rien avoir à dire. Donc vous êtes face à ce grand type qui a cette attitude « dans ta face », mais qui reste silencieux (…) Je lui demande ce qu’il veut manger, et il me répond « Nan ». Il ne voulait rien manger. C’est à ce moment que j’ai réalisé à quel point cet instant était important pour lui. C’était vraiment son rêve. Il ne pouvait rien manger. Il voulait vraiment que les choses se produisent. Et ça s’est produit. »

Et ouais, Diddy l’a compris tout de suite, BIG est une pépite. Son flow est unique, sa plume puissante et ses capacités d’improvisation apparaissent déjà comme totalement visionnaires.

Il connaît ses bases aussi, il est issu de cette génération qui a grandi avec Run-DMC, Big Daddy Kane et Rakim. Pour la génération précédente le hip-hop était encore une sous-culture. Celle de Biggie a vu le rap entrer dans la culture populaire. Il en est parfaitement imprégné. Et bien sûr, ça va tout changer !

Mais peu après la signature du contrat, Combs est renvoyé de Uptown Records. Il lance alors son propre label : Bad Boy Records.

Manu : Quelques mois plus tard, BIG sort son premier titre en solo, Party and Bullshit, qu’on retrouve d’ailleurs sur la BO du film Who’s the Man?

INSERT — Party & Bullshit

On va rapidement oublier le film mais Party and Bullshit, crédité sous le simple nom de BIG, marque les esprits. Le hook est une adaptation du classique de 1970, When The Revolution Comes des Last Poets.

Biggie s’en empare pour en faire un hymne de club et une apologie de la drogue. Car, oui, hélas, il ne s’en est pas complètement éloigné encore : en août 1993, sa compagne donne naissance à leur premier enfant, T’yanna. Ils se séparent quelque temps après et BIG se remet alors à vendre de la drogue pour subvenir aux besoins de sa fille. Combs l’apprend, il est furieux et le force à tout arrêter.

Manu : Mère malade, copine enceinte, ancien détenu, à 21 ans l’existence lui semble plus précaire que jamais. Et Biggie tente finalement le tout pour le tout. Nous sommes en août 1994, et il sort ce qu’il pense être son dernier single : Juicy

INSERT — Juicy

Le titre entre directement à la 27e place des charts. Ça va très très vite pour lui !
Et quand en septembre 1994 son album Ready to Die sort enfin, le buzz est déjà énorme ! Le petit de Brooklyn est adoubé par la scène rap east coast et apparaît déjà comme le sauveur du rap de New York.

Manu : Je rappelle qu’à l’époque, c’est clairement le rap West Coast qui domine la scène hip-hop avec des gars comme Warren G, Ice Cube, Dr Dre et évidemment Snoop Doggie Dog.

Ready to Die se place directement à la 13e place du Billboard 200 et est certifié quadruple disque de platine. Il est encensé par la presse spécialisée : The Source décrit l’album comme “une bombe” :

« La street credibility de Biggie est sur le point d’exploser à l’échelle nationale avec la bombe débile et malsaine qu’il a sorti cet été. Si vous cherchez de la poésie abstraite ou une sagesse profonde, passez votre chemin. Car Biggie a du style à revendre. Le ton, le timing, le jeu de rôle, les détails sont automatiques et parfaits. Impossible de retranscrire sur papier la magie de son flow. »

Et même Rolling Stone, pourtant assez peu fan de rap, lui donne 4 étoiles.

BIG devient le rappeur et artiste solo le mieux rémunéré des classements américains pop et rap.

1995 c’est SON année : il apparaît en couverture des magazines. Son nouveau single, One More Chance réalise la meilleure entrée ever pour un single hip hop dans le Hot Top 100. Aux Source Awards il est nommé dans les catégories meilleur artiste (solo), parolier de l’année, musicien live de l’année, et meilleur premier album de l’année ! Consécration ultime aux Billboard Awards, il devient musicien de l’année. Plus rien ne l’arrête !

INSERT — One more chance

Ce succès fracassant, ce n’était peut-être pas tout à fait le destin qu’il avait imaginé pour cet album extrêmement intime et sensible. Les morceaux sont des confessions, de l’intime brut et sans détour.

Manu : Alors qu’il atteint son pic de popularité, Biggie se retrouve impliqué dans une rivalité entre rap East Coast et West Coast avec Tupac Shakur, avec qui il était pourtant très ami.

INSERT — Dear Mama

Dans un entretien pour le magazine Vibe en avril 1995, Tupac Shakur accuse Uptown Records, Sean Combs et BIG de lui avoir volé pour des milliers de dollars de bijoux, et de lui avoir tiré dessus la nuit du 30 novembre 1994. Wallace dément ses accusations expliquant qu’ils étaient en studio d’enregistrement à NY au même moment.

Manu : Et ce sera confirmé en 2012 par un homme nommé Dexter Isaac, emprisonné pour d’autres faits. Il avoue que c’est lui qui a agressé Tupac Shakur cette nuit-là.

Libéré de prison en octobre 95, Tupac Shakur signe sur le label Death Row Records. Bad Boy Records et Death Row, désormais rivaux, s’impliquent dans une querelle terrible et féroce, jusqu’à un niveau de violence jamais atteint.

Quelques semaines plus tard, Tupac Shakur est victime d’une fusillade à Las Vegas. Le 13 septembre 1996, il succombe à ses blessures. Et immédiatement des rumeurs circulent selon lesquelles Notorious BIG serait impliqué dans son assassinat.

Manu : C’est l’une des affaires qui a le plus marqué le rap US.
Mais est-ce qu’on en sait un peu plus aujourd’hui ?

Chuck Philips, un journaliste du Los Angeles Times sortira un article en 2002 qui tente de prouver que, je cite, « le crime a été perpétré par un gang de Compton appelé les Southside Crips pour venger l’un de leurs membres agressés par Shakur quelques heures plus tôt », et c’est BIG qui en serait le commanditaire. Sa famille dément fermement ces accusations et prouve par la suite que BIG était à New York au moment du crime. The New York Times considère, de son côté, que les documents fournis par la famille prouvent son innocence. Bref, on ne sait toujours pas.

Ce que l’on sait en revanche, c’est que six mois plus tard, Biggie part pour Los Angeles afin de démarrer la promotion de son deuxième album à venir, Life After Death, prévu pour fin mars. Dans la soirée du 8 mars 1997, il assiste à la cérémonie annuelle des Soul Train Music Awards, accompagné par Lil’ Cease (membre de Junior M.A.F.I.A) et de Combs. Il en sort vers 00h30 pour regagner son hôtel. B.I.G. s’assied sur le siège passager avant. À 0h45, la voiture s’arrête à un feu rouge. Un véhicule se positionne à sa hauteur et tire cinq coups de feu, dont quatre touchent Biggie à la poitrine. Transporté d’urgence à l’hôpital, il est déclaré mort à 1h15.

Manu : Le meurtre de Notorious B.I.G. produit une onde de choc considérable dans le pays, d’autant plus qu’il fait directement écho à celui de Tupac Shakur, assassiné dans des circonstances similaires à peine 6 mois avant.

INSERT — montage news ABC + NBC + MTV

Cette escalade de la violence apparaît aujourd’hui comme une folie. Tout est monté très vite, très fort, sans aucune limite. La mort de Tupac et de Biggie continue de hanter le milieu du hip-hop. Et à ce jour, son meurtre demeure toujours non élucidé.

En cela, Ready to Die est considéré comme une prophétie, le début de la fin. Sa mort tragique provoqua une série de débats sur les problèmes et les maux de la société américaine. Certains le voyaient comme un génie ; d’autres comme un rappeur ou un gangster de plus. Mais en mourant à 24 ans, il est devenu immortel.

Son deuxième album, Life after Death (coïncidence terrible), sort deux semaines après sa mort et va se vendre à plus de 10 millions d’exemplaires !

Pour terminer, je vous propose d’écouter un petit extrait de I’ll Be Missing You, la chanson hommage, chantée par Puffy et la veuve de B.I.G., Faith Evans, sortit en mai 1997. C’est assez atroce mais le titre va passer 11 semaines au sommet du Billboard. Son point d’orgue, c’est cette version live aux MTV Awards avec une chorale gospel, Faith Evans et monsieur Sting en personne !

INSERT — Live MTV Awards 1997
https://www.youtube.com/watch?v=MAlObW2BN7M

Manu : AMEN ! Rest in Peace. On peut dire que Sean “Puffy” Combs va clairement se servire du tremplin de Biggie pour développer son label et à la fin c’est lui qui ramasse le plus : il va battre des records avec son premier album sous le nom de Puff Daddy, portés par deux autres gros single en duo avec devinez qui ?

Il va rafler un grammy, re-cartonner avec “Come with me” la cover de Led Zeppelin. Bilan : à la fin des 90s on l’accuse d’avoir causé l’effondrement du hip-hop, devenu trop commercial, d’avoir usé et abusé de hits précédents pour créer les siens. Vous êtes d’accord avec ça ?

Le making-of de "Ready to Die"

Manu : Je vous propose maintenant de parler des coulisses de l’enregistrement avec toi Grégoire. Ready do die, c’est album avec un petit côté schizophrénique avec à la fois des morceaux à la coule et super accrcoheurs mais aussi des titres beaucoup plus hardcore. Comment tu expliques ça ?

Grégoire : Oui tu l’as dit et bien dit mon cher Manu, ready to die c’est un album avec côté pile des titres comme « Big Poppa et Juicy qui se boivent comme du petit lait et puis des morceaux moins formatés pour devenir des hits à la radio, beaucoup plus sombre et abrasifs comme « Gimme The Loot » ou encore le très sombre et désespéré « Ready to die » dans lequel il lâche « fuck the world my mom and my girls

INSERT — Ready to Die

Comment expliquer cette différence entre les tubes de l’album et ces titres un peu sinistres ? Pour le comprendre, il faut se pencher sur le processus d’enregistrement du disque qui s’est fait en deux temps. Les premières chansons comme « Ready To Die », « Gimme The Loot » ou encore « Things Done Changed » ont donc été enregistrées en 1993, peu après que Sean Combs aka Puff Daddy ait signé Biggie avec le label Uptown Records. On découvre alors la version sans filtre de Notorious Big qui dans un style très cru documente sa vie de dealer de crack.

Mais après avoir enregistré seulement quelques chansons, Puff Daddy, en conflit avec Andre Harrell, le patron d’Uptown records, est viré du label laissant son poulain sans écurie pour défendre ses couleurs. C’est la douche froide pour Biggie qui repasse par la case deal en attendant des jours meilleurs. Quelques mois plus tard, on est alors en 1994, Notorious Big est de retour en studio à la demande de l’ambitieux Puff Daddy qui entre temps a monté son propre label, Bad Boy records qui connaît cette même année un succès retentissant avec « Flava in Ya ear » de Craig Mack, puis son remix featuring Notorious Big himself.

INSERT — Flava in ya ear

MANU : Et Greg, “Flava in ya ear” lance aussi la mode du remix dans le rap, en tout cas Puff Daddy revendique en être l’instigateur, plutôt malin : on reprend le même morceau mais on fait rapper un artiste maison sur un couplet et le tour est joué.

Grégoire : Exactement et ça fonctionne super bien sur cette instru sobre et en même temps bien dansante voire festive, ce morceau à mon avis, annonce la direction artistique qui va prévaloir lors de la deuxième partie de l’enregistrement de Ready to die. On sait que Puff Daddy à ce moment-là aurait demandé à Biggie de mettre un peu d’eau dans son vin et d’enregistrer des singles plus mainstream.

Entre temps, le rappeur a peaufiné son art, sa voix est plus assurée et mélodieuse, d’ailleurs j’ai retrouvé une interview de Puff Daddy dans un vieux Rolling Stones qui disait ça sur la voix de son protégé :

« Il avait tellement de mélodie dans sa voix. Il rappait, mais c’était si entraînant que c’était presque comme s’il chantait »

Greg réaction

Manu : Et d’ailleurs à ce sujet là, on sait qu’il y a un homme dans la courte carrière de Biggie qui l’a grandement influencé, il s’agit de son voisin, Donald Harrison JR, un saxophoniste de jazz qui accompagné Miles Davis ou encore le batteur Art Blakey, il va en quelque sorte le prendre sous son aile l’emmenant au cinéma ou Musée d’Art moderne, il va surtout lui transmettre sa passion du jazz, on l’écoute ici dans cet extrait du docu que Netflix a consacré au rappeur

“Je voulais que Chris fasse du jazz, il était tellement doué. Ensemble on a essayé d’appliquer l’équivalent de la caisse claire du bebop dans le rythme d’un texte de rap. On a écouté Max Roach sur des disques de Clifford Brown. Max avait une façon très mélodieuse de faire de la batterie, il transformait le rythme en mélodie. Si on ralentit un peu le tempo et qu’on y ajoute des paroles, on remarque comment Notorious BIG accentue ces notes et ces rimes à la manière subtil d’un solo de bebop, c’est incroyable.”

INSERT Docu Biggie, son prof de musique explique d’où vient son flow
https://www.netflix.com/watch/80202829 (timecode = 18’30)

Biggie est aussi désormais capable de mémoriser tous ses textes voire de les improviser. En studio, l’ambiance est au beau fixe, et Puff Daddy sait mettre son protégé à l’aise en lui présentant une de ses copines chargé de faire une fellation à Biggie, performance enregistrée et tout à fait véridique, selon Puff Daddy.

C’est dans ce contexte que vont naître des titres beaucoup plus cool, presque langoureux comme ce Big Papa que n’aurait pas renié Dr Dre et les rappeurs de la West Coast

INSERT — Big Poppa

Manu : Au final, on a un album cohérent mais quand même très éclectique musicalement d’autant que pas moins de quatre producteurs (en plus de Puff Daddy) ont mis la main à la pâte pendant l’enregistrement

Oui on peut citer Easy Moe Cee, qui a co-produit « Machine Gun Funk », Lord finesse, rappeur émérite à la baguette sur le lugubre “suicidal thoughts”, DJ Premier qui apporte sa touche sur “unbelievable” et surtout Easy Mo Bee, producteur légendaire qui a joué un rôle crucial dans la création de l’esthétique sonore de l’album « Ready to Die » et qui a la particularité d’avoir aussi travaillé avec 2PAC, autant dire l’un des hommes de l’ombre qui a façonné l’histoire du hip hop dans les années 90.

Sa marque de fabrique : l’intégration d’éléments enregistrés en live, tels que des lignes de basse jouées par des musiciens ou des échantillons de voix pour donner un côté plus organique à ses instrumentaux. Un côté Old School que l’on retrouve sur warning ou sur cet excellentissime « Gimme the loot »

INSERT — Gimme the loot

Plusieurs producteurs sont donc intervenus sur l’album de Biggie mais c’est bien Puff Daddy qui restait le boss du projet et qui choisissait la direction artistique de l’album, un côté un brin tyrannique qu’Easy Mo Bee nous raconte non sans humour dans cette interview accordée en 2008

INSERT — ITW Easy mo Bee TC 4’21 à 5’11

“Dans ce métier parfois on mange mal, on dort pas assez, cela réclame pas mal de sacrifices pour pouvoir assurer. Quand j’ai commencé à enregistrer pour Biggie avec Bad Boy records, Puffy était un vrai marchand d’esclaves. Il pouvait l’appeler à 1 heure du matin pour te dire : “Yo Mo Bee, on a besoin de toi là pour enregistrer, ou ramène ce sample ou il faut que tu viennes régler ça ou encore non on peut pas utiliser ce sample” mais vas-y mec il est du 1 h matin ! Mais bon, ils avaient besoin de moi donc je me ramenais et je faisais ce que j’avais à faire parce que c’est mon boulot”

Voilà vous l’entendez on a affaire ici à un vrai de vrai, un samouraï du hip hop totalement dévoué à la cause et visiblement à sa patron

Manu : Oui car tous les DJ producteurs qui sont intervenus sur le disque étaient placés sous l’autorité de Puff Daddy qui restait big boss du projet.

Oui c’est en effet Sean Combs qui dirige les sessions d’enregistrement, le plus souvent dans les studios de Bad Boy records à New York, il est également à la manoeuvre sur certains des titres les plus emblématiques de Ready to die, on pense bien sur au single Juicy produit avec le duo Poke and Tone, à moins qu’il n’ait volé l’idée du sample au producteur Pete Rock comme l’affirme ce dernier, on laissera les historiens du Hip Hop trancher.

C’est en tout cas un monument, sans doute le morceau le plus mainstream de l’album, célèbre pour son sample de Mtume groupe de funk américain des 70s emmené par le percussionniste James Mtume. Le morceau est également composé d’un deuxième sample, des voix extraites du titre “Rappin’s duke” de Shawn Brown. On écoute, on décortique tout de suite

INSERT — Gimme the loot

Que dire après tout ça ? Que Ready to Die c’est de la bombe, assurément mais que c’est surtout un album très éclectique qui combine avec bonheur diverses techniques de production. Les hommes de l’ombre derrière « Ready to Die » ont vraiment réussi à créer un son novateur qui a contribué à faire de l’album un immense classique du hip-hop sans compter bien sûr l’excellence des lyrics de Biggie, autoportrait sans fard d’un destin en équilibre instable entre le deal et le rap, le glauque et la gloire, la vie et la mort.

Manu : Finalement c’est un album dans lequel tout le monde s’y retrouve. Il y a à boire et à manger, du soft et du hardcore et puis un storytelling de ouf. C’est sans doute pour ces raisons aussi qu’il met tout le monde d’accord ! Merci Greg pour ta chronique.

L'univers visuel de Ready to Die

Manu : Alors on va maintenant revenir sur cet objet disque, et la pochette culte de “Ready to die” avec ce petit bébé trop choupi sur la pochette, il doit avoir 12 mois. Et du coup Fanny quand tu vois ça forcément tu dis : oh putain c’est la pochette de Nirvana !

Fanny : Bah tu me connais Manu, je suis plus à ça près ! Et oui, aujourd’hui les amis, on va parler d’une pochette culte du rap East Coast, que j’ai décidé, d’un commun accord avec moi-même, d’appeler le « Nevermind du hip-hop ». Non seulement parce que ça me permet de placer comme d’hab une référence à Nirvana à pas piquer des hannetons, mais aussi, et avant tout, parce que comme sur Nevermind, sur cette pochette on voit un joli petit baby tout potelet !

Manu : On pense aussi à la pochette de Illmatic de Nas qui le représente tout petit. C’est quand même génial tous ces rappeurs qui affichent comme ça leur enfance : il y a Lil Wayne bien sûr, Drake ou Joeystarr… Alors c’est qui le petit sur la pochette de Biggie, c’est lui je parie ?

Fanny : Ah bah ça, c’est ce que le marketing veut nous vendre et nous faire croire ! La photo sur la pochette est celle d’un bébé noir avec une coupe afro, il ne porte rien d’autre que sa couche et se tient assis sagement au milieu d’un grand fond blanc.

Cette image symbolise l’innocence, la vulnérabilité et illustre le concept de l’album qui parle du cycle de la vie d’un artiste. Après tout, quoi de plus vulnérable qu’un Notorious Big qui se met à nu dans ses lyrics, parle de ses galères, de sa famille, de ses peurs et de ses doutes. Niveau vulnérabilité ouais le mec est pas mal !

Et puis ce bébé il contraste follement avec le titre prophétique écrit en dessous « Ready to die », on est dans la représentation du bien et du mal, la vie versus la mort, le blanc/le noir, enfin vous voyez le topo, c’est assez schématique en fait.

Mais désolée de te décevoir, Manu, non le bébé n’est pas Biggie enfant et figure toi que son identité a été l’un des plus grands mystères du rap game jusqu’en 2011 quand le New York Daily News a finalement retrouvé sa trace !

Le graphiste qui a mis en page le livret, Cey Adams, le photographe qui a pris la photo du bébé, Butch Belair et Puff Daddy avaient tous été régulièrement interrogés sur le sujet mais la vérité c’est qu’aucun d’eux n’avait la réponse, ils ne savaient tout simplement pas d’où sortait ce gamin !

Manu : Bon on saura pas qui a buté Biggie mais ce mystère-là tu vas pouvoir le résoudre !

Fanny : C’est clair ! Bon donc tout simplement un casting a été lancé en 94 par une agence pour trouver un bébé qui ressemble à Biggie. La mère postule et BOUM le petit Keithroy Yearwood est immortalisé pour l’éternité sur cet album culte.
La séance de pose a duré 2 heures, et la famille a reçu la somme mirobolante de… 150 dollars pour ce shooting.

Manu : Le bébé de Nevermind il avait été payé 200 balles je crois, c’est ça ?

Fanny : Oui comme quoi les albums ont beau se vendre par million, les images se voir déclinées sur toutes sortes de supports commerciaux bah ça rapporte pas un kopeck aux parents et aux bébés ! Par contre, pour sûr ça a rapporté un paquet de blé à Puff Daddy.

Il faut dire que le mec a une idée fixe dans la vie : faire des thunes et il passe tout son temps à réfléchir à comment faire un max de thunes. Il vit, pense et respire business, on a rarement vu un mec plus arriviste que lui et en même temps… c’est une putain de masterclass entrepreneuriale à lui tout seul.
Bad Boy Records il en fait un empire incroyable en quelques années et sa vision va inspirer BEAUCOUP de monde sur la côte Est, Jay-Z en tête.

Pour Puffy, tout doit rester en famille, tout doit se faire en vase clos au sein du label. Et le producteur a une spécificité : il aime se placer lui-même dans ses productions que ça soit via des featurings sur des morceaux ou bien des apparitions dans les clips.

Ça lui a d’ailleurs été reproché par son concurrent Suge Knight de Death Row qui s’est moqué de Puffy lors des Source Awards en 1995. Sur scène alors qu’il acceptait un prix, Suge a lancé un des plus gros clashs de la rivalité East Coast / West Coast :

INSERT — SUGE KNIGHT SPEECH AT SOURCE AWARDS

« Tous les artistes ici qui veulent être des artistes et rester la star, si vous ne voulez pas que le producteur exécutif s’incruste dans vos clips… sur votre album… à danser… Venez chez Death Row !! »

Manu : En l’occurrence, Suge Knight pointe quelque chose qui est totalement vrai… Et Puff Daddy va même encore plus loin dans les clips de Biggie.

Fanny : Oui parce que derrière la caméra, pour la réalisation des clips de Juicy et Big Poppa, on retrouve un certain Sean Combs alias Puffy, alias Puff Daddy, alias P. Diddy. Tant de noms pour un seul homme ! Et tant de skills pour un seul homme !

Perso ça a été une vraie découverte cette info. Je savais qu’il était producteur et musicien mais je n’avais aucune idée qu’il s’était essayé à la réalisation. Pourtant en checkant sur IMDb, j’ai trouvé une quinzaine de résultats ! Avant même de réaliser Juicy, Puffy avait déjà fait 6 autres clips pour ses poulains Outkast, Mary J. Blige et Jodeci.

Peut-être qu’il y a une raison financière derrière, peut-être que si c’est lui qui réalise les clips en plus d’avoir le contrôle artistique total dessus, il peut jouer dedans et toucher encore plus d’argent pour lui, pour son label, pour ses artistes. On est jamais mieux servi que par soi-même !

Allez mais sans plus tarder c’est parti, on va se plonger ensemble dans le clip de Juicy…

INSERT — JUICY

Ce clip sort en août 1994, notre ami Biggie a alors 22 ans, c’est le premier single de son premier album, potentiellement le titre qui va faire de lui une star.

Et avant même qu’il soit en haut des charts, Biggie pond ce titre en forme de prophétie autoréalisatrice. Il veut tellement y arriver, qu’il fait tout comme s’il y était déjà. En tous cas Puffy lui demande d’y croire et de lui faire confiance pour s’en sortir.

Juicy c’est un titre classique de ce genre qu’on appelle « rags to riches ». Ou pour citer l’adage du célèbre Oscar Wilde : « Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles ». C’est de cela qu’il s’agit ici, de retracer l’histoire d’une ascension vers les étoiles ou comment il est passé du mec qui mangeait des sardines dans un taudis d’une pièce au mec projeté sous les feux de la rampe parce qu’il rime bien (‘“in the limelight ‘cause I rhyme right”).

Chose très rare en 1994, Biggie ne cache pas son passé de délinquant, il se livre avec authenticité sur là d’où il vient et vend une image largement surfaite de là où il est à présent, comme on peut le voir dans le clip.
La vidéo s’ouvre avec l’artiste debout sur le perron d’un immeuble de Brooklyn, il porte un maillot de baseball jaune avec écrit Bad Boy dessus.

Manu : Petit aparté, ce maillot sera potentiellement visible dans la collection du Hip Hop Museum qui ouvrira en 2025 dans le Bronx.

Bon bah s’il faut aller à New York pour vérifier, je veux bien me porter volontaire 🙂

Anyway, Biggie est sur son porche et tout le clip va consister en une succession de scènes qui mettent en parallèle sa vie de gangster d’avant avec sa vie de nabab de maintenant. Pour la partie gangster, on le voit en train de dealer sur Fulton Street ou traîner avec ses potes dans le quartier de Bed Stuy avant d’aller jouer à Mortal Kombat dans un appart en fumant de la weed, de se faire coffrer, on le voit en prison, on le voit chez lui en train de s’engueuler avec sa mère… Il y a une dimension presque documentaire dans ces scènes-là puisqu’elles reflètent de manière très réaliste la vie de Biggie. Les endroits de tournage c’est là où il trainait et dealait pour de vrai. Et puis c’est sa vraie mère qui apparaît à l’écran.

Par contre ça part en fiction totale dans la vie parallèle que Puff Daddy met en scène où Biggie est déjà une star du rap pleine aux as qui arrose tous ses potos d’alcool et de sexe facile. Pour illustrer cette vie luxueuse, ils ont loué « the Island in the Sky », une villa d’architecte située à Water Mill dans l’État de New York, avec une gigantesque piscine en forme de flèches et une pool house en forme de pyramide.

On voit alors Biggie interviewé par une journaliste à propos de sa réussite, on le voit aussi signer des contrats en fumant des cigares pendant qu’une gouvernante blanche apporte des coupes de champagne. Il joue au billard et surtout organise une mega pool party avec une cinquantaine de figurants qui dansent et kiffent la life. Parmi ces figurants, évidemment Puff Daddy qui fait son apparition habituelle dans le clip, mais aussi la meuf de Puffy et leur bébé et puis à la toute fin on voit Voletta et T’yanna Wallace, la mère et la fille de Biggie parce que le vrai message du morceau, en conclusion, c’est si si la famille. Toute cette réussite à laquelle aspire Biggie, c’est avant tout pour elles. Cœur avec les doigts !

Manu : et ouais merci Big Poppa ! Et bien j’ai appris sur Pure People figurez-vous que les deux enfants perpétuent quelque part l’héritage de leur père. T’yanna a pu suivre un cursus universitaire en mode et elle tient désormais sa propre boutique, basée à Brooklyn. Vous savez comment elle l’a appelé ?
Quant à Christopher Junior, le deuxième, il a lui aussi lancé sa propre marque, Frank White, qui perpétue les idées politiques de son père tout en célébrant la culture Noire.

À PROPOS DE RADIO K7 PODCAST

Chaque mois dans Radio K7 on discute d’un album avec mes copains autour d’une table, parfois avec des invités comme Pénélope Bagieu ou Nicolas Berno. Il y a des chroniques et des débats, on s’interroge sur l’histoire du disque : comment il a été produit, ce qui a fait son succès, et puis finalement ce qu’on a envie d’en retenir 20 ou 30 ans plus tard.

Le 5 janvier 2020, Radio K7 est devenu le premier podcast indépendant sur la musique en France au classement Apple Podcast !

« On veut redécouvrir les 90s, apprendre des trucs et se marrer. »

Manu, Fanny, Olivia et Grégoire

“ Le but de ce podcast c’est de redécouvrir la bande-son des nineties. Parce que c’était celle de notre adolescence, qui a marqué toutes nos premières fois. C’était une période où la musique a commencé à prendre une grande place dans nos vies, avec les groupes qui ont forgé notre identité mais aussi nos plaisirs coupables. “